« Alan Moore présente Swamp Thing » T1 : y a-t-il un Alec Holland dans la sève ?

Il est des histoires que l’on n’oublie pas, des personnages et des destins qui se lient à vous et forment comme des repères au long de votre vie de lecteur. « Swamp Thing » (la créature des marais), dont le premier volume rééditant les origines de la série par Len Wein et Bernie Wrightson, paru chez Urban comics en juin, fait partie de ces repères incontournables.
Comme une cerise sur le gâteau, et à peine un mois après, voilà que sont enfin aussi réédités les épisodes cultes scénarisés par Alan Moore, débutés en 1984, qui ont donné une seconde vie au personnage et à la série. Culte et émouvant, indispensable et tragique, poétique, expérimental et visionnaire… les adjectifs manquent pour décrire ce qui est souvent qualifié comme l’une des meilleures séries de comics de tous les temps.

Lorsque Len Wein apprend, en 1982, que le réalisateur Wes Craven s’apprête à réaliser un film adapté de Swamp Thing, celui-ci propose à Jenette Khan, alors patronne chez DC, de relancer la licence, lui s’occupant juste de trouver une équipe digne de confiance. Le deal accepté, ce sera Martin Pasko au scénario, et un ancien élève de l’école de Joe Kubert : Tom Yeates, au dessin. S’en suivirent 19 épisodes, au cours desquels un des nouveaux personnages créés : le malfaisant général Avery Carlton Suderland, allait permettre d’envoyer la série dans la direction qui nous intéresse.

Car c’est à ce moment-là que le scénariste choisit pour laisser sa place vacante. Len Wein, après avoir épuisé les contacts américains auxquels il pensait, se tourna alors vers un jeune artiste britannique faisant beaucoup parler de lui au sein de la revue 2000AD : Alan Moore.
Après s’être assuré de sa totale liberté de ton (tout juste un épisode n° 20, ici inédit en intégrale, afin de réaliser la transition), le nouveau scénariste, accompagné des assistants de Tom Yeates (décidant lui aussi de laisser tomber le rythme mensuel contraignant) : Steve Bissette et John Totleben se lancent dans l’écriture d’un arc d’épisodes qui marquera la série profondément.

Le fameux épisode de transition « Au bout du rouleau » permet d’accompagner la créature auprès du crash du vaisseau d’Anton Arcane, et de constater son décès. Le couple Elisabeth et Denis se sépare, et l’action se recentre sur le général Suderland, envoyant auprès de la créature une troupe militaire armée d’un système permettant de la capturer. Pendant ce temps, le couple Matt Cable/Abigail Arcane font face, comme ils le peuvent, au mal insidieux (l’alcool) qui ronge ce dernier.

La créature capturée va subir une autopsie (fameux 1er épisode vraiment « libre » d’Alan Moore, avec Steve Bisette, mais aussi Rick Veitch au dessin : « La leçon d’anatomie »). La révélation qui va s’en suivre va permettre de lancer la série dans une direction aussi inattendue que fantastique. Le docteur Jason Woodrue, appelé « l »homme floronique », car lui aussi contaminé par l’agent régénérant, et chargé de cette mission, découvre en effet que la créature n’a plus rien d’humain. Alec Holland est mort le soir de son accident, il s’est dissous dans le marais, et ce qui s’est construit à partir de végétal et de minéral sous une forme humanoïde ne l’a fait qu’avec le souvenir d’une humanité. Cette idée géniale va alors sous-tendre l’ensemble de ces 14 premiers épisodes, mêlant destruction, avec le délire de l’homme floronique voulant revendiquer un pouvoir végétal (épisodes mettant en scène la Ligue de justice), possession, avec le retour inattendu d’Arcane, parasitant le pauvre Matt Cable, apportant une tonalité d’horreur peu ressentie jusqu’à présent (au-delà des délires monstrueux, liés aux sorciers dans les tout premiers épisodes), mais aussi le travail d’Abigail au centre Elysium pour enfants autistes, occasion de convoquer le Démon, alias Jason Blood, créature de Jack Kirby.

Les éléments les plus éminemment mémorables demeurant cependant ceux mettant en scène le fantôme d’Alec Holland ( « L’Enterrement »), la mort d’Abigail (« Un nuage de mouches »), et sa « résurrection » (« En bas avec les morts », un épisode permettant de mettre en scène trois autres personnages cultes DC : le Sans frère, Deadman, et Le Spectre), et « Le Sacre du printemps », magnifique ode romantique concluant de la plus belle manière qui soit ce premier recueil, en lui insufflant l’espoir et l’amour nécessaire, pour la suite.

Deux autres épisodes étonnants sont inclus au sein de cette première intégrale : « Maisons abandonnées » (The Saga of the Swamp Thing n° 33 et House of secret n° 92), maligne mise en abîme d’Alan Moore permettant d’expliquer l’existence de « deux » créatures du marais, et occasion de citer et rendre hommage brillamment, par le biais de Caïn et son frère Abel, à l’artiste génial ayant accompagné les débuts de la créature, dans la revue secondement précitée : le génial Bernie Wrightson. Succulent. « Pog » (Saga of the ST n° 32), rend quant à lui hommage au personnage (presque) homonyme de Walt Kelly, qu’Alan Moore adore, dans un épisode SF et poétique un peu à part.

L’horreur renouvelée, le ton de certains passages, la diversité des personnages en présence, le constat d’humanité perdue de la créature et le glissement vers un discours écologique universel toujours plus fort, sans compter l’émouvante et prenante histoire d’amour entre Agibail et le monstre, font de ces épisodes et de ce premier recueil un incontournable absolu du comics moderne. On est littéralement fou et impatient de lire la suite (deux autres volumes prévus), d’autant plus que l’on sait que les passages plus récents de Scott Snyder et Jeff Lemire (2012-2014), sans compter certains autres, transitoires, précédents, sont respectueux de ce qui a été semé ici, et nous emmènent encore très très loin…

Culte, et indispensable, vraiment !

Franck GUIGUE

« Alan Moore présente Swamp Thing » T1 par Alan Moore, Steve Bissette, John Totleben…
Éditions Urban comics (35 €) – EAN : 9782365779869

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Une réponse à « Alan Moore présente Swamp Thing » T1 : y a-t-il un Alec Holland dans la sève ?

  1. caramel dit :

    Avec Alan Moore la série décolle.

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