« Carthago » : Christophe Bec l’oublié …

Si les travaux de certains scénaristes aux préoccupations bien pensantes sont régulièrement mis en avant par la critique, d’autres plus soucieux de divertir ou de faire rêver leurs lecteurs que d’exposer leurs états d’âme sont boudés. C’est le cas pour Christophe Bec, dessinateur adulé à ses débuts, mais ignoré depuis sa reconversion de scénariste populaire bien que le succès de ses albums ne se démente pas. La sortie d’un nouvel opus de « Carthago » nous permet de combler cette lacune.

Adolescent, j’étais passionné par les romans de Robert Charroux (1909/1978), journaliste et écrivain, dont les ouvrages publiés chez Robert Laffont parlaient de visiteurs venus d’ailleurs, de créatures monstrueuses, de catastrophes fatales à l’avenir de l’humanité. Professant la théorie des anciens astronautes, il ouvrait de nouvelles portes à un lectorat important puisque certains de ses ouvrages ont flirté avec les 800 000 exemplaires. Christophe Bec en est le brillant héritier proposant à ses lecteurs de plonger à la découvertes de béants abîmes sous marins, d’escalader des montagnes peuplées d’êtres monstrueux, de croiser des visiteurs venus d’ailleurs hostiles ou bienveillants… Il ne s’agit pas pour lui d’imposer des croyances, mais seulement de partager avec ses lecteurs le grand frisson provoqué par l’inexplicable. Multipliant les séquences simultanées dans le présent comme dans le passé ou le futur, il tient son auditoire en haleine par le biais de personnages parfaitement ciblés et attachants. Grâce à son sens de la dramatisation ce qui pourrait finir par devenir répétitif ne fait qu’accentuer le désir du lecteur de poursuivre le récit afin d’en savoir plus.

C’est à la suite d’un forage dans une caverne sous-marine que des plongeurs ont découvert un megalodon, lointain ancêtre géant du requin. Employée par le richissime collectionneur centenaire Wolfgang Feiersinger, Kim Melville est persuadée que des spécimens survivent dans des grottes sous-marines. A bord du Léviathan, sa fille Lou et son équipage plongent à 4700 mètres dans la fosse du Kamtchatka, située dans les profondeurs de la mer de Bering. Ils découvrent qu’un volcan préhistorique est sur le point de se réveiller. L’équipage du Léviathan, victime d’un éboulement de roches, constate que cette merveille de technologie est devenue une bombe à retardement et n’a plus qu’une faible chance de leur permettre de revoir la surface : que leur ami London Donavan et le vieux Kazinsky parviennent jusqu’à eux à bord de l’antique DSRV. A cette trame passionnante s’ajoutent les rapports tendus entre Donavan , Feiersinger et son jeune frère Harry, évoqués au fil de flash back distillés avec parcimonie. Du grand art !

Ce neuvième épisode est la quatrième et avant-dernière partie du troisième cycle de ce récit à l’origine  mis en images par Éric Henninot, poursuivi par Milan Javanovic puis par le dessinateur italien Ennio Bufi (1976). Un dessinateur venu de l’animation avant de travailler pour Grand Angle, Glénat et le Lombard. Créée en 2007, « Carthago » possède un préquel imaginé par Christophe Bec , « Carthago Adventures », série de récits indépendants qui évoquent les missions remplies par London Donovan pour la Fondation Carthago.  Victime d’un odieux chantage à la vie par Feiersinger, London n’a pas d’autres solutions que de répondre présent à ses demandes (cinq albums déjà disponibles).

Né en 1969 à Rodez, Christophe Bec étudie le dessin à l’École d’art d’Angoulême. Dessinateur à ses débuts, il publie « La Bête du Gévaudan » pour la ville de Marjevols, puis en 1992 « Dragan » pour les éditions Soleil (scénario Corbeyran). La trilogie « Zéro absolu » (scénario Marazano) lui permet d’être remarqué. Après « Hôtel particulier » toujours chez Soleil, il illustre « Sanctuaire » une histoire de Xavier Dorison publiée à partir de 2001 aux Humanoïdes Associés, série particulièrement violente dont le succès fait de lui un auteur de premier plan. Tout en signant seul « Le Temps des loups », il décide d’abandonner peu à peu le dessin afin d’écrire des histoires pour les autres : « Carême » pour Paolo Mottura, « Pandémonium » pour Stefano Raffaele, « Carthago » pour Éric Henninot, « Sarah » pour Raffaele… De nouveau pour Soleil, il signe « Hanté », « Fontainebleau » dessiné par Alessandro Bocci, « Deus » avec Betbéder pour Mottura, « Ténèbres » pour Iko… Outre « Carthago, il se lance en 2008 dans l’écriture de « Prométhée », longue saga fantastique publiée par Soleil dont il écrit et dessine les deux premiers épisodes, confiant ensuite les dessins à Bocci, Raffaele puis enfin à Jean Diaz (18 albums publiés à ce jour). Un angoissant compte à rebours pour les terriens dont la destruction de la planète est annoncée pour le 21 septembre 2019 à 13 :13. Parmi d’autres créations pour Soleil, notons « Olympus Mons » lancé en 2017 avec Stefano Raffaele et le diptyque « Spider » dessiné par Daoust et Raffaele dont le premier album est sorti en janvier. Il collabore aussi à la collection Flesh & Bones des éditions Glénat qui mêle gore et horreur (« Placerville », « Blood Red Lake »).

Autant de séries populaires de qualité qui ne décevront pas ceux qui ont aimé « Sanctuaire ». Christophe Bec a choisi de voler de ses propres ailes et il a fait un choix judicieux, n’en déplaise aux grincheux.

Henri FILIPPINI

« Carthago T 9 : Le Pacte du centenaire » par Ennio Bufi et Christophe Bec

Les Humanoïdes Associés (14,50 €) – ISBN : 9782731687644

Galerie

7 réponses à « Carthago » : Christophe Bec l’oublié …

  1. leo dit :

    C’est sûr que ça change de toutes ces BD politiquement correctes. Et plus le temps passe, plus il y en a.
    La nature fait sa loi dans cet album.

  2. caramel dit :

    Je trouve complétement idiot d’opposer des auteurs qui font le même métier c’est à dire raconter des histoires, apparemment rien n’a changer depuis 2001 chez Henri Filippini.
    https://www.youtube.com/watch?v=1rbG_RJswXw

  3. PATYDOC dit :

    Christophe Bec adore les « situations limites » (fonds des mer, planètes inconnues, zones polaires, etc.,), où l’homme paraît bien faible face aux forces de la nature.. Comme John Boorman au cinéma ou Joseph Conrad en littérature .. S’il est populaire, ce n’est certes pas dans le sens de trivial!

  4. Crissant Clavier dit :

    Il est évident que la BD est tombée dans le catéchisme, outil de normalisation par l’éducation ou la pédagogie qui seuls lui acorderaient crédibilité et légitimité ,sous la coupe des bien-pensants de service, à tu à toi, prescripteurs, au nom de la sacro-sainte culture, alors que comme tout art bien vivant elle ne trouve sa dynamique ,sa raison,que comme outil d’émancipation,d’herbe folle.
    Loin des approximations bon teint , la réécriture des faits,les discours dominants,le suivisme et la récupération.Sans parler de l’entre-soi.

    Sans compter que pour tous ces gens qui le plus souvent se réclament de la gauche politique, dont certains s’ égayent d’une manière ou d’une autre sur les deniers public,l’argent de tous :le mot populaire et tout ce qui s’y rapporte ne mérite que mépris.

    La BD a décidément besoin d’un grand cou de pied dans la fourmilière.

  5. Henri Khanan dit :

    Sans avis sur la question!

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