Réussir un naufrage…

S’il est un épisode maritime aussi connu que le naufrage du Titanic, c’est bien celui des naufragés de la Méduse, connu parce qu’un tableau l’a définitivement représenté. Mais, ce qu’on sait moins, c’est comment le peintre Théodore Géricault (1791–1824) a construit son chef-d’œuvre et comment il a réussi à l’imposer…

Le sujet retenu par Jean-Sébastien Bordas et Jean-Christophe Deveney parait au prime abord ressassé, mais dès qu’on commence la lecture de leur album, on y apprend bien des choses. Au-delà de l’image d’Épinal exhibant les survivants de la frégate La Méduse parti de l’Ile d’Aix, en juillet 1816, à destination du Sénégal, il y a deux facettes méconnues : la vie à bord avant la catastrophe due à l’incompétence de son capitaine et, plus intéressant encore, la façon dont le peintre s’est documenté pour réaliser son tableau.

Le capitaine Chaumareys, tout d’abord. C’est un noble qui n’a pas navigué depuis 25 ans. Arrivé sur le banc d’Arguin, à une soixantaine de kilomètres de Saint-Louis du Sénégal, sa désinvolture et sa fatuité vont condamner le bateau, l’équipage et les passagers à une mort certaine car, bien entendu, les canots en petit nombre sauveront d’abord les privilégiés. Sur les 170 passagers qui montent plus tard sur le radeau de fortune, construit par quelques-uns, seuls 17 seront sauvés. On sait après quelles horreurs, ceux-ci ont survécu.

Géricault est alors un  peintre qui se cherche et qui cherche un bon sujet. Cet épisode s’impose à lui, mais comment le traiter ? Géricault alors enquête. Il consulte les archives mais tient avant tout à retrouver des survivants, les rencontrer, les faire parler pour trouver le meilleur angle pictural, jusqu’à vouloir observer la couleur de la peau d’un cadavre pour définir les bonnes pigmentations. Même si le succès ne vient pas tout de suite, Géricault échappera en quelque sorte au naufrage personnel grâce au tableau tourmenté de cet épisode dramatique.

Dessins et couleurs de Jean-Sébastien Bordas sont, de leur côté, tout simplement remarquables. Le trait vif installe des personnages aux visages extraordinairement expressifs et les couleurs aquarellées, presque légères, modèlent juste ce qu’il faut ses décors.  En près de 170 planches, le lecteur est « embarqué » dans une double aventure, celle d’un bateau en perdition et celle d’un homme en construction. Le scénario mêle habilement cette double narration (sans oublier la trame amoureuse : la relation du peintre avec sa tante), de sorte que l’ensemble est extrêmement vivant et passionnant. Un petit dossier final, court mais instructif, propose la photo de reproduction grandeur nature du radeau installée actuellement dans la cours de la Corderie Royale de Rochefort, non loin de l’Hermione…

On ne manquera pas, si l’on est passionné par ce sujet, de se procurer également l’album de Gilles Mezzomo et Frank Giroud, « Théodore Géricault : Le Radeau de la Méduse », publié en 2016 chez Glénat dans la collection Les Grands Peintres. Avec un dossier de huit pages sur Géricault, les auteurs évoquaient eux aussi ce drame politico-maritime, mais en prenant un peu plus de liberté avec l’histoire en introduisant notamment un personnage féminin fictif.

Didier QUELLA-GUYOT ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/

[L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook.

« Les Naufragés de la Méduse » par Jean-Sébastien Bordas et Jean-Christophe Deveney

Éditions Casterman (26 €) – EAN : 9782203132429

 

Galerie

Une réponse à Réussir un naufrage…

  1. Michel Hanniet dit :

    A toutes les personnes que passionnera l’histoire authentique du naufrage de La Méduse, de la tragédie de son radeau et de la déconfiture de l’expédition française au Sénégal, il faut recommander la lecture de l’ouvrage de référence intitulé « Le naufrage de La Méduse 1816 -2016″ – ( facile à commander sur différents sites dont celui de l’éditeur L’ancre de marine). Ce livre – sans cesse amélioré depuis sa première édition par Actes Sud en 1991, l’année du bicentenaire de la naissance de Géricault – a entre autres particularités, celle d’être le seul à publier les points de vue de Griffon du Bellay, un des rescapés du radeau qui conteste, preuves à l’appui, les inexactitudes volontaires de la relation la plus célèbre : celle de Corréard et Savigny publiée, résumée, traduite ou citée tant de fois alors qu’elle était loin d’être rigoureuse et impartiale.

Répondre à Michel Hanniet Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>