Du beau, du bon, du Bolland !

« Judge Dredd contre Crève », « Batman Killing Joke », « Camelot 3000 », « The Invisibles », « Animal Man »…ces quelques titres suffisent à récréer une image mentale à toutes celles et ceux qui ont un jour croisé le dessin de Brian Bolland, artiste britannique ayant fait ses premières armes dans la revue anglaise 2000AD, avant de réaliser la plus grosse partie de sa carrière chez l’éditeur qui le fascinait enfant : DC Comics.

Lire un artiste commenter ses propres dessins procure toujours un plaisir immense. Lorsqu’il s’agit d’un des dessinateurs les plus emblématiques du monde des comics, il va sans dire que ce plaisir est encore plus grand. Procédant par personnages et série, après avoir introduit son propos sur trois pages, Brian Bolland explique comment il a été amené à dessiner telle couverture, ou ensemble de couvertures, quelles influences il a pu subir, et quelle technique il a utilisée. L’occasion d’une iconographie riche, en couleur, alternant petites et grandes images, mais aussi des études et crayonnés, parfois inédits. Des anecdotes et réflexions personnelles accompagnent ces notes techniques, permettant de mieux connaître l’humain derrière l’artiste. C’est une occasion rare, en français, à part lors d’entretiens ou d’interviews dans des revues spécialisées, de découvrir ses propos posés.

Les thèmes sont nombreux, pour quelqu’un ayant travaillé pour une grosse maison d’édition telle DC, mais celui de la femme, et de sa représentation n’est pas le moins intéressant. La partie consacrée aux 38 couvertures de Wonder Woman (réalisées à partir de 1992, et du numéro 62) sont à cet égard assez évocatrices et permettent de se rendre compte de l’évolution des mentalités au fil du temps, même si la censure opérait encore (ou déjà) dans les années 1990.L’artiste évoque à plusieurs reprises sa passion pour les portraits accrocheurs, et/ou les scènes hyper dynamiques des couvertures de comics lorsqu’il était enfant, et fait part de son adhésion à une certaine vision de la femme, issue entre autre des « Swinging Sixties », qu’il a vécues et qui lui ont parfois fait dessiner des héroïnes peu habillées, ou dans des situations embarrassantes. Images souvent retoquées ou légèrement censurées par l’éditeur. Le fait de trouver le crayonné préparatoire d’un autre dessinateur, sur le projet d’une planche devant servir de couverture, a aussi un peu frustré l’auteur à ses débuts, il s’en explique.

Lorsque le jeune Bolland imitait ses "maîtres".

On feuillette et compulse cet imposant et beau livre, à la fois comme une galerie d’images merveilleuses, reproduisant par la même l’effet ressenti par l’auteur devant les kiosques étant enfant, mais on s’arrête à chaque page, pour lire le texte pertinent, très justement équilibré dans une maquette au top, très aérée. Ce beau livre, paru à l’origine en 2011, sous le titre « The DC Comics Art of Brian Bolland » méritait une parution française. C’est chose faite, pour le plaisir des amateurs. On regrettera juste que le titre original n’ait pas été gardé, « L’Art de la couverture » laissant à croire à tort que l’on trouvera un aperçu global de la carrière de l’auteur, ce qui n’est évidemment pas le cas. Ce léger bémol étant posé, « Brian par Bolland » fera un cadeau particulièrement adapté et apprécié sous le sapin cette année.

« Camelot 3000 » par Brian Bolland et Mike W Barr

An 3000, les extraterrestres ont envahit la majeure partie de notre planète, et l’Angleterre tente tant bien que mal de ne pas sombrer entièrement. Tom, un jeune assistant archéologique, se réfugiant sur le site de Glastonbury Tor, va être à l’origine du réveil de celui que l’on a nommé : le roi Arthur…

On pourra penser ce que l’on veut, mais cette saga écrite entre 1982 et 1985 sur douze numéros, et que les lecteurs français ont découvert dans les pockets Aredit Artima Color DC Super Star des 1983, déploie, à première vue, tous les poncifs de la bande dessinée de gare que l’on pouvait trouver dans ces petits formats couleur. Récit improbable, mélangeant pure space opera et récit arthurien, (soit de la space fantasy), créatures extraterrestres hideuses, couleurs criardes typées… tout ce qui pourrait éventuellement rebuter un.lecteur un peu trop rapide. Mais à bien y regarder et lire de plus près, deux éléments s’imposent : 1) le dessin. Si Brian Bolland était au début de son ascension professionnelle, il possédait déjà un trait et un encrage remarquable, bien qu’ici aidé par une équipe d’encreurs dédiés, afin de respecter les délais, et le nombre élevé de ses planches et couvertures, (plus de 300 pages) incite l’amateur à reconnaitre qu’il s’agit sans doute d’une de ses réalisations les plus importantes, et donc indispensables.

Juste remarquer que ce travail , dans ces conditions précises, évoquera beaucoup celui de son contemporain John Byrne, sur un titre comme les « Next Men », réédité d’ailleurs récemment par les éditions Delirium. Mais on se reportera au superbe « Killing Joke », réédité lui aussi en édition ultime il y a peu (Urban Comics), ou au livre « Brian par Bolland » afin de se régaler de pages au style plus rond, aux encrages réalisés par le dessinateur lui-même. 2) Les thèmes sous-jacents abordés (transsexualité, lesbianisme …) parmi d’autres, évoqués d’ailleurs par Mike W Barr dans son introduction, forcent le respect et obligent à lire cette histoire avec une attention toute particulière, au delà d’une simple distraction que pourrait apporter un autre format poche, plus quelconque, de la même époque. Il faut rappeler que « Camelot 3000 » a été lancé en 1982 par DC Comics, dans un but commercial bien précis : présenter cette histoire comme l’une des premières à être diffusée dans le circuit direct en dehors des comics shop, avec une présentation plus luxueuse qu’à l’habitude. Une ambition qui a entre autre permis au titre de ne pas dépendre de la fameuse (fumeuse) Comic Code Authority. Et cela se ressent forcément, en dehors, bien entendu, de la reprise, modernisée, du mythe arthurien, servant ici de base.

« Camelot 3000 » se révèle comme un délicieux mélange entre le classicisme de « Prince Valiant », avec son lot d’aventure, de batailles et de quête du Graal, et un récit de SF plus moderne, comme DC Comics a pu en offrir dans les années quatre-vingt. Et si l’on pensera assez naturellement à la saga « Crisis on Infinite Earths », qui définit assez bien les délires stylistiques et scénaristiques de cette époque, on rappellera seulement que ce titre-là n’a frappé les kiosques qu’en 1985 seulement. Sacré Graal ! Une intégrale culte, et classieuse dans sa présentation, indispensable à tout amateur de comics aimant le vintage.

Franck GUIGUE

« Brian par Bolland :  l’art de la couverture » par Brian Boland
Éditions Urban Comics (29 €) – ISBN : 9791026810155

« Camelot 3000 » par Mike W Barr et Brian Bolland
Éditions Urban Comics (35 €) – ISBN : 9791026820154

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