Vacances d’été, vacance de vie ?

Les vacances : par définition, ce mot signifie le vide, le temps de rien à remplir, le temps sans emploi du temps, le temps qui dépend du beau et du mauvais temps, le temps de prendre son temps, le temps de ne rien faire, surtout quand on ne sait pas l’occuper. Dans « L’Été à Kingdom Fields », Jon McNaught suit ainsi une mère et ses deux enfants partis sur la côte, le tout restitué dans un style graphique incroyablement fascinant…

Jon McNaught raconte tout, du trajet  vers la côte au retour, en passant  par toutes les étapes même les plus insignifiantes qui, paradoxalement, sont de loin les plus signifiantes. Elles révèlent en effet les états d’âme de la petite famille, la situation fragile de ce trio qui s’ennuie, qui échange peu. Le fils s’oublie dans les jeux vidéo à tout bout de champ, des jeux guerriers, évidemment. En parfait ado, il s’isole, vagabonde. Au retour d’une de ses balades, elle tente de savoir ce qu’il a fait, mais la communication est elle aussi en « vacance ». Pas plus de réseau entre eux que sur leurs mobiles. La sœur, plus jeune, est heureusement plus réceptive aux tentatives de la mère de lui faire découvrir les lieux qu’elle a connus elle-même étant enfant. Mais, lors d’une visite de grotte, loin de partager les émotions de l’adulte, elle s’intéresse à des éléments anecdotiques.Les pages sont d’ailleurs plutôt muettes. Pas de long discours, juste des mosaïques d’images. Le lecteur est invité à observer, comme l’autorise un trajet en voiture, des détails du décor, des choses à peine entrevues, une enseigne, des moutons dans un champ… Dans le fast-food, la conversation se fragmente, les bruits, des mots du décor, des objets sans intérêt s’imposent. Alors que la gamine se détend dans l’aire de jeu, le frère s’abrutit déjà dans les jeux vidéo… Les voilà enfin à Holiday Park, dans un camp aux mobile-home identiques où la vie ordinaire reprend son cours. Le trio a juste déplacé son ennui.

Jusque-là, on pourrait dire que Jon McNaught ne nous apprend rien sur ce que peuvent être des vacances avec enfants qui s’isolent ou qui sont imperméables aux souvenirs familiaux, mais pour nous le faire partager, il use d’un découpage de l’action et de ses planches incroyablement astucieux. Le morcellement de la page – c’est le propre de la BD – pousse jusqu’au bout les possibilités visuelles : du dessin pleine page, voire sur double page, jusqu’à éclatement en 35 cases pour  fragmenter ce que vivent les personnages, ce qu’ils voient. Pourtant, que des cases sagement alignées, du gaufrier jusqu’à saturation, de la géométrie parfaitement organisée avec des jeux savants pourtant de croisements de décors, de symétries formelles jouant des colorations à dominante bleutée ou rosée. Bref, une esthétique du vide, de l’ennui, souvent savoureuse.

On ressort de cet album, aussi désappointé que fasciné : on revient sur les planches, on refait le chemin de certaines et on découvre à chaque fois la minutie de la narration et le talent qu’il faut pour raconter le rien et mettre le vide en images. C’est d’autant plus  plaisant que le jeu des noirs et blancs assez épais, rehaussée d’une couleur (bleutée ou rosée, quelquefois un peu les deux) répond à un travail spectaculaire sur la lumière et le relief.

Il faut se plonger dans cet album sans chercher l’aventure, sans chercher la surprise. On est là pour observer ce qui défile en voiture sous les yeux des personnages, ce qu’ils voient sans le voir dans un magasin, ce qu’ils enregistrent sans vraiment apprécier dans un musée, et c’est au bout du compte une incroyable critique de la banalité. Case par case, des morceaux de vie, une vie en morceaux… Rien d’autre ? Voire.

Didier QUELLA-GUYOT ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/

[L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook.

« L’Été à Kingdom Fields » par Jon McNaught

Éditions Dargaud (18 €) – ISBN : 978-2-2050-8208-1

 

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