CONNAISSEZ-VOUS « Upside Downs of Little Lady Lovekinds and Old Man Muffaro » ?

Des Upside Downs of Little Lady Lovekinds and Old Man Muffaroo, ce ne sera peut-être pas le contenu même du récit qui retiendra toute notre attention – le texte, en outre, souligne l’image et ne fait acte d’aucune innovation –, mais plutôt le principe de l’illustration auquel il se soumet


Gustave Verbeck, d’origine flamande, effectue des études à Paris et collabore à des journaux et revues. Il émigre aux États-Unis, où il illustrera des magazines avant de se consacrer pleinement à la peinture et à la gravure dans les années vingt. À son arrivée, une erreur administrative déforme son nom en Verbeek : il signera désormais ses œuvres de l’un ou l’autre patronyme. À l’image de cette substitution identitaire, Little Lady Lovekins et Old Man Muffaroo sont des personnages interchangeables.

 

La jeune fille et son dévoué protecteur et serviteur vivent parmi des êtres fabuleux, singuliers, hybrides, monstrueux et inquiétants, surgissant d’un monde semblable à celui de Blake ou de Füssli. Le vieil homme sauve toujours la petite des dangers qu’ils représentent.

 

Les six vignettes hebdomadaires – au total, soixante-quatre demi-pages publiées surtout en monochrome vert ou brun –, qui paraissent du 11 octobre 1903 au 15 janvier 1905 dans le Comics Supplement du New York Herald, se démultiplient d’elles-mêmes grâce à la technique upside down inventée par Verbeck : la planche lue dans un sens se prolonge dès lors qu’on la retourne. L’ample robe de Lovekins devient le chapeau à larges bords de Muffaroo, et réciproquement ; les cheveux de l’une se transforment en moustaches pour l’autre. L’oiseau bien gras qu’ils tentent de capturer se métamorphose en un pauvre garçonnet en train de se noyer. La transsubstantiation de chaque être et de chaque chose – le nuage en buisson, la montagne en fumée, le village en son reflet dans l’eau – s’effectue par un habile dessin adaptant à loisir les fantaisies et l’imagination fertile de l’auteur. La vignette présente ce visage de carte à jouer mise en récit par Lewis Carroll. Si toutefois Verbeck n’est pas allé aussi loin dans la réversibilité du miroir et dans le monde vacillant de Carroll, ses lieux et protagonistes connaissent cette mutabilité et cette transposition issue de la tradition du nonsense anglo-saxon, du travestissement d’Edward Lear ou d’Edgar Allen Poe. Du lapsus et du glissement verbal de Carroll, il imagine une forme de déraison graphique.

 

Il est surprenant que Verbeck, né au Japon, à Nagasaki en 1867, et qui suivit des études d’art à Paris, n’ait pas cherché davantage, semble-t-il, à s’inspirer de l’orientalisme ou du japonisme européens. Le principe upside down, aussi expérimental soit-il, trouvera vite ses limites. Il reste cependant unique dans l’histoire de la bande dessinée. On ne pourrait citer que Moscoso dans Hocus-Pocus qui compose un système comparable, les créations libres du surréalisme, les métamorphoses de Salvador Dali ou les Grâces naturelles de Magritte.

 

La courte vie des Upside Downs sera compensée par une compilation, dès 1905, réalisée par G.W. Dillingham. En 1963, elle est publiée en format de poche aux Rajah Press (en anglais), en un album de la plus grande rareté dans l’histoire des comics : on n’en connaît aucun exemplaire, la bibliothèque des Congrès à Washington ayant égaré le sien ! ; en deux planches seulement dans Phénix n° 11, en décembre 1969 ; en recueil aux Real Free Press aux Pays-Bas avec une couverture de Joost Swarte, en 1973 ; en une seule et unique page dans Charlie Mensuel, n° 59, en 1974, en France ; et enfin en album sous le titre Dessus-dessous, aux éditions Pierre Horay, en 1977.

 

Nathalie Michel

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