Désormais privé de son regretté scénariste et ami Hubert, le dessinateur Zanzim nous revient en auteur complet, quatre ans après le succès public et critique de leur « Peau d’homme » (1), avec un roman graphique aussi drôle que tendre et profondément humaniste. Il nous narre l’histoire tragico-comique de Stanislas : un petit – 1,57 m — vendeur de chaussures introverti, complexé et fétichiste, rejeté par tous. D’autant plus qu’il n’est également pas très grand dans sa tête, car il se comporte, la plupart du temps, de façon carrément maladive par rapport aux femmes (surtout si elles sont de grandes élégantes !) et que son gabarit va encore diminuer après avoir fait le vœu de devenir « un grand homme », au point de n’être pas plus grand qu’un insecte… : mais, au fait, que signifie être un grand homme ?
Lire la suite...F’murr et son chevalier à la triste figure
Avec F’murr (1946 – 2018), auteur du célébrissime « Génie des alpages », l’humour noir et absurde, la dérision et les clins d’œil littéraires ou historiques ont toujours la part belle ! Aussi, lorsque le piteux chevalier qu’ils viennent de recueillir débute le récit de ses malencontreuses péripéties, ses compagnons de route – pas plus que le lecteur – ne s’attendent à une geste digne des belles légendes arthuriennes… Ce seigneur de camelote va de fait enchaîner les pires déboires, entre digressions loufoques et pensées poétiques. Actuellement réédité par Dargaud, ce titre (initialement paru en 1990 chez Casterman) avait été distingué par un Alph-Art de l’humour lors du Festival d’Angoulême en 1991.
Passionné par Hergé, Franquin et le Journal de Mickey, Richard Peyrazet adoptera pour sa carrière d’auteur le pseudonyme de F’murr (ou F’murrr), en référence au « Chat Murr », un roman inachevé d’Hoffmann paru en deux volumes (1819 et 1821). C’est dans Pilote et grâce à Goscinny que F’murr créera en 1973 son délirant « Génie des alpages », inspiré d’un authentique berger des Alpes qui, dixit l’auteur « ne se foulait guère et dont son chien faisait tout le boulot pour lui » ! La série, publiée jusque en 1989 et donnant lieu à 14 albums chez Dargaud, est désormais disponible sous la forme d’une intégrale débutée depuis mai 2019 (textes de présentation par Jean-Christophe Menu). Dans Fluide Glacial (1976), avec les gags de « Robin des boîtes », puis dans Métal hurlant et (À suivre) (1978 à 1984) avec l’histoire longue « Jehane d’Arc », F’murr croque déjà un Moyen Âge loufoque et empli de digressions. Ses références sont évidentes : à commencer par le sens du nonsense à la manière des Monty Python, quintessence du comique anglais qui donnera lieu notamment au film médiévalo-absurdo-délirant « Sacré Graal » en 1975. Rajoutons à cette sauce humoristique des ingrédients tels l’esprit caustique de Goscinny et Gotlib, héritiers naturels de Mad, la peinture religieuse et les légendes européennes, la poésie désenchantée de François Villon ou encore les visions surréalistes de Salvador Dali et Luis Buñuel.
Prépubliés dans les suppléments encartés des numéros 145 et 146 de (À suivre) en février et mars 1990 (sous les titres successifs de « Le Pauvre Chevalier : épopée désastreuse » et « Le Pauvre Chevalier : apothéose équivoque »), ce one-shot de 58 planches sera repris en album en 1990 et 2003 sous différentes couvertures caustiques. Héroïquement non désiré par l’entourage hostile du roi Arthur, juché sur une monture qui passe son temps à pleurer de désespoir, observant de manière dubitative la pluie de flèches qui s’abat dans un ciel plombé par de sombres présages, notre malheureux chevalier n’est qu’une silhouette dans un décor qui ne semble pas être fait pour lui. Sans nom, notre antihéros se définira lui-même comme le « baron nul, comte de surnombre, marquis de trop, seigneur de camelote ». On aura entendu meilleure présentation… Le fait de s’être pris les pieds dans son long manteau de cérémonie et d’avoir atterri sur les cuisses de la reine Guenièvre (palpées en secret par Lancelot) y serait-il pour quelque chose ? Humilié et rabaissé, réduit à dormir dans la niche du chien dont il partage la pitance, notre looser picaresque ira de mal en pis, sous l’œil interloqué du financier Médius et de son porteur d’or, Métatarse. Les deux compagnons (qui sont en réalité des chevaliers travestis en modestes voyageurs) seront au fil des pages les témoins désarmés d’une infortune où toutes ressemblances avec un manuel d’Histoire ou un hidalgo selon Cervantès ne seraient que pures coïncidences. Ou pas !
Tour à tour cruelles et sensibles, libertaires et philosophiques, ironiques et rabelaisiennes, les mésaventures du « Pauvre Chevalier » sont composées de flashbacks, d’épreuves et de détails parasitaires qui envahissent tous les plans, tous les dialogues et toutes les rencontres. Hors-normes, décalé et anachronique (Robin des Bois et Jeanne d’Arc y trinquent ensemble), ce titre inclassable pourra à sa manière trouver des échos dans les plus récents « De Cape et de Crocs » (Ayroles et Masbou, 1995 – 2016), « Traquemage » (Lupano et Relom, depuis 2015), « Chevalier Brayard » (Zidrou et Porcel, 2017) ou « Les Indes Fourbes » (Ayroles et Guarnido, 2019). Un album qui permettra de réaffirmer que F’murr est l’un des plus grands auteurs de la BD d’humour contemporaine.
Philippe TOMBLAINE
« Le Pauvre Chevalier » par F’murr
Éditions Dargaud (22,50 €) – ISBN : 978-2205080407
Bonjour,
Malheureusement cet album ainsi que Les aveugles ont disparu de la liste des nouveautés Dargaud de novembre et ne semblent pas reprogrammés.
Cdt.
Tiens, oui! Il n’est même pas reprogrammé….
Je dois avouer avoir douté de la programmation Dargaud, ayant finalement choisi de traiter cette réédition qui permet de reparler de F’murr avant 2020 … et les nouvelles sorties.
Bonjour, Je suis étonné de ne pas voir citer Gus Bofa / La guerre de 100 ans, certainement plus proche des ces histoires de F’Murr (j pense aussi aux Aveugles) que Les Indes fourbes ou tous ces titres très postérieurs ????… Sans oublier les deux très belles eaux-fortes (il n’y en a quasiment pas dans le monde de la bande dessinée) éditées par la librairie Métal Hurlant pour permettre, déjà au milieu des années 90, de relancer un peu la vente des deux livres délaissés par Casterman (ce ne fut pas leur meilleure période…) : j’ai des scans si vous souhaitez agrémenter ce billet… et si Dargaud réédite Les aveugles ?…