Génie, deux vies, Vinci !

Sur le point de mourir, Léonard de Vinci rédige son testament en avril 1519. Bien des siècles plus tard, en 15 018, les survivants entassés à bord du vaisseau Renaissance décident de ressusciter le célèbre génie italien. Cloné, ce Léonard version 2.0 va devoir trouver le moyen de lutter efficacement contre l’envahisseur extraterrestre ! Designer virtuose, Stéphane Levallois nous immerge dans les tableaux du Maestro, au cours d’un parcours tortueux et onirique qui projette le 16e siècle dans l’ombre et la lumière de la science-fiction. L’album accompagnera de manière officielle la grande exposition rétrospective organisée à partir d’octobre au musée du Louvre…

Quand l'humanité n'a plus que l'art comme seul espoir.. (planches 6 et 7 - Futuropolis 2019)

Designer pour la publicité et le cinéma de genre (de « Alien » à « Harry Potter » ou « King Kong »), Stéphane Levallois a œuvré pour Wong Kar-Wai, Spielberg ou Ridley Scott, auquel il dédie du reste le présent album. L’auteur de « La Résistance du sanglier » (2010) ou de « Les Disparus d’Orsay » (2017) a travaillé deux ans à l’élaboration de ce récit digne du space opera, conjuguant passé et futur dans une réflexion sidérale sur l’art, l’esthétique et son importance pour l’humanité. En guise de genèse scénaristique, Levallois a repris à son compte divers éléments symboliques dont les empreintes laissées par Leonard de Vinci : l’album s’appuie ainsi sur le tableau inachevé « La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne » (1503 – 1519), restauré entre 2010 et 2012 par un comité international composé de scientifiques et de spécialistes de l’art. Devenue une grande source d’inspiration pour les artistes des générations suivantes (de Raphaël à Odile Redon et Max Ernst en passant par Delacroix ou Manet), l’œuvre aura été nettoyée de son épais vernis et de ses repeints, révélant les empreintes digitales de l’artiste. Cette découverte n’est point unique puisque l’on connaît des traces identiques laissées sur un « Saint Jérôme » (débuté en 1482 et laissé inachevé, ce tableau est conservé dans les musées du Vatican) et un portrait de jeune fille (redécouvert en 2009), huile sur toile et dessin aux craies reliés au style – et à la main gauche – de De Vinci.

Une trace du génie artistique ou l'empreinte du passé ? (Planche 10 - Futuropolis 2019)

"La Vierge, l'Enfant Jésus et sainte Anne", huile sur bois (168 x 130 cm), ici dans sa version restaurée

Portant en germe la symbolique de la paternité de Leonard, outre le thème de l’empreinte laissée par l’artiste bien au-delà de son époque, « Leonard 2 Vinci » explore une bonne partie de l’œuvre peint afin d’y puiser « comme dans un répertoire de formes infini », au travers de la réinterprétation de dessins et détails. Comme l’explique Stéphane Levallois, « Leonard de Vinci est à mes yeux […] un immense designer. […] son char blindé devenait une soucoupe volante, ses églises à base carrée et ses cités idéales se transformaient en vaisseaux intergalactiques […] » Sans calques ni logiciels de retouche ou de traitement assisté par ordinateur, Levallois poussera le vice jusqu’à tout redessiner lui-même, en tentant notamment de se fondre dans le style de Leonard pour les hachures, retracées à la façon d’un gaucher. Ce mimétisme est signifié par le visuel de couverture, qui illustre directement la gémellité du sujet, son éternelle aura et ses correspondances entre passé, présent et futur. La machine volante (ornipthère) et le musée du Louvre (partiellement ruiné) scindent les époques et posent en creux les questions de l’unicité et de la reproduction : peut-on raisonnablement copier, imiter, cloner ou générer des œuvres via les progrès des arts, sciences et technologies ? Peut-on, pour de bon, ressusciter au XXIe siècle l’esprit et la corporalité des maîtres de la Renaissance, à une époque où un robot-artiste (E-David en 2013, Ai-Da en 2019) est désormais capable de peindre des toiles de manière autonome ? Riche de ses différentes interrogations, l’album de Stéphane Levallois fonctionne comme une matrice agissante et stimulante, portant haut les nombreux degrés de réflexion chers à De Vinci. Au-delà de son trait charbonneux et torturé qui rebutera peut-être certains lecteurs, ce one-shot de 96 pages rejoindra sans mal la riche collection développée (depuis 2005) en partenariat entre Futuropolis, Delcourt et Le Louvre, et où se sont déjà distingués – entre autres – Nicolas De Crécy, Marc Antoine Mathieu, Jirô Taniguchi et Enki Bilal (voir le site dédié).

Avril 1519, le Cloux d'un spectacle renaissant (Planche 13 - Futuropolis 2019)

Philippe TOMBLAINE

« Léonard 2 Vinci » par Stéphane Levallois
Éditions Futuropolis (20,00 €) – ISBN : 978-2-7548-2418-7

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