Mise en abyme jouissive pour les cinq sens dans un Louvre inhabituel …

Sans aller aussi vite que les acteurs de « Bande à part », le film de Godard, qui traversent le Louvre en moins de 10 minutes, les visiteurs du plus grand musée du monde ne peuvent étirer indéfiniment leur déambulation d’une salle à l’autre. Ils s’attardent sur quelques chefs-d’œuvre et délaissent les créations les moins connues. Or, un jour, les tableaux de l’ombre décident de se révolter, et le regard d’un petit garçon sur l’un d’eux n’y est pas pour rien.

Jean, 10 ans un peu rêveur, un peu artiste, visite le Louvre avec sa classe. Pendant que les autres élèves chahutent, lui est fasciné par le travail de Vermeer sur La Dentellière. Il laisse libre cours à son imagination, croit distinguer un clin d’œil de la jeune fille à la robe jaune mais, quand il se retourne pour partager sa surprise avec ses camarades, ceux-ci ont disparu, poursuivant leur visite sans lui.

Le petit Jean court dans les ailes du musée et, désespéré demande l’aide d’une guide. Celle-ci lui demande de s’assoir sur un banc, le temps qu’elle retrouve son enseignante. Le petit garçon sage, isolé dans une salle peu fréquentée, fait face à cinq petits tableaux très peu connus, allégories des cinq sens peintes par Anthonie Palamedes.

Et là, surprise, les cinq petits personnages étonnés d’être ainsi détaillés s’agitent sous les yeux de Jean. Du moins, le croit-il un court instant, avant que son institutrice ne le ramène dans le groupe-classe.

Les Tableaux de l'ombre page 3

Un chef d'oeuvre plein de charme

Le soir même quand le musée est vide de visiteurs, les cinq personnages représentant les cinq sens discutent entre eux de cet événement mémorable : eux-aussi sont digne d’intérêt. Cela les rassure qu’ils puissent susciter la curiosité d’un badaud, même jeune, ils en sont donc capables tout comme les vedettes locales ; la Joconde, les Horaces ou le Napoléon des tableaux de David.

La nuit venue, ils quittent le cadre étroit de leurs tableaux et se dirigent guillerets vers une fête donnée par le département des peintures italiennes. Là, déception, ils sont refoulés par un service d’ordre qui ne laisse passer que les VIP ! Profondément vexés, ils fomentent une révolte, celle des tableaux de l’ombre qui veulent enfin prendre toute la lumière !

Les Tableaux de l'ombre page 6

Qu'est-ce que tu lui trouves à la Joconde ?

20 ans passent. Le grand soir approche pour les tableaux de l’ombre mais un événement inattendu empêche une révolution violente dans le palais de la rive droite.

Des gamins, de plus en plus nombreux, viennent admirer, oui admirer, le pentaptyque du maître flamand du XVIIe siècle. Ils prennent même des selfies devant eux pour faire « grave criser » leur sœur.

Flattés mais stupéfaits, les cinq personnages allégoriques comprennent leur soudaine notoriété quand une petite fille brandit une bande dessinée devant eux : « Les Tableaux de l’ombre » qui narre leur vie muséale.

Et ils ne sont pas au bout de leurs surprises ; Jean, qui a tout déclenché, revient les voir, en famille, …

La fête dans le département des peintures italiennes

Les éditions de Louvre ont entamé il y a quelques années un partenariat avec des éditeurs de bandes dessinées ; Futuropolis pour des œuvres à destination d’un public adulte et Delcourt pour des BD jeunesses. Après « Le Cheval qui ne voulait plus être une œuvre d’art », « Gaspard et la malédiction du Prince-Fantôme » et « Les Souris du Louvre T1 : Milo et le monde caché », « Les Tableaux de l’ombre » est le quatrième titre d’une collection de grande qualité, c’est celui qui nous a le plus enthousiasmé.

20 ans après ...

Bouleversé devant une peinture ?

Le scénario se joue en effet habilement des contraintes imposées par ce partenariat prestigieux.

Jean Dytar s’amuse en s’impliquant dans un jeu croisé de mise en Abymes élégantes et astucieuses : c’est lui, Jean, le jeune rêveur du début que l’on retrouve en fin d’album, père de famille qui veut faire partager ses passions à ses enfants, l’album qu’il a écrit intervient dans la fiction, clin d’œil amical aux expériences de Marc-Antoine Mathieu, les deux auteurs se connaissent bien depuis une mémorable soirée, un peu arrosée à Angoulême dont j’étais un témoin gourmand, enfin l’auteur jongle avec les cases et les cadres des tableaux et même à l’intérieur d’un tableau pour mieux perdre le lecteur, pris de vertige devant une telle virtuosité ludique.

Selfie au Louvre

Mais « Les Tableaux de l’ombre » est bien plus qu’une bande dessinée ludique. De cette expérience narrative originale, le lecteur, jeune et moins jeune, peut tirer des morales salutaires sur la vanité de la pérennité des œuvres d’art, sur le sens à donner à une œuvre d’art ou sur la médiation à développer entre ces œuvres et un large public, d’élèves ou d’adultes et, si on élargit le propos de l’auteur sur la légitimité du besoin de reconnaissance et de dignité pour tous, des plus humbles aux plus puissants. Revendication on ne peut plus d’actualité en ce printemps marqué par les manifestations des gilets jaunes.

Une mise en abyme à la Marc-Antoine Mathieu

Jean Dytar devant les tableaux de Palamedes

Jean Dytar adapte toujours son style graphique au thème traité dans ses BD. Il s’est ainsi inspiré des miniatures persanes pour « Le Sourire des marionnettes », puis a adopté un trait renaissance pour le mélancolique « La Vision de Bacchus », et un style épuré, janséniste, pour « Florida ».

Pour sa première BD en direction d’un lectorat jeunesse, son trait se fait plus rond, simple et lisible. Si les enfants ont de bonnes bouilles aux grand yeux très expressifs les décors ne sont jamais négligés et surtout pas les tableaux.

Tout en étant fidèles aux personnages des scènes représentées, l’ancien enseignant d’arts plastiques parodie plaisamment certaines œuvres cultes, notamment de Leonard de Vinci : la Joconde est ainsi privée de ses jambes ou Saint-Jean-Baptiste, (Jibé dans la BD) a une crampe au bras à force de le tenir levé.

En page de garde ; les tableaux que l'on retrouve dans la BD

Cette fable maîtrisée, savamment drôle, jouant de décalages multiples et de mise en Abymes amusées, est rythmée par des dialogues vifs et contemporains, – attention au caméo du youtubeur Cyprien. « Les Tableaux de l’ombre » est bien plus qu’une BD de vulgarisation artistique, c’est un petit bijou d’intelligence narrative et graphique dont on sort avec un grand sourire aux lèvres et l’envie quasi irrépressible de se rendre au Louvre. Une grande réussite d’un amoureux de l’art, du tous les arts, de la peinture au neuvième art. Bravo !

Bien pratique pour se remémorer des œuvres cultes

Pour en savoir davantage sur Jean Dytar et son œuvre, nous vous renvoyons à nos articles précédents sur « Florida », « La Vision de Bacchus » et sur le riche entretien qu’il nous avait accordé.

Une allégorie des cinq sens bien bavarde

Laurent LESSOUS (l@bd)

« Les Tableaux de l’ombre » par Jean Dytar

Éditions Delcourt (14,95 €) – ISBN : 978-2-4130-0819-4

Galerie

Une réponse à Mise en abyme jouissive pour les cinq sens dans un Louvre inhabituel …

  1. BARRE dit :

    Jean Dytar réalise pour l’instant un sans faute! Ses livres sont passionnants, originaux, c’est un régal !

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