Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« La Trilogie marseillaise » débute chez Bamboo avec « Marius »
Lancée en 2015 sous le label Grand Angle (Bamboo), la collection Marcel Pagnol en BD permet aujourd’hui de retrouver l’un des plus grands classiques de l’enfant d’Aubagne : « Marius », premier acte théâtral de la « Trilogie marseillaise » (avec « Fanny » et « César ») retrouve sous le trait dynamique de Sébastien Morice toute sa lumière méditerranéenne. Obnubilé par son attirance pour les destinations lointaines, le fils du cafetier César – patron du Bar de la marine – ne voit pas l’amour que lui porte Fanny, la marchande de coquillages. Afin de rendre Marius jaloux, elle se laisse courtiser par Panisse, un vieil ami de César… Le premier pas d’une tragédie qui verra l’amour et la jeunesse sacrifiés au profit des conventions sociales et d’un honneur illusoire.
Plusieurs fois évoquée dans nos actualités et chroniques (voir « Jazz » en 2017, « Cigalon » et « Marcèu Pagnol parle provençal » en 2018 ou encore « Les Pestiférés » en 2019), la collection « Marcel Pagnol » totalise actuellement 13 titres, les plus notables étant réunies ce mois-ci dans le coffret « Souvenirs d’enfance » (« La Gloire de mon Père », « Le Château de ma mère », « Le Temps des secrets » et « Le Temps des amours »). Temps fort attendu, l’adaptation de la «Trilogie marseillaise » devait réussir un pari de haute volée : rendre avec fidélité les personnages hauts en couleurs de Pagnol sans verser dans la copie conforme des précédentes adaptations cinématographiques, ni renier le patrimoine visuel et cinématographique légué par Raimu, Pierre Fresnay ou Oran Demazis, sans compter Pagnol lui-même… Un pari hautement réussi par les auteurs, notamment grâce à la souplesse de la transposition du texte et à la beauté des planches du Breton Sébastien Morice, lequel nous avait précisément déjà épaté en mettant en scène d’autres atmosphères maritimes (citons « Papeete 1914 » en 2012 et « Facteur pour femmes » en 2015, albums tous deux scénarisés par notre collaborateur Didier Quella-Guyot, spécialiste des BD voyages).
Initialement, Marcel Pagnol conçoit successivement « Marius » (1929) et « Fanny » (1931) pour le théâtre, écrivant plus tardivement « César » en 1936 afin d’en faire un film. Installé à Paris mais nostalgique des vieux quartiers et des petites rues de Marseille, Pagnol cherche à en illustrer l’accent et la psychologie, aidé en cela par la recherche d’interprètes et d’acteurs méridionaux : Raimu jouera en conséquence le rôle de César, Orane Demazis (créatrice de « Jazz » en 1926) interprétera Fanny et Fernand Charpin sera Panisse. Créée en mars 1929 au théâtre de Paris, la pièce est un triomphe tandis que la scène de la partie de cartes entre dans la légende littéraire. En 1931, la pièce est adaptée en film par la Paramount et le Britannique Alexander Korda : réalisé en collaboration avec Pagnol, le film deviendra à son tour un mythe. Plus récemment (2013), Daniel Auteuil livrera sa propre version de « Marius » et « Fanny », se réservant le rôle emblématique de « César ».
Comme l’illustre encore à mi-mots cette première partie de « Marius », le fils de César, vit une existence partagé entre l’irrépressible appel de la mer et son amour pour la belle Fanny, marchande sur le Vieux-Port de Marseille. Ce décor est précisément le meilleur moyen d’échapper au canevas cinématographique initial, encore dicté dans les années 1930 par les lourdes contraintes techniques (tournage en studio, cinéma parlant balbutiant, caméras de 80 kg, etc.). à l’inverse, employant le numérique pour visualiser et finaliser ces décors (en 3D) et sa colorisation, Sébastien Morice pouvait non seulement sortir du Bar de la marine, multiplier les angles de vue ou les extérieurs, reconstituant pour l’occasion le quartier Saint-Jean, sur la rive nord du Vieux-Port. Rappelons que, dynamités par les Allemands en 1943, les quatorze hectares de cet ancien quartier populaire (il est vrai gangrené par la pègre, la misère et la décrépitude) furent dès lors réduits à néant. Concernant la genèse de ce titre, on pourra lira avec grand intérêt le dossier making-of adjoint en fin d’album, qui explique notamment les rapports entre Pagnol, la cité marseillaise et la Provence. Redevenue joyeuse et colorée dans l’œuvre fictionnelle de Pagnol, Marseille revit littéralement tout au long des cinquante premières planches de ce diptyque qui, espérons-le, méritera de connaître – tel « Marius » en son temps – un retentissement international. Qui a dit, peuchère, que l’on exagère ?
Philippe TOMBLAINE
« Marius » T1 par Sébastien Morice, Serge Scotto et Éric Stoffel [d'après Marcel, Pagnol]
Éditions Bamboo/Grand Angle (14,50 €) – ISBN : 978-2818967416
Sébastien Morice est vraiment très bon.Il y a bien sûr le dessinateur, le narrateur, mais il y a aussi (surtout?) le coloriste,à la fois audacieux et subtil,très efficace. Un coloriste à prendre en exemple, qui prouve que la couleur numérique bien utilisée est un vrai plus,loin de toutes ces colorisations bancales qui parasitent actuellement beaucoup trop de BD.
En plus Morice est en progrès constant.Voilà un auteur à suivre.