Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...Sherlock Holmes : une affaire d’identité selon Brunschwig et Cécil…
Le 4 mars 1891, Sherlock Holmes devient un mythe en disparaissant dans les chutes suisses du Reichenbach avec son ennemi juré, le professeur Moriarty. Mais, pour le docteur Watson comme pour Mycroft Holmes ou Wiggins, un profond doute subsiste : qui était au juste ce détective, dont la réalité semble troublante ? Remontant le fil de son intrigant passé, l’enquête désacralise le résidant du 221 B Baker Street en plongeant dans ses secrets de famille. Lancée en 2006, la série se fond avec une grande habileté entre les lignes canoniques d’Arthur Conan Doyle : évoluant, enfant, dans l’ombre de son frère aîné, comment Sherlock est-il devenu « Holmes » ? Interview du scénariste Luc Brunschwig en fin d’article…
Récapitulons une nouvelle fois : créé en 1887 avec « Une étude en rouge », Holmes – qui possède le statut de détective privé consultant – effectuera une soixantaine d’enquêtes (4 romans et 56 nouvelles), toutes publiées jusqu’en 1927. Or, en 1891, Holmes disparaît lors du final du « Dernier problème », une nouvelle qui ne paraîtra dans le Strand Magazine qu’en décembre 1893. Pressé par son éditeur et son lectorat passionné, Conan Doyle se résoudra néanmoins à écrire « Le Chien des Baskerville » (1901 – 1902) puis à ressusciter son héros (en septembre 1903) dans « La Maison vide » (dont l’action débute en mars 1894), lui faisant dès lors vivre de nouvelles aventures dont la chronologie interne s’achève à la veille de la Première Guerre mondiale. Lors de la période clé du « Grand Hiatus » (1891 à 1893), Holmes est supposé avoir fait le tour du monde (France, Italie, Perse ou Tibet), mais le mystère de sa disparition a offert un vaste champ de possibles, tant pour les respectables holmesiens que pour les pasticheurs ou continuateurs de l’œuvre originelle.
Avec Brunschwig et Cécil, le lecteur avance – en compagnie de Watson et son épouse ou du complice Wiggins (l’ex-irrégulier de Baker Street étant à son tour devenu un détective amateur mais perspicace) – dans un écheveau investigatif destiné à éclaircir les circonstances de la disparition de Holmes et les contradictions qui en émanent. Pour les deux anciens amis du détective, en effet, plusieurs détails ne collent pas : c’est non seulement l’iconique Holmes, mais surtout son passé, sa personnalité multiple (à la fois esprit déductif brillant, mélomane, mais aussi misogyne et fragile cocaïnomane), sa famille (dont le père, Siger Holmes, ou son lien de parenté française avec le peintre Horace Vernet), ses failles, ce qui l’a construit (et peut-être détruit) qui doivent être repassés au crible. Après « Les Liens du sang » (T2 en 2008), « L’Ombre du doute » (T3 en 2012), « La Dame de Scutari » (T4 en 2015), voici donc un cinquième opus dorénavant annoncé comme l’avant-dernier de la série. En couverture, le jeune Sherlock, se tenant debout mais demeurant à moitié invisible, caché derrière une porte sombre, semble épier un entourage invisible. À moins que, suivant l’exemple de son frère aîné, il ne cherche à mieux saisir – voire à échapper pour de bon à… – ce pesant cadre victorien, dont le décorum rectiligne (chambranle, tableaux, etc.) traduit toute la charge psychologique.
Graphiquement, Cécil poursuit son intense travail, destiné tant à recréer les ambiances de la fin du XIXe siècle qu’à cerner chaque caractère et chaque époque, l’intrigue multipliant les flashbacks. Pour se faire, le dessinateur use de deux tonalités principales (sépia pour le passé, variation de gris pour le présent, ces camaïeux évoquant des images d’archives) et d’une réflexion permanente sur les cadrages, les regards, les éclairages (intérieurs, extérieurs, nocturnes, etc.) qui confère à l’ensemble une minutie toute picturale. L’on comprendra dès lors le (long) temps écoulé entre la parution des tomes 3 (2012), 4 (2015) et 5 (2019), rythme de production qualitatif lié à leur pagination respective (42, 43 et 48 pages). Aux vues de l’extrême qualité de l’ensemble, l’on recommandera aux lecteurs de prendre leur mal en patience – avec une tasse de thé… – en attendant le dénouement tout en réfléchissant aux indices potentiels (dont les incursions de la quadrichromie dans la série).
Donnons pour finir la parole au scénariste Luc Brunshwig, qui nous a fait le plaisir de répondre au questionnaire suivant :
Si la série joue sur les mystères tissés entre passé et présent, elle constitue aussi (depuis son lancement en 2006) un défi à la patience et à la sagacité des lecteurs. Comment s’assurer de ce suivi à travers le temps ? Est-il simple pour votre travail scénaristique d’avoir des albums aussi espacés ?
Luc Brunschwig (L. B.) : « Je n’ai pas de bonne réponse en ce qui concerne cette patience que nous demandons à nos lecteurs. Je dirais simplement qu’on ne peut pas faire mieux. Qu’on a essayé, mais que ça n’a jamais réussi. Que l’investissement de Cécil est total mais extraordinairement chronophage, que ce soit en terme de documentation (extrêmement précise) ou d’exécution de ces planches. Il est d’une exigence absolue, tant pour la justesse de la narration, la profondeur du jeu d’acteur, que pour la qualité purement graphique du rendu. Au final, on essaie de donner à nos lecteurs le meilleur album qu’on pouvait leur donner. On espère que cette « garantie » que nous avons tenue jusqu’ici et que nous espérons encore tenir avec ce 5e tome et le suivant qui sera le dernier, justifiera à elle seule la patience et l’intérêt qu’ils nous accordent depuis le début. En ce qui concerne mon travail scénaristique, disons que ça ne m’a jamais posé de problème. Au contraire, je suis un scénariste qui a besoin de temps et là, j’en ai eu – peut-être même plus que nécessaire (rires). « Holmes » est un projet ambitieux. Sans doute plus ambitieux encore que ce qu’on s’imaginait au départ. Le temps nous permet de mûrir nos envies et notre vision sur cette époque (l’Angleterre Victorienne) qui nous était complètement étrangère (en dehors des lectures holmesiennes) quand nous avons décidé d’en faire l’un des personnages principaux de ce récit. »
Les Holmesiens savent que, finalement, Holmes n’est pas mort en 1891 (ou 1893, pour reprendre la date exacte de la publication de « Le Dernier problème »). À quel degré avez-vous pris en compte cette donnée canonique ?
L. B. : « Nous en tenons compte, oh que oui. Nous allons même apporter une explication, plutôt inattendue je l’espère, au grand hiatus. Pourquoi Holmes n’est pas mort aux chutes de Reichenbach ? Pourquoi a-t-il disparu de la circulation pendant près de 3 ans avant de réapparaitre enfin… ? Mais comme c’est à venir dans le tome 6, je ne m’exprimerais pas là-dessus pour le moment. »
Au fil, des albums, les secrets de famille semblent s’amonceler, faisant douter de la réalité des propos, voire du personnage, de Sherlock : ce tome 5 est-il l’occasion de le remettre un peu plus directement en scène, en dépit de l’ombre tutélaire de Mycroft ?
L. B. : « Depuis toujours, Sherlock Holmes est raconté par son entourage… On ne le connait donc que par des « propos rapportés » (essentiellement ceux de John Watson, son biographe autoproclamé). Dans « Holmes » idem… Watson raconte (mais on découvre très vite qu’il n’a pas toujours été honnête sur ce qu’il disait de son ami). Puis ce sont ses proches, son frère Mycroft, sa mère Violet, son père Siger, Wiggins, l’apprenti détective, et son ancienne nourrice et gouvernante, qui s’expriment. On navigue donc en ignorant si ces gens sont honnêtes ou pas. Certains se révéleront être des affabulateurs, cachant des vérités inopportunes derrière de séduisants mensonges, alors que d’autres révèlent des vérités inédites sur Sherlock et les membres de sa famille. Ce tome 5 marque d’ailleurs un tournant puisque Sherlock y a enfin un vrai rôle et qu’on le découvre dans un contexte qui nous fait porter sur lui un tout autre regard, sans pour autant que le portrait qu’en dressait Watson sous la plume de Conan Doyle soit remis en question. C’est juste un autre éclairage qui donne un tout autre sens à ses traits de caractère et au don qui l’a rendu mondialement célèbre. »
6 tomes sont prévus, en lieu et place des 9 annoncés : a-t-il été si simple de « prévoir » ou « condenser » la fin de l’intrigue et le sort de chacun des protagonistes ?
L. B. : « Si c’était bien 9 tomes qui étaient prévus au départ, c’était 9 tomes de 32 pages… Depuis le tome 3, nous sommes passés sur des paginations plus importantes qui ne rendent plus nécessaire de pousser l’histoire sur un nombre de tome aussi élevés… et le dernier pourrait être encore un peu plus fortement paginés pour bien conclure la série. Il n’est pas question qu’il y ait un personnage ou une révélation importante sacrifiés. Ce serait complètement aberrant, au vu du temps passé, de sacrifier la fin. »
Plusieurs versions (ou réflexions autour…) de cette nouvelle couverture ?
L. B. : « Cécil serait mieux placé que moi pour en parler et surtout pour vous montrer ses différentes pistes… Personnellement, j’étais parti (à titre purement personnel) sur l’idée d’une image posée, comme si les personnages posaient pour une photographie. On voyait Mycroft enfant, debout, avec le bras d’un homme posé sur son épaule, un homme avec une forte barbe et moustache très noire, et beaucoup de fumée de cigare… Le choix de Cecil est allé vers quelque chose de plus simple, plus tendu et plus direct qui est complètement à l’image de ce que je voulais raconter dans ce tome 5 : l’histoire de ces deux gamins qui assistent à la vie des adultes, les espionnent par des trous de serrure et essaient de comprendre ce qu’ils sont en train de faire (car ils sentent bien que quelque chose ne va pas dans la vie de leurs parents). »
Merci pour ces explications.
Philippe TOMBLAINE
« Holmes (1854/†1891?) T5 : Le Frère aîné » par Cécil et Luc Brunschwig
Éditions Futuropolis (13,50 €) – ISBN : 978-2-7548-1142-2
Une suite formidable qui nous rend impatient sur le dernier tome à venir. Un scénario de grande qualité faisant corps avec un dessin d’une expression immersive avec un jeu du présent passé présent si naturellement agréable et pédagogique. Un grand bravo pour une série de référence. Vivement le prochain tome. Merci.