Adieu la minijupe, bonjour le féminisme !

Quand on pense au catalogue de Soleil Manga, le mot féminisme ne vient pas forcément en tête immédiatement. Pourtant, « Sayonnara Miniskirt » est bien un pamphlet qui remet le débat du rôle des femmes-objets au goût du jour. Entre le groupe d’idoles sympathiques et une jeune fille effrayée au simple fait d’être en présence d’un homme, il y a un grand écart que ce manga n’hésite pas à mettre en lumière.

Nina Kamiyama est une idole, la leader des Pure Skirt qui, comme son nom l’indique, se trémoussent en jupe à froufrou. Avec son groupe, elle va régulièrement à la rencontre de ses fans. Bienveillante, elle sourit en permanence, elle se donne corps et âme à son métier, elle ne se pose pas de question existentielle sur sa situation et l’image qu’elle véhicule. Mais ça, c’était avant ! Avant son agression au couteau qui lui a laissé une belle cicatrice sur le bras, mais surtout une peur panique des hommes. La Nina Kamiyama d’aujourd’hui n’a rien à voir avec l’idole en minijupe qui n’hésitait pas à se montrer en pleine lumière avec des habits affriolants, pour le plaisir de ses fans essentiellement masculins. Maintenant, pour se protéger, Nina Kamiyama s’habille comme un garçon, car rien dans le règlement de son lycée ne l’interdit. Il est juste précisé qu’un uniforme officiel doit être porté dans l’enceinte de l’établissement. Aussi, au revoir la minijupe, bonjour le pantalon !

Le souci, c’est que Nina, quand elle dirigeait son groupe d’idole, rayonnait, souriait et était joyeuse. Aujourd’hui, elle est taciturne, joue les gros bras et vit dans la peur, car son agresseur n’a jamais été retrouvé. Quand bien même, elle semble avoir complètement changé et cela semble irréversible. Même les demandes de ses camarades de classe ou la bienveillance d’Hikaru, le champion de judo du lycée qui est apparemment le seul à comprendre ce qu’endure Nina, n’y changeront rien. Elle s’est renfermée sur elle-même et ne semble pas encline à revenir en arrière.

 

Le harcèlement est un sujet de préoccupation pour beaucoup de femmes. Dans un pays comme le Japon, celui-ci est souvent passé sous silence, tellement la domination masculine sur le corps féminin est monnaie courante. Pourtant, tout n’est pas toujours blanc ou noir et beaucoup de voix se sont élevées depuis de nombreuses années contre le fléau des tripoteurs du métro. Mais est-ce suffisant ? Est-ce que ces personnes ne vont pas chercher leurs victimes ailleurs  ? Surtout, comment prouver ces agissements ? Leur faire admettre leur culpabilité sans trouver le moyen de les humilier publiquement comme l’a fait Hikaru, alors qu’il a remarqué qu’une autre de ses camarades se faisait frôler le postérieur avec beaucoup d’insistance par un homme en costume ? Celui-ci, tentant de nier, s’est machinalement essuyé la main quand il a eu connaissance de l’existence d’un kit d’analyse ADN disponible dans la gare : ce qui l’a immédiatement discrédité. Néanmoins, si la police a appréhendé ce pervers, d’autres voix se sont discrètement fait entendre  : « Une honte cette fille, faire tout un foin pour un truc aussi ridicule… » Parce que c’est aussi ça le problème, certaines personnes pensent que si un homme se permet ce genre de comportement, c’est parce ces filles cherchent à être belles et attirantes. Cela les conforte dans leurs coquetteries, les met en valeur. Elles se sentent choisies, car elles sont au-dessus du lot. Jusqu’à ce que cela aille trop loin  !

 

Ce n’est pas le premier manga qui pose des questions sur le statut des femmes, en tant qu’objet de désir dans la société contemporaine japonaise. Rien que cette année, c’est déjà le troisième que l’on peut considérer comme féministe disponible en français, après « Don’t Fake Your Smile » de Aoki Kotomi et « En proie au silence » de Akane Torikai : tous deux parus chez Akata. Ce mouvement ne fait que prendre de l’ampleur (le manga n’étant dorénavant pas qu’un divertissement), mais peut également amener à une réflexion collective sur des sujets sensibles de la société. En revanche, ce qui est surprenant, c’est de trouver une telle œuvre chez un éditeur comme Soleil. Celui-ci nous a plus habitués aux romances sirupeuses ou aux histoires de sexe sans concession. Comme quoi, tout évolue ! Et ce sujet est peut-être le nouvel Eldorado de l’édition pour capter un lectorat féminin moins soumis et plus ouvert : afin qu’il se sente, enfin, appartenir à une société qui ne le traitera plus seulement comme un objet.

Peu connu en France, Aoi Makino risque de se faire une place dans la catégorie des artistes ayant quelque chose à dire avec « Sayonara Miniskirt ». En 2020, ce titre a d’ailleurs remporté, au Japon, le prestigieux prix Kono manga ga sugoi dans la catégorie shôjo. Avant cela, Panini avait publié une première série « The End of the World », dont les quatre volumes sont sortis entre 2013 et 2014. Depuis, ce sont surtout des histoires courtes qui ont maintenu la popularité de la mangaka. Ces histoires sortent également en français chez Soleil, dans un recueil assez copieux de 336 pages sobrement intitulé « Histoires courtes d’Aoi Makino ».

Gwenaël JACQUET

« Sayonara Miniskirt » T1 par Aoi Makino
Éditions Soleil Manga (6,99 €) — ISBN  : 9 782 302 081 918

Galerie

2 réponses à Adieu la minijupe, bonjour le féminisme !

  1. PATYDOC dit :

    Tiens, cet article me fait penser qu’il n’y a pas de femmes dans la rédaction de BDZOOM ?

  2. Gwenaël Jacquet dit :

    Il y en avait, mais personne ne s’est de nouveau proposé depuis.

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