« Adam Strange » : lointain, envol, rencontre, retour à la solitude…

Création du scénariste Gardner Fox et du dessinateur Mike Sekowsky, le personnage d’Adam Strange apparaît dans le magazine Showcase # 17 des éditions DC Comics de novembre-décembre 1958. Il passe alors dans le titre Mystery in Space # 53, dont il devient, entre 1959 et 1968, l’un des personnages principaux ; désormais grâce au dessinateur Carmine Infantino qui lui confère toute sa prestance et sa célébrité. Depuis, il a connu de nombreux avatars éditoriaux dus à de multiples auteurs.

Le scénariste Gardner F. Fox.

En France, le premier épisode est publié par les éditions Artima, d’une manière tout à fait enterrée : en quatrième récit dans le titre de guerre en format poche Commando n° 12 de septembre 1960.

« Adam Strange » est ensuite publié — dans le désordre — dans le titre Sidéral, à partir du n° 21, donnant à ce titre ses plus belles couvertures.

L’homme volant est une constante de la science-fiction, mais aussi des contes et mythologies de toutes sortes. On pourrait remplir des étagères d’œuvres sur ce thème. Tous les moyens sont bons pour s’envoler. Transes chamaniques, poudre de la fée Clochette, équipage de cygnes, ballon, obus, fusées, antigravité… et toute la gamme des ailes « naturelles » ou mécaniques.

Le premier dessinateur Mike Sekowsky.

Et le rêve. Le rêve de vol est un rêve que la plupart des personnes font dans leur enfance.

Symbole sexuel selon Freud, comme souvent. On peut y voir aussi le symbole d’un désir de libération, d’échapper aux contraintes, coercitions et asservissements de toute nature, représentés là par cette gravitation qui nous colle au sol, et d’accéder à une existence idéale. « Libre comme l’air », « libre comme l’oiseau », « prendre son envol », « voler de ses propres ailes »…

Le principal dessinateur de la série : Carmine Infantino.

Selon beaucoup de religions, après la mort, l’esprit, débarrassé de l’enclos du corps — et des contingences terrestres — gagne le ciel.

Adam Strange, lui, utilise deux réacteurs dorsaux. Lesquels — entre parenthèses — utilisent un carburant drôlement concentré. Grâce à ses réacteurs à la forme épurée, Adam Strange plane, vole, d’un bout d’un récit à l’autre. Et cela avec une grande aisance.

Grâce à eux, Adam Strange prend librement toute attitude ou position à sa convenance dans les airs sans qu’il donne l’impression de devoir contrôler son vol d’une manière ou d’une autre.

Aucun levier, aucune manette ne figure sur son équipement, il ne semble devoir n’effectuer aucun geste ou manœuvre quand il est en vol.

Il vole « naturellement », dans une continuité régulière, l’esprit entièrement disponible à ses préoccupations, et ses va-et-vient dans l’espace, ses retournements et changements de trajectoire se font de manière instantanée comme si ses réacteurs faisaient partie de lui, suivant sa pensée voire l’anticipant. Des réacteurs « intelligents » ?

La figure de l’être ou de l’élément volant apparaît d’autres manières dans « Adam Strange ». D’autres images de vol viennent s’adjoindre à celle du personnage central lui-même. Alanna accompagne souvent Adam Strange dans ses envolées, et des guerriers ranniens dans ses combats. Les envahisseurs usent du même artifice, qu’ils viennent de l’espace ou de sous la terre. Quand ils ne volent pas, leurs armes émettent des créatures volantes, êtres de glace, de pierre et de feu, globes à pointes. Le duel avec un certain Xantos est en cela spectaculaire. Xantos lui-même s’élève grâce à une ceinture antigravité. Il possède une arme lançant des « globes noirs expansibles » volants, et fait intervenir contre Adam un nuage magnétique et un oiseau géant.

Adam Strange affronte encore de nombreuses autres menaces volantes, qu’il s’agisse de son double, de robots, d’oiseaux radioactifs, de lucioles ou de sauterelles, de créatures « flottantes » de toute nature, soient-elles des êtres de flammes, d’électricité, d’ectoplasmes de poussière, de l’image spectrale d’un sorcier, de Pégase tirant un chariot, d’un atome intelligent, d’un nuage destructeur, d’une planète tentaculaire paraissant en suspension dans le ciel de Rann, et encore d’autres objets de diverses sortes, boomerangs, serpe, cônes tourbillonnants ou tornades. Lors de la « fête annuelle des fusées » a lieu une exhibition d’acrobates volants ; des objets volants, boomerang, sablier… font ensuite leur apparition.

Un liquide découvert sur un autre monde annule la pesanteur. Le titre d’un épisode, « Chariot dans le ciel », insiste sur le caractère aérien de l’objet. Notons encore l’omniprésence de véhicules volants, et que l’un des sports préférés d’Adam Strange est le saut à ski. Toute la série est placée sous le signe de l’envol.

Un autre trait caractéristique de la tenue d’Adam Strange est son casque. Le chapeau et le casque sont l’une des pièces d’habillement qui revêtent l’une des plus fortes valeurs symboliques. Ils sont ce qui attire en premier l’attention, à hauteur de regard. Les casques des guerriers anciens avaient pour fonction de préserver la tête, certes, mais également d’arborer des cornes, des ailes, des crinières de chevaux, des pointes. Celui d’Adam Strange porte un cimier. Étymologiquement, le cimier est la « cime » du guerrier. Le cimier de son casque le définit-il en tant que guerrier, rappelant au jeune lecteur toute une imagerie historique faite de figurations de combattants de l’antiquité gréco-latine ?

D’autre part, ce cimier est penché vers l’arrière, à la manière d’une flamme couchée vers l’arrière. Indice de rapidité ? Ce caractère de flamme penchée du cimier attribuerait à la tenue d’Adam Strange elle-même une idée de vitesse. On peut y voir aussi la forme d’un aileron de requin.

Inutile de s’appesantir sur la couleur rouge de sa tenue. Ce n’est pas faire une grande révélation que de dire que le rouge est traditionnellement couleur de vie, sang, feu, chaleur, force, passion, violence, danger… Qui le cherche le trouve ? D’autre part, cette teinte voyante le détache bien sur le bleu du ciel où il évolue usuellement, et ajoute un caractère démonstratif au personnage. Il affirme sa présence. Ainsi paré, Adam Strange s’inscrit dans une tradition du guerrier avec une référence davantage au combattant antique équipé d’une tenue à panache, figuration plus en accord avec un statut archétypique, donc visible, admirable, de héros, plutôt qu’au combattant moderne portant une tenue de camouflage et un casque purement fonctionnel et dénué d’ornements, visant la discrétion.

Adam Strange ainsi pourvu et défini, le dessinateur peut lui donner des poses dignes d’une statue antique de demi-dieu.

Au début de chaque récit, l’archéologue Adam Strange est téléporté à l’aide d’un rayon Zeta depuis la Terre sur un autre monde, Rann, lieu de scènes et d’actions. Ce monde lointain, Rann, peut apparaître comme un « là-bas », à la manière de tous les lieux de fantasmagorie de diverses mythologies ; tel celui du Pays des merveilles d’« Alice », du Pays de nulle part de« Peter Pan », du royaume du « Magicien d’Oz », et autres Atlantide, Utopie, Hyperborée, Eldorado, Terre promise, « Île au trésor », contrées inconnues et légendaires des « Odyssée », quêtes du Graal ou de la « Toison d’or », ou parcourues par Gulliver.

C’est « L’invitation au voyage » du grand Charles : « Là, tout n’est qu’ordre et beauté/Luxe, calme et volupté. » Il y rencontre en particulier une jeune Rannienne, Alanna. Le jeune garçon solitaire qui lisait Adam Strange s’identifiait-il à ce personnage qui va retrouver une jeune femme sur une autre terre ? La planète Rann figurerait-elle ainsi l’avenir tel que le jeune lecteur y projetait ses espérances ? Ces déplacements dans l’espace représentaient-ils un déplacement dans le temps ?

Adam Strange se déplace donc régulièrement de la Terre à Rann grâce à un procédé de téléportation, le rayon Zéta. Arrivé sur Rann, il y trouve présence féminine et aventures agitées. Cela le dispense d’aller vers d’autres lieux encore. Qu’irait-il chercher plus loin ? Ainsi, les Ranniens ne disposent pas de navires de l’espace comme l’explique Alanna dans le premier épisode. Adam Strange ne part jamais en mission vers d’autres mondes à bord d’un vaisseau spatial comme dans un space opera classique : « Flash Gordon » ou « Buck Rogers », les récits de Météor, Cosmos, Sidéral ou Monde futur des éditions Artima, ou les récits de« Jeff Hawke », « Ace O’Hara », « Jet Logan » ou un autre « officier anglais de l’espace », ou encore« Les Pionniers de l’espérance », « Les Naufragés du temps », « Titan » de Pierre Dupuis, « La Grande Odyssée » de Cristian Zentilini et Paolo Morisi, « 5 x Infini » d’Esteban Maroto ou encore « Barbarella » de Jean-Claude Forest et« Auranella » de Floriano Bozzi et Pier Carpi.

Une fois sur Rann, il y demeure. La téléportation de la terre à Rann, l’avancement futuriste de la civilisation rannienne et l’arrivée régulière d’êtres venus de l’espace confèrent l’aspect space opera à la série. Pour les auteurs, manifestement, le voyage à bord d’un astronef ne constituait pas un élément incontournable, un caractère nécessaire à une bande dessinée de science-fiction « à grand spectacle ». Le lecteur n’a donc en rien droit aux péripéties usuelles des récits de voyages interplanétaires. Vaisseau spatial ou téléportation, l’essentiel est d’être allé « là-bas » sans qu’importe le moyen, et le voyage s’arrête là. À l’inverse, ce sont des êtres venus d’autres mondes qui surgissent régulièrement dans le ciel de Rann à bord de nefs spatiales, le plus souvent animés d’intentions conquérantes.

Les péripéties vécues sur Rann par Adam Strange se déroulent presque exclusivement en extérieur. Rares sont les scènes prenant place au dedans d’un édifice. Les évolutions d’Adam Strange, porté par ses réacteurs dorsaux, se font dans un espace libre. Alors le décor de cette série est le plus souvent la campagne rannienne, et la capitale Ranagar apparaît avant tout en arrière-plan, pareille à un bas-relief, une frise décorative aux formes géométriques épurées.

Dans le premier épisode, Adam Strange parcourt successivement divers archétypes de cités, la cité perdue, Caramanga, puis la cité futuriste, Ranagar, enfin la cité parfaite fantomatique, Samak.

Dans les premières images du premier épisode, l’archéologue Adam Strange découvre dans l’épaisse jungle péruvienne « la cité légendaire de Caramanga ». Il y trouve « le trésor perdu du dernier empereur des Incas, Atahualpa », et c’est aussi, et surtout, là qu’il est frappé pour la première fois par le rayon Zéta qui le conduit dans un lieu plus fascinant encore, la planète Rann. La ville reculée perdue dans la jungle est déjà une expression du « là-bas ». Mais la cité de Caramanga est pour sa part un « ailleurs » mythique qui introduit à celui plus mythique encore de Rann.

Plus loin dans le même récit, une cité idéale, Samak, la cité des savants, surgit des brumes et y retourne.

Tel un mirage, cette ville inaccessible se situe dans une autre dimension et n’en émerge que tous les vingt-cinq ans. Plus encore que Ranagar, cette ville fantomatique exprime la cité parfaite.

« Des tours pointaient leurs fines structures sur le ciel, tandis qu’à nos pieds une végétation variée recevait l’eau des fontaines harmonieuses. » « C’est un monde de merveilles », commente Adam Strange. « J’ai entendu mon père vanter les beautés de Samak, mais la réalité dépasse toute description », ajoute Alanna. « Ici, tout respire la sagesse et la quiétude » conclut un autre commentaire à rapprocher du baudelairien « Là, tout n’est qu’ordre et beauté… »

Mais, en fin chaque de récit, quand le rayon Zéta se dissipe, un autre décor symptomatique revient de manière récurrente dans « Adam Strange ». Le personnage se retrouve dans un décor plat et aride. Dans la dernière case, Adam Strange est revenu dans un lieu désolé entre deux arbres dépouillés, ou dans une la tempête de neige, ou sur une planète stérile, Maragol la morte, sous un ciel immuablement noir, ou encore plongé dans un long dialogue lugubre dans le décor austère et désertique de la planète vivante Bargadis.

Dans de tels décors, la solitude d’Adam Strange séparé d’Alanna est clairement exprimée ; et, par le fait même, le retour au réel du jeune lecteur à la fin de sa lecture ?

« En attendant, une nouvelle fois,

Mon enfant, ma sœur,

De songer à la douceur

D’aller là-bas planer ensemble. »

Patrice DELVA

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6 réponses à « Adam Strange » : lointain, envol, rencontre, retour à la solitude…

  1. BERNARD dit :

    Dans le petit-format « Commando » le titre de l’épisode est : « Le secret de la cité éternelle « .

  2. Patrice Delva dit :

    Bonjour Bernard, bonjour à tous,

    En effet :

    Showcase # 17 : « Secret of the eternal city »
    Gardner Fox : scénario
    Mike Sekowsky : dessin
    Bernard Sachs : encrage

    En français, trois éditions :
    Commando n° 12 – Flash 2e série n° 28 – Sidéral 2e série n° 10

  3. bonjour,

    j’espere une intégrale de cet excellente bd de science fiction.

  4. Patrice Delva dit :

    Bonjour Frédéric,

    En anglais, il existe au moins deux éditions.

  5. Michel Dartay dit :

    Il y en a une en noir et blanc, dans la collection Showcase presents. 510 pages. Avec les Showcase 17 à 19, et les Mystery in Space 53 à 84, tous de Carmine Infantino

  6. bonjour,

    je sais , dans l’omnibus sorti recemment aux usa , il manque l’integrale du cross over adam strange hawkman. du moins dans sa totalité.

    il manque certaines publicitées de parutions.

    quand à l’ancienne integrale essential , mauvaise qualtées de papiers.

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