« Préférence système » : sauvegarde de l’humanité…

« Ma préférence à moi…c’est l’amour…»
Est-ce une phrase qui pourrait être prononcée par un robot ? Peut-être, s’il s’agit d’un modèle Beat Them All 6.3 (blague), ayant intégré dans sa mémoire vive une grande partie du meilleur de la culture humaine. Ugo Bienvenu, pour son troisième roman graphique chez Denoël (1), confirme un talent de narrateur exceptionnel, augmenté d’un style graphique racé, très personnel.

Un futur assez proche : 2055, où disparaissent les dernières personnes n’ayant pas connu à leur naissance les smartphones, mais où des robots capables d’« accoucher » un enfant humain existent, tel Mikki, propriété d’ Yves Mathon et de sa femme Emmy, qui porte leur fille à venir. Une société transhumaniste où le « Bureau des essentiels », où travaille Yves, supprime chaque jour les fichiers culturels jugés inopportuns, pour libérer de la place sur un espace de stockage saturé. Des films, livres, documentaires, que le jeune papa en devenir s’est mis en tête de sauver, coûte que coûte, avec l’aide de Mikki, quitte à enfreindre les règles et risquer sa vie…

Après l’adaptation réussie et remarquée du roman de David Vann : « Sukkwan Island », puis « Paiement accepté », où il abordait déjà les travers d’une société futuriste, Ugo Bienvenu, auteur complet, poursuit sa critique. À travers une vision, un rythme et un découpage très personnel, il nous donne à voir et ressentir ce vers quoi nous tendons : une société ayant perdu sa relation à l’humain, au goût des choses, où les préférences culturelles sont bannies, pour ne laisser place qu’à celles des systèmes.

Il y a beaucoup des films « Bienvenu à Gattaca » et « Farenheit 451 » dans « Préférence système », car les sujets des rapports à l’autre (Yves avec Emmy, Yves avec ses collègues de travail, avec Mikki…) sont centraux, tout comme le sont ceux avec la culture. En effet, alors que de nombreuses références sont citées parmi les fichiers supprimés par la censure, Mikki mémorise la plupart, qui seront ensuite récités pour être appris par cœur. Un parallèle avec une scène du film de François Truffaut que les amateurs n’auront pas oublié.

Si l’atmosphère de toute la première partie du récit semble froide et inquiétante, (on commence d’ailleurs avec un enterrement sous la pluie), et certains lecteurs pourront peut-être reprocher au dessinateur cet aspect-là à son trait, la deuxième partie, bien qu’elle propose son lot d’action, délivre un condensé inattendu d’émotions fortes, capable de faire venir des larmes. Après le froid vient la chaleur, même s’il faut passer par la violence. Mais la nature humaine n’est-elle pas faite de ce dilemme ?

On pourrait s’amuser à citer d’autres films nous ayant apporté le même type d’émotions, mais est-ce bien utile ? La narration, les dialogues, le dessin d’Ugo Bienvenu sont si précis, si bien amenés, qu’ils nous donnent surtout envie d’acquiescer, avec respect, et de définitivement reconnaître l’auteur comme l’un des plus importants de la bande dessinée mondiale d’aujourd’hui.
« Préférence système » est une œuvre à la fois visionnaire, humaniste et contestataire. Elle nous explique clairement que nous portons déjà en nous le futur de l’(notre) humanité. « Ma préférence à moi ».

Franck GUIGUE

(1) Troisième chez cet éditeur, mais quatrième avec son dernier titre « Premium Plus », paru en édition très limitée chez « Réalistes », petite structure d’édition qu’il vient de monter avec des collègues de l’école des Gobelins, publiant des ovnis au format manga.
https://www.realistes.fr/

« Préférence système » par Ugo Bienvenu
Éditions Denoël graphic (23 €) – ISBN : 9782207142219

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