Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Watchmen » revient aux fondamentaux !
« Watchmen », la série mythique d’Alan Moore, Dave Gibbons et John Higgins, revient en France sous forme de feuilleton : telle que les Américains l’ont découverte en 1986. Même si aujourd’hui « Watchmen » est considéré comme un roman graphique dans sa version reliée, il s’agit bien, à l’origine, d’une série de comics en douze épisodes distribués mois par mois.
Si les comics en français se portaient bien dans leurs versions presse dans les années 1980, c’est principalement grâce aux éditions LUG qui proposaient une gamme riche de séries issues de l’univers Marvel. Son principal concurrent, les éditions Aredit essayaient, de leur côté, de publier des titres plutôt issus du catalogue DC, mais sans grande conviction : aucun suivi des séries et peu de titres phares qui auraient pu captiver les adolescents de l’époque. C’est dans ce contexte qu’ils lancent les premiers épisodes de « Watchmen », en toute discrétion, fin octobre 1987.
La série vient de se terminer aux États-Unis et jouit d’une immense popularité. Hélas, au bout de deux numéros, sans aucune explication, la publication est stoppée. Un mal pour un bien, car la traduction, non créditée, ne prenait pas en compte les subtilités scénaristiques glissées par Alan Moore dans son œuvre. Il faut attendre 1992 pour que les éditions Zenda reprennent la série à raison de deux épisodes par album, tout en francisant le titre en « Les Gardiens ». La traduction de cette édition est l’œuvre du romancier Jean-Patrick Manchette, père de Tristan Jean Manchette, plus connu sous le pseudonyme de Doug Headline et l’un des fondateurs des éditions Zenda à côté de Jacques Collin et Frédéric Manzano. Saluée à l’époque pour son côté littéraire, retranscrivant au plus juste les écrits de Moore, cette version va disparaître avec la réédition effectuée par Panini en 2007. Si cette nouvelle édition n’est pas mauvaise, loin de là, elle n’a pas le style qu’avait développé Jean-Patrick Manchette et qui avait contribué à populariser « Watchmen » auprès des lecteurs français.
Doug Headline s’en est d’ailleurs étonné dans un commentaire posté en 2009 sur actuabd.com. On y apprend qu’il « … n’a été informé de l’absence de la traduction de son père de l’édition Panini qu’après la parution de celle-ci. » Puis, il retrace le parcourt de cette traduction : « En juillet 2008, j’ai appris de mon camarade Guy Delcourt, qui avait réuni comme on le sait en un seul beau volume l’édition Zenda des “Watchmen”, que DC Comics avait repris ses droits sur tous les titres que Zenda, puis Delcourt, avaient publiés et revendu tout cela à Panini. Pour des raisons économiques, semble-t-il, Panini a ensuite préféré faire tout retraduire plutôt qu’avoir à verser des droits au titre des traductions préexistantes. » Pourtant, il constate que « personne de chez Panini ne m’a jamais contacté ni rien demandé ou proposé pour l’utilisation de la traduction et, à vrai dire c’est dommage, car je leur aurai peut-être bien donné l’autorisation de l’utiliser gratuitement, simplement pour qu’elle reste disponible pour les lecteurs. Je trouve regrettable que l’excellent texte français de cette si extraordinaire BD, que mon père aimait beaucoup, ne soit désormais plus accessible que par le biais des librairies d’occasion. Peut-être qu’un de ces jours, la traduction de Manchette sera téléchargeable quelque part sur le web… ? Espérons-le ! »
Or, quand Urban Comics reprend en main l’édition française de « Watchmen », elle réintègre cette traduction originale pour ses deux éditions intégrales : l’une en couleurs et l’autre en noir et blanc et, bien évidemment, pour cette nouvelle publication en fascicules.
Alan Moore s’est depuis longtemps désolidarisé de ce qu’a fait DC de son bébé. Il n’aime ni le film de Zak Snyder, qui ne reprend qu’une partie de la trame des comics, ni le prequel publié sous le titre évocateur de « Before Watchmen ». Prequel étonnamment bien accueilli par le public et qui est également publié en français par Urban Comics, sous forme de 8 albums reprenant chacun le passé des Minutmens : la traduction ayant été confiée à Doug Headline, qui reprend ainsi le flambeau tendu par son père, il y a tout juste trente ans. Cette série est évidemment honnie par Alan Moore, lequel estime que l’on ne devrait pas toucher à son bébé, lui qui n’hésite pourtant pas à piocher dans ce qu’ont créé ses pères pour alimenter ses histoires en trahissant souvent l’œuvre maîtresse, comme dans « La Ligue des gentlemen extraordinaires ». Pour une fois, le génial scénariste devrait sortir de sa grotte et apprécier le travail considérable d’Urban Comics pour présenter au mieux son chef-d’œuvre.
Quand nous disons que les lecteurs français peuvent enfin apprécier cette vie sous forme de feuilleton comme les lecteurs américains des années quatre-vingt, c’est le fond : la forme étant quand même bien différente. Nous sommes face à des albums cartonnés, à la française, mais les couvertures sont heureusement respectées. Le dos, épais, dévoile les deux premières parties de la frise qui formera le masque de Rorschach, une fois les douze épisodes rassemblés. Le papier intérieur n’est pas couché, et cela change tout. Les couleurs ne sont plus criardes, même si certaines retouches, minimes, ont déjà été effectuées par le dessinateur Dave Gibbons et le coloriste John Higgins. Nous sommes donc face à l’édition contemporaine de « Watchmen », celle colorisée numériquement en 2005 : la seule qui subsiste aujourd’hui. Celle-ci diffère tellement peu des fascicules de la première édition que personne ne s’en offusque. Surtout quand Gibbons, lui-même, fait remarquer que « ne pas recoller ce qui n’a pas été cassé, telle a toujours été ma devise…/… je me contentai de réparer les étourderies et de retaper un peu une correction malvenue de la rédaction de DC » et Higgins de renchérir « dans la version en question (NDLR, celle de 2005), la couleur est exactement ce que j’avais visualisé pour “Watchmen”, et que les techniques d’impression des années quatre-vingt avaient rendu impossible ». (1)
En général, ce sont les intégrales qui suivent la publication en fascicule des séries à succès. « Watchmen » n’ayant jamais bénéficié, du moins en français, d’une telle édition, il est donc bon de revenir aux fondamentaux de ce qui a fait la mythologie de cette série : le récit publié en feuilleton, que le lecteur découvre épisode par épisode. Juste retour aux sources pour une série devenue un classique du roman graphique, sans en être un.
Gwenaël JACQUET
« Watchmen » par Alan Moore, Dave Gibbons et John Higgins
Édition Urban Comics (4,90 € chacun) – ISBN : 9 791 026 817 918
(1) Propos recueillis dans « Watching the Watchmen », édités en France par Panini Comics.
Les corrections évoquées concernent
- - l’épisode 10 : page 25, dessin 3, oubli du phylactère, rajouté par DC, et comme cela se voyait trop, Gibbons l’a refait lui-même en 2005 ; page 27, dessin 6, encore des textes mal corrigés, mais cela ne se voit plus.
- - l’épisode 11 : page 19, dessin 8, Ozymandia avait un reste de mèche en arrière comme dans sa jeunesse. Il a dorénavant retrouvé ses cheveux d’adulte.
Comme on le constate, ce sont des améliorations minimes. Ce sont surtout des erreurs qui ont été corrigées et non un changement radical.
Arédit a tenté une première édition de Watchmen dans ses fascicules de l’époque, je dois avoir un ou deux numéros dans ma collection.
Il me semble me souvenir que pour l’édition Zenda, Dave Gibbons avait produit des couvertures inédites.
Les couvertures de l’édition Zenda sont bien réservées à cette édition française. Les originaux sont d’ailleurs partis à un très bon prix lors de la vente aux enchères de mai 2017 où elles étaient proposées. Plus de soixante-cinq mille dollars pour la première représentant le Comédien et plus de vingt mille dollars pour les suivantes. Ces couvertures sont également visibles dans le livre « Watching the Watchmen ».
Réservées à Zenda, mais reprises également dans un portfolio édité par les éditions Déesse il y a bien longtemps.
Si on va par là, elles se trouvent également dans le livre « Watching the Watchmen ».
Le premier numéro publié par Arédit mettait en couverture The Question de Den O’Neil et Cowan (peinture de Bill Sienkiewicz). Outre une traduction bovine, il falllait se taper le lettrage mécanique de l’époque.
Le numéro en question est le second faisant apparaître Watchmen chez Aredit. Paru en décembre 1987, il comprenait l’épisode 3 de Watchmen, un épisode de Question, un de Shazam et un de Batman and the Outsiders. Le premier fascicule contenait pour sa part les deux premiers épisodes de Watchmen et un de Question.
Un recueil de ces deux fascicules est également sorti courant 1988. Il reprenait en effet cette couverture de Sienkiewicz et contenait donc les trois premiers épisodes de Watchmen. Voilà peut-être d’où vous vient cette idée que cette couverture ornait le premier volume de la série.
Non, non, le recueil reprenait bien la couverture du premier fascicule Arédit, avec la statue qui pleure. En tout cas, mon exemplaire est comme ça.
La traduction était effectivement catastrophique : par exemple, le Dr Manhattan va à un show télé, l’animateur lui dit « Avant tout, comment allez-vous, docteur ? » et le public est mort de rire. Bien entendu, la phrase originale était « What’s up, doc ? ». La vanne est naze, mais au moins elle fait sens.
Mais, au-delà de ça, cette version est graphiquement censurée (le couple nu en ombre chinoise que Rorschach observe a disparu). Je pense que si la publication s’est arrêtée aussi vite, c’est parce qu’Arédit avait dû acheter la série sans la lire, et qu’ils se sont rendus compte qu’ils auraient beaucoup plus de choses à censurer par la suite pour rester dans le cadre des publications pour la jeunesse (la nudité du Dr Manhattan, du Hibou ou de Laurie, plus une scène de viol et beaucoup de violence avec Rorschach).
N’ayant plus ce recueil des deux fascicules, ma mémoire me joue peut être des tours, ou alors il y a eu deux versions, ce qui ne serait pas surprenant. Quant à l’explication de l’arrêt prématuré de la série par Aredit, cela se tient et me semble très logique. La censure à l’époque surveillait particulièrement les comics traduits.
Oui, peut-être. Mais en 1987-1988, on est tout près de l’arret d’activité d’Arédit!
J’ai du mal à comprendre le ressentiment de Moore pour le film Watchmen qui était selon moi une adaptation plutôt réussie (les histoires de pirates ont été reprises dans un film d’animation repris en DVD. Qu’il soit furieux contre les adaptations-trahisons de League of EG et From Hell, admettons.
Au fait, quelqu’un sait il ce qu’il pense de la série TV du même nom? Je suppose qu’il ne l’a pas regardé, comme il ne va jamais au cinéma voir les adaptations de ses films.
Bravo Gwenael pour ce superbe article. C’est goûteux.
Amitiés,
Bonjour Gwenael!
Les couleurs et les perspectives, les angles de vues sont remarquables et méritent qu’on s’y arrête, au moins visuellement. C’est assez inspirant.
Pour tout te dire je suis tombée sur ce site en faisant des recherches, je ne te trouve pas sur les réseaux sociaux et je voulais savoir ce que tu deviens ?
Tu ne te souviens probablement pas de moi, j’ai été stagiaire il y a longtemps chez ID Studio, à l’époque j’étais en bachelor communication visuelle..
Belle journée à toi.
Cloé.