La disparition des cultures indiennes…

Joe Sacco, on le sait, n’est pas du genre à faire court, ni à survoler les sujets qu’il traite. Avec « Payer la terre », l’éditeur est même obligé d’ajouter deux sous-titres en couverture pour éclairer le futur lecteur. À gauche du titre : « À la rencontre des premières nations des territoires du nord-ouest canadien » et, en-dessous, « Redonner à la nature ce que la nature nous a donné ». Vaste programme ! Et pourtant, tout n’est pas dit, car l’album de Sacco, c’est bien plus que cela…

Dans le domaine des reporters-dessinateurs, Sacco est un exemple incontesté. Depuis « Palestine », en 1996, « Gorazde » ou « Gaza 1956 », on le sait engagé, soucieux des détails, précis dans ses explications, proche du terrain et des gens. Avec près de 260 planches très denses, ce nouveau titre ne fait pas injure à sa réputation. L’Américain qu’il est s’intéresse cette fois à un pays tout proche de lui, frontalier même, avec les Denes, autrement dit les premières nations du nord-ouest canadien. Pas plus de 45000 personnes vivant en-dessous de l’Arctique dans un espace qui ne dépasse pas France et Espagne réunies, entre les états du Yukon et du Nunavut.

 

Ce peuple – ce que veut d’ailleurs dire dene -, comme beaucoup d’autres sur la planète, a une culture qui, au contact des colons, se perd, se dilue, disparait. Sacco s’attache dans un premier temps, par le biais d’interviews, à restituer, reconstituer, ce qui faisait les fondamentaux, les piliers des mœurs indiennes. Leurs rituels démontrent à tout instant le profond respect qu’ils ont pour leur environnement et toutes les précautions qu’ils prennent pour ne pas le dénaturer, mieux : pour honorer ce monde naturel qui les accueille, ces animaux qui les nourrissent et les habillent.

 

Bien évidemment, avec le monde qui s’est imposé à eux, les colons, les premiers avions, les camionneurs en tous genres, tout a basculé. Le pétrole, notamment, pour lequel on a défriché à outrance et développé un réseau routier perturbateur et spoliateur. Pour un peuple qui entendait toujours « payer la terre » pour ce qu’elle leur donnait, la réalité est terrible, dévastatrice, poussant au désespoir, à l’alcool… Les témoignages recueillis sont accablants, notamment concernant l’assimilation forcée des jeunes « sauvages » par le biais d’écoles et de pensionnats qui imposaient, souvent violemment, langue anglaise et christianisation, provoquant peu à peu une coupure irrémédiable entre ces enfants et leurs parents. Sacco démonte tous les mécanismes qui ont ainsi, peu à peu, au cours du XXe siècle, dénaturé les Denes et détruit les relations sociales ancestrales. Les autorités gouvernementales ont en effet tout fait pour détruire les autochtones et elles y sont, en grande partie, parvenues.

 

Sacco s’intéresse tellement aux gens qu’il les montre, les portraiture, à l’infini. Il n’est pas du genre à faire du décor pour du décor. Il lui faut des individus, partout. Les Indiens sont là, tout le temps, dans leur vie quotidienne, leurs inquiétudes, leurs combats. Graphiquement, Sacco varie le montage, beaucoup de ses planches proposant des constructions mêlant savamment textes abondants et dessins réalistes. Certes, il faut du temps, de la patience et un intérêt certain pour le sujet  abordé pour lire un tel ouvrage, tant Sacco parle beaucoup en marge de ses dessins, des dessins dont les composants essentiels sont des personnages, mais le bilan d’une telle lecture vaut bien cet effort.

 

Didier QUELLA-GUYOT ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/

[L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook.

« Payer la terre » par Joe Sacco

Éditions Futuropolis/XXI (26 €) – ISBN : 978-2-7548-1855-1

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