« 2112 » par John Byrne : futur au passé recomposé et une « seconde genèse » pour les X-Men.

De nombreux récits, souvent oubliés, ou peu, voire pas traduits en France, sont de plus en plus régulièrement offerts à notre lecture, par des éditeurs soucieux d’élargir le vaste patrimoine comics. John Byrne, autre figure mythique du médium, aux côtés de Jack Kirby, beaucoup célébré ces dernières années, fait preuve d’une dynamique éditoriale récente relativement justifiée. Les éditions Delirium ne sont pas en reste. Dans une autre veine « hommage », les X-Men sont revisités avec talent par Ed Piskor, et l’on se délecte de ce second tome « Grand Design »…

John Byrne, né en Angleterre et ayant vécu dès 1964 au Canada, est devenu citoyen américain à la fin des années quatre-vingt. Il a acquis ses lettres de noblesse dès la fin des années soixante-dix avec ses passages remarqués chez Marvel sur les séries Uncanny X-Men (« Proteus », « Dark Phoenix » et « Days of Future Past »), Les Quatre fantastiques, mais aussi chez DC avec le relaunch « Superman : Man of Steel » en 1986, pour ne citer que les plus gros succès. Il a su apporter une touche adulte à des séries battant de l’aile, en tant que dessinateur et ou scénariste (on pourra citer aussi son run sur Namor en 1990). Il est cependant l’auteur de nombreux autres projets, dont des personnels, au début des années quatre-vingt-dix. Après « Alien Earth Angel », court récit publié en 1994, édité en édition limitée noir et blanc chez Wetta en 2017, puis « Trio- Triple Helix », projets IDW de 2014, édité par Alyone comics cette année sous forme de trois albums édition ultra limitée, voilà l’un de ses plus longs projets. Publié par Dark Horse comme un One Shot en 1991, « 2112 » sert d’introduction aux « Next Men », que les éditions Delirium publieront dans la continuité.

La Terre, telle que nous l’avons connue, n’est plus. De vastes villes joignables en astronefs se dressent, fortes de leurs tour de verre, sur des terres rendues arides par une exploitation trop intensive. Certaines régions, comme le Brésil, doivent même dépenser des milliards afin de reproduire une atmosphère suffisamment oxygénée, faute de forêts. La police et l’armée ont été privatisés en 2045, afin de protéger au mieux les intérêts de la planète de menaces extérieures, mais surtout de la folie des hommes. Une force d’élite, financée par la société Lifeguard, forme chaque année des cadets. Lors de la remise des diplômes, les six meilleurs se voient offrir un stage d’apprentissage auprès des six responsables d’opération. L’agent Tannen, l’agent rouge, d’après la couleur de sa combinaison, est chargé du jeune Thomas Kirkland. Il vont tous deux mener en binôme une action coup de poing contre Sathanas, le meneur d’une bande d’humains mutants proscrits : les Semis, ayant subit les ravages d’un gène modifié il y a 150 ans. Ceux-ci comptent bien élargir leur emprise, grâce à leurs pouvoirs…

« 2112 » dans sa version originale, devait s’appeler « Tomorrow », comme en témoignent les superbes reproductions de planches originales encrées en fin de volume (1). Ce récit de résistance, de mutation et de passation de pouvoirs, évoque aussi sans détour les méfaits de l’homme sur la planète. En cela, on peut le rapprocher d’autres comics abordant à la fois catastrophe nucléaire et politiques véreuses, telles que certaines bandes anglaises dans les années quatre-vingt. On pense bien évidemment à « Judge Dredd », sur lequel John Byrne aura l’occasion de travailler en 1995, mais qu’il a surement lu avant. Un titre « Made in Great Britain », auquel le style graphique, mais aussi scénaristique de Byrne renvoi vraiment. Comment en effet ne pas, dans les premières pages, associer la façon qu’à Tannen de « corriger » les méchants, à celle de Dredd, pour les « punk » de la célèbre série 2000 AD ? Mêmes les couleurs de Steve Oliff rappellent les bonnes vieilles bandes des années quatre-vingt, glorieuses époques du héros de Méga City One.

Mais il y a autre chose chez Byrne, qui échappe à ce seul parallèle. Et le fait qu’il soit passé sur « Alien » résume à lui seul ce petit plus : certains passages dans les vaisseaux nous piquent subrepticement, apportant cet air vicié des coursives, typiques du classique SF de Ridley Scott daté 1979. On pense bien sûr à d’autres choses en lisant « 2112 », comme au roman « La stratégie Ender » d’Orson Scott Gard (1986), adapté en film en 2013, et il ne fait aucun doute que ce One Shot, basé sur un gène mutant, et qui verra une suite avec les « Next Men », cités d’ailleurs par le jeune Thomas Kirkland en page 46, découle directement du travail de l’auteur sur les X-Men. Quel meilleur indice que la date de 1962, donnée indirectement, par déduction, par Sathanas lui-même (p.55), renvoyant à l’année de création, sinon des héros de Kirby et Lee (sept 1963), au moins à celle de Hulk. Un clin d’Å“il plutôt bien vu, replaçant ce récit « mutant » lui-même, dans la longue lignée des comics à fort caractère culte que l’industrie a pu nous donner.« 2112 » pourra donc paradoxalement apparaître, pour le lecteur de comics lambda moderne, et à première vue, comme un album secondaire, mais il s’avérera beaucoup plus indispensable à tous ceux qui considèrent John Byrne comme un grand auteur, et qui apprécient son dessin. Quoi qu’il en soit, ce récit de science-fiction assez sombre et aux tonalités adultes, (même dans la colorisation), possède de belles qualités et me semble bien plus intéressant que ce que l’auteur a pu réaliser ensuite, dans les années deux-mille. Merci donc aux éditions Délirium pour avoir rendu disponibles ces épisodes, dans un bel album cartonné, au format comics, qui s’intercalera sans souci dans toute bibliothèque comics respectable. La suite… avec les « Next Men », à lire très prochainement !

«X-Men Grand Design : seconde genèse » 

Et voilà le deuxième recueil « collector » des incroyables comics d’Ed Piskor, revisitant l’histoire des célèbres mutants. Un tome 2 abordant la saga du Dark Phoenix et des Broods, plus le bonus Giants Size X-Men de 1975, recolorisé par ses soins. Top !

La longue saga des X-Men continue d’être efficacement résumée par un Ed Piskor, fan absolu. Ce second volume, regroupant les comics X-Men Second Genesis numéro 1 et 2, publié aux États-Unis en septembre et octobre 2018, introduit la nouvelle équipe composée de Wolverine, Thunderbird, Diablo, Colossus et Tornade, recrutés par Charles Xavier dans une « seconde genèse », alors que équipe d’origine à disparu en mission sur l’île Krakoa. Une île mutant elle-même, et dont l’épisode central est proposé dans le Giant-Size en fin d’album. Nous sont contées aussi les expéditions spatiales des célèbres mutants, alors qu’ils doivent soutenir Jean Grey, devenue le Phénix, accusée par les Shiars de détenir toute la puissance de cette entité cosmique et d’avoir dévasté plusieurs planètes.

Carol d’Anvers subit un revers difficile lorsque Malicia aspire ses pouvoirs, et son retour ne sera que plus convaincant lorsqu’elle aidera ses amis, possédés par les Broods, ces xénomorphes d’une autre race, ayant pondu leurs Å“ufs dans leurs corps. (Tiens, cela me rappelle quelque chose…). Kitty Pride, toute jeune recrue, n’est pas de trop non plus, pour déjouer les plans du club des damnés, ou ceux des Shiars, avec l’aide des Starjammers.

Cette nouvelle équipe fait merveille, dans ce qui est avec raison considéré comme le must de leurs aventures. Pouvoir se régaler d’autant d’épisodes originaux, par le biais d’un aussi talentueux résumé, superbement rendu graphiquement par le style vintage d’Ed Piskor, est un plaisir rare. Avoir en prime l’opportunité de lire l’intégralité de l’épisode culte de Len Wein et Dave Cokrum, en très grand format, est la cerise sur la gâteau. Quatre illustrations couleur pleine page de Todd Mac Farlane, Arthur Adams, Jim Lee et Joe Madureira parachèvent le tout.
Un « Must-Have », ou autrement dit : une pièce de choix.

Franck GUIGUE

(1) 13 pages de reproduction de planches originales encrées et de projets de couvertures, plus un texte de présentation et une bibliographie illustrée éloquente s’ajoutent à l’histoire.

 

« 2112 » par John Byrne
Éditions délirium (15 €) – ISBN : 979-10-90916-50-0

 

« X-Men Grand Design seconde genèse » par Ed Piskor
Éditions Panini comics (26 €) – ISBN : 978-2809477351

 

Galerie

6 réponses à « 2112 » par John Byrne : futur au passé recomposé et une « seconde genèse » pour les X-Men.

  1. Crissant Clavier dit :

    John byrne est en effet mythique, la megastar absolue des années 80,qui avait réussi à convaincre une flopée de fan prêts à le suivre sur chaque projet ,que sa version dessinée de tout personnage était LA version iconique et,qu’il était le dessinateur ultime de super-héros.
    Puissance,élégance, clarté et glamour étaient ses armes esthétiques et narratives.Un véritable rouleau compresseur.

    Quand Kirby est mort,certains n’ont pas hésité à lui dire que désormais c’était lui le King.Ce qui faisait sourire un Byrne pas dupe.

    La vélocité graphique de Byrne est à rapprocher de celle de Kirby: une à deux heures par planche de temps de réalisation, suivant le degrés de difficulté pour ce grand pro,très à cheval sur ce qualificatif et les obligations inhérentes.

    Mais Byrne c’est surtout un gros caractère, et une personnalité très affirmée aux idées bien arrêtées qui rend toute collaboration assez acrobatique.Surtout,ses envolées verbales sur divers sujets,notamment sur la manière dont Marvel Comics à traité Kirby ,lui ont valu l’animosité d’une partie de la profession et de beaucoup de fans.

    Désormais BBB (Big Bad Byrne) quasiment pourchassé, est mis au pilori sur les réseau sociaux et autres à chaque occasion,par ceux qu’il surnomme les « microbrains ». Un sacré jeu de ping long.

    Surtout,Byrne,d’abord par jeu,puis enthousiasme ,s’ est mis récemment à dessiner une histoire des X-men parallèle en plusieurs épisodes pour donner sa version, qui démarre au moment où il avait quitté la série début 80 après une série de clashs avec le scenariste pour divergence de vue créative .

    Marvel semblait intéressé ,mais depuis plus de nouvelle de la part de l’éditeur et grosse frustration pour Byrne, convaincu de payer ici le prix de sa mauvaise reputation.

    Dommage pour les fans qui auraient pu profiter d’un byrne qui semblait retrouver des couleurs après une série de projets assez inégaux ces deux dernières décennies , loin du niveau qui en avait fait une megastar.

    • Franck G dit :

      Merci Criss pour ces notes informatives détaillées à propos du talent d’un auteur, dont on sent que tu es grand fan. La galaxie comics est vaste, et nombreux sont les auteurs et épisodes à découvrir, lire, collectionner, retrouver, réapprécier, surtout si l’on n’a pas de préjugés sur les styles et époques. Byrne fait partie de ses « phares » dans l’océan, et heureusement que l’on peut encore aujourd’hui se délecter d’albums en français, grâce, comme ici, à des éditeurs éclairés… Bien cordialement,

      • Marcel dit :

        Pour info, ce récit était déjà présent dans la grosse intégrale Next Men publiée en français par Dante comics en 2009.

        • Franck G dit :

          C’est ma foi vrai. Le pire c’est que je l’avais vu sur Bedetheque cette intégrale il y a quelques temps, mais je n’ai jamais eu l’occasion de la feuilleter, et ne savais pas que ce « 2112″ en faisait partie. Merci donc de cette précision. Cela dit, ici, on a une version couleur et cartonnée ;-)

          • Marcel dit :

            J’ai lu ça a l’époque, je ne me souvenais pas si l’histoire y était, mais c’est noté sur le 4ème de couv que j’ai vu sur… bedetheque. ;)
            Il y a aussi la mini-série M4.
            Mais c’est des gros omnibus N&B de 400, 500 pages.

  2. Crissant Clavier dit :

    Pour qui aurait la curiosité piquée, le prélude présenté ici annonce la série Next Men,que beaucoup de fans considèrent comme le chef d’oeuvre de Byrne.Byrne auteur de premier plan.

    Avec ,c’est vrai,de jolis morceaux de bravoures de la part d’un Byrne qui multiplie les expériences niveau encrage,avec ,c’est encore vrai,une réussite inégale mais de grands moments.

    À surveiller,donc.

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