L’homme de la quatrième dimension : de Syracuse à New York, en passant par Antioche…

Alors que la chaîne Canal Plus propose, ce mois d’octobre, une relance de la série « Twilight Zone », produite et présentée par Jordan Perle, un jeune auteur déjà publié à plusieurs reprises en France rend hommage à l’une des figures les plus emblématiques de la culture populaire : Rod Serling, créateur de cette « Quatrième dimension ». La qualité et le propos de cet étonnant roman graphique devraient participer à propulser davantage Koren Shadmi sous les lumières.

Rod Serling se présente en 1943, alors qu’il a tout juste 18 ans, dans la base de Taccoa en Géorgie, afin de s’engager comme parachutiste. C’est sa passion, et malgré sa petite taille, qui va le mettre de côté, il va s’imposer auprès du commandement, jusqu’à obtenir gain de cause. Il partira dans le Pacifique où il participera à différentes actions militaires, avant d’être rapatrié, en 1945, suite au décès brutal de son père.

Il va reprendre des études à Antioche, être diplômé Bachelor of Arts, puis va finir par être embauché comme directeur de la radio du campus : ABS. C’est là, à partir de 1948, qu’il va commencer à créer ses premiers feuilletons fictionnels. Il se marie à Carol et enchaîne l’écriture de scripts pour la radio, sans succès, terminant cependant troisième au concours du Dr Christian’s Show, ce qui l’encourage. En 1951, 7 Grady Everett for the People » trouve enfin un acquéreur pour la série Stars Other Hollywood, lui permettant de travailler pour le milieu de la télévision, encore balbutiante.Contacté 2 ans plus tard par Blanche Gaines, agent littéraire à New York, il y déménage, commençant un travail de scénariste pour le petit écran. En 1955, « Patterns », succès critique, va le révéler au public et lancer sa carrière.Débordant d’imagination, mais devant lutter contre les règles imposées d’une industrie censurée par certains comités réactionnaires et l’omniprésence des publicistes, il va rôder ses idées au sein de l’émission Playhouse 90. Ce sera le succès de « Requiem for a Heavyweight » en 1956. Mais chaque script pour l’émission n’obtiendra pas le même score, l’obligeant à penser à une autre stratégie pour faire passer ses idées, faites de souvenirs de guerre, de lectures de récits de science fiction, et de sa conception toute humaniste et engagée de la société. Il invente alors le concept de l’anthologie « The Twilight Zone », abordant frontalement le concept de science-fiction, délivrant un premier épisode : « Time Element », que CBS lui achète…pour l’enterrer aussi vite dans ses archives.Ayant déménagé à Los Angeles, c’est à la fin de l’année 1957 que va se produire néanmoins un rebondissement, lui permettant de produire finalement cet épisode pour la télé, début d’un cycle de cinq saisons, de ce qui va devenir une des séries fantastiques les plus cultes qui aient jamais existé. Celle-ci lui offrira une célébrité toute relative, dont il jouira au moins jusqu’en 1964, fin de Twilight Zone, puis ensuite sporadiquement, au fil de projets où il se fera petit à petit évincer de la création artistique, jusqu’à son décès subit, d’une crise cardiaque, intervenu en 1975. (1)« Twilight Zone » (« La Quatrième dimension » en français), est une série originale, absolument étrange, et en avance sur son temps, qui a été diffusée entre 1959 et 1964 aux États-Unis. Forte de 156 épisodes, répartis sur cinq saisons, elle a du recourir à d’autre scénaristes, Rod Serling ne pouvant assumer la charge au plus fort du succès. Richard Matheson, écrivain reconnu déjà à l’époque, des classiques « Je suis une légende » ou « L’Homme qui rétrécit » en a fait partie, comme Chuck Beaumont, auteur du célèbre épisode « The Howling Man », tiré d’une de ses nouvelles, mais aussi Ray Brradbury. De nombreux acteurs, déjà connus, ou appelés à devenir des stars, ont aussi participé au casting. Citons : Buster Keaton, Robert Refford, Robert Duvall, Julie Newmar, Burt Reynolds, Charles Bronson, Willam Shatner, Denis Hopper, Ron Howard, Veronica Cartwright, Marti Landau, Lee van Cleef, Peter Falk, Sydney Polack, Dick York, …etc.Koren Shadmi, la trentaine, est un auteur ayant grandi en Israël. Il n’a pu découvrir indirectement la série culte qu’à l’occasion de sa rediffusion en 1985, presque la même année à laquelle le public français a pu aussi se réjouir de la série, dans l’émission « Temps X » (mars 1984), après douze premiers épisodes diffusés en 1965. L’auteur regarde finalement la série entièrement en 2009, lorsque la plateforme Netflix la propose. Ayant été accompagné toute son adolescence par des appels du pieds citant cette œuvre, il réalise alors son incroyable acuité et qualité de sa réalisation. L’ambiance du générique, le ton de Rod Serling lors des présentations, l’imagination des scénarii, tout concourt à confirmer l’absolu génie de son créateur. Souhaitant aller plus loin et rendre hommage, Koren Shadmi se procure des livres sur la carrière et la biographie de Rod Serling, mais ceux-ci resteront de côté, d’autres projets devenant prioritaires. En 2016, alors qu’il cherche un nouveau sujet, le projet remonte à la surface. Le monde à alors changé, Donald Trump s’est engagé pour la présidence des États-Unis, et il va donner en tant que président, dès 2017, une coloration de « quatrième dimension » au monde qui nous entoure. De quoi conforter le jeune auteur, d’autant plus qu’entre temps, il a pu découvrir les autres œuvres du génial pionnier de la télévision.« L’Homme de la quatrième dimension » n’est pas une biographie en BD comme les autres. Il doit être pleinement abordé comme un roman graphique à part entière, dans lequel Koren Shadmi s’est investit à 200%. Cela se voit dés les premières pages, grave à un dessin soigné, personnel, qui pourra toutefois évoquer, de loin en loin, les styles indépendants de collègues tels Joe Sacco, Harvey Pekar, ou Jonathan Case. Le dessinateur ne se limite pas au petites cases et à un trait qui aurait pu être rigide, comme vu malheureusement sur d’autres biographies, trop souvent de simples commandes d’éditeurs. En vrai amateur passionné, il dessine avec amour ses personnages, les resituant avec justesse et classe dans les années cinquante, apogée de cette aventure, et propose de plus une mise en scène particulièrement délicieuse. Celle-ci ne déroule pas en effet en continu le fil de la vie de Sterling, mais lui offre un roman, celui d’une vie hors norme, avec un prologue bien vu et une conclusion « théâtrale  ». À ces occasions, il nous propose de superbes planches d’un noir et gris charnel, se déroulant dans un avion, où l’on s’attend à tout moment à voir surgir la bête du hublot de l’épisode « 20.0000 Feet » (Cauchemar à 20000 pied »).

Cette « (re)découverte » d’un auteur de cette trempe est la grande surprise de ce roman graphique, en plus de l’agréable immersion dans la vie « merveilleuse » de cet homme de télévision, exemple de l’humain à la tête dans les étoiles et les pieds bien sur terre, récipiendaire par ailleurs du plus grand nombre de Emmy Awards aux États-Unis (6, dont 3 pour cette série). Satisfaction pour un homme qui a été étudiant à l’Université d’Antioch, dont le moto est : « Be Ashamed to Die Until You Have Won Some Victory for Humanity » (Ayez honte de mourir si vous n’avez rien réalisé de glorieux pour l’humanité).
Dévorez ce roman graphique et plongez vous ensuite dans les précédentes publications de Koren Shadmi, publiées en majorité chez Ici-même, dont l’intrigant « Bionique » paru en 2018.

Franck GUIGUE

 

 

(1) « Twilight Zone », après sa vente en syndication à CBS, en 1965, a connu une sorte de « suite » plus ou moins réussie : « The Night Gallery », (créée en 1969), qui vit trois saisons dès 1970. À force de lutte, Rod Serling parvint à obtenir une production auprès d’Universal et NBC, mais il perdit la direction artistique, attribuée à Jack Laird. Une « parodie » de la Quatrième dimension, d’après lui, au final. Il est aussi reconnu pour sa participation au scénario du film de Franklin J. Shaffner « La Planète des singes » (1968). Une œuvre pour laquelle on devine encore bien, malgré quelques réécritures, la marque du « visionnaire ».

« L’Homme de la quatrième dimension : Rod Serling, pionnier de la télévision américaine » par Koren Shadmi
Éditions La Boîte à bulles (24 €) - EAN : 9782849533482

 

Galerie

3 réponses à L’homme de la quatrième dimension : de Syracuse à New York, en passant par Antioche…

  1. Thark dit :

    Effectivement, ça a tout l’air d’un « B(D)iopic » de haute tenue, passionnément réalisé par Koren Shadmi, avec toutefois un parti-pris graphique un peu moins personnel et ébouriffant que dans la plupart de ses autres albums (« Bionique », « Le voyageur » et « Love addict » pour ne citer qu’eux).
    Je suppose que, cette fois, il a voulu que son style privilégie une certaine sobriété, un classicisme qui fasse ressortir avec élégance une période télévisuelle à la fois audacieuse (par sa créativité débridée) et classieuse (par l’aura qualitative de ses réalisations devenues mythiques).

    Par contre, Franck, euh… c’est Rod SERLING, et non pas (livre) sTerling ! ;)

    • FranckG dit :

      Olalaaah.. merci Thark. Oui, on peut effectivement trouver un certain retour au classicisme sur cet album, bien que pour ma part, et en confirmant que l’on est loin du délire graphique de « Bionique », cet « Homme de la quatrième dimension » possède néanmoins de belles qualités de traitement noir et blanc et gris.
      Pour le nom écorché de notre génial créateur : mea culpa, maximus culpa. Le pire, c’est que je crois que je suis victime d’une hallucination, car j’ai, il me semble, toujours « vu » ou cru voir « Rod Sterling » depuis que je connais la série. Surement un truc d’une autre … dimension ! ? ;-)

  2. Thark dit :

    ps : ni « Tod Sterling » non plus… Arf arf ! ;)

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