Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...« La Princesse de Clèves », entre cœur et devoir amoureux…
Publié anonymement par Madame de La Fayette en 1678, « La Princesse de Clèves » témoigne de la modernité de ton exprimé par les femmes dans la vie culturelle du XVIIe siècle. Décrivant les amours impossibles entre une femme de la cours d’Henri II et son beau prétendant, le duc de Nemours, ce classique est adapté ce mois-ci par deux autrices en un solide one-shot de 216 pages. Narrant également le destin de Mme de La Fayette, Catel et Claire Bouilhac cernent avec finesse et émotion ce chef-d’œuvre de la préciosité historique.
Débutant durant l’hiver 1558, l’intrigue de « La Princesse de Clèves » prend pour cadre les dernières années de règne d’Henri II, Valois dont le destin tragique fut semble-t-il prédit par Nostradamus. C’est à Claire Bouilhac qu’est revenue la longue tâche de dessiner les 180 planches mettant en scène les hésitations amoureuses de l’héroïne, Mademoiselle de Chartres. Bien que marié au prince de Clèves, la très (trop…) vertueuse jeune femme tombe amoureuse du duc de Nemours, qualifié à juste titre « d’homme le mieux fait et le plus beau du royaume ». Entre quête du bonheur, préservation de la bienséance, esprit volage, quiproquo, faux-semblants, élans passionnés et contrôle des sentiments, le roman fait la part belle aux chassés-croisés entre les principaux protagonistes. Dans le roman, le duc de Nemours est un Don Juan, potentiel prétendant au trône d’Angleterre en cas de mariage éventuel avec la reine Elizabeth. Tombé sous le charme de la – fictive – princesse de Clèves lors d’un bal de fiançailles, il change littéralement de comportement, devenant dès lors un inconditionnel romantique éploré. Le personnage fut inspiré à Mme de La Fayette par Jacques de Savoie-Nemours (1531 – 1585), cousin germain de François 1er. Séducteur reconnu pour son charme et sa galanterie, il finira par épouser une autre princesse (Anne d’Este) en 1566.
Chez Madame de La Fayette (lire aussi « La Princesse de Montpensier », paru en 1662), la plupart des personnages (y compris ceux ayant véritablement fait l’Histoire, tels Diane de Poitiers, le Duc d’Orléans, le Duc de Guise, Marie Stuart ou Catherine de Médicis) sont présentés comme des personnages beaux, élégants et manipulateurs , mais dissimulant des noirceurs, des vices ou des impuissances : l’on suivra ainsi leurs passions adultérines, leurs aptitudes à produire des rumeurs ou des jalousies susceptibles de faire et défaire les réputations, ou leurs incapacités à devenir heureux en amour. Composé avec l’aide et le soutien du célèbre moraliste et mémorialiste duc de La Rochefoucauld, et l’amitié de Madame de Sévigné, « La Princesse de Clèves » allait devenir dès sa parution un très grand succès , éminemment discuté dans les salons (notamment la séquence de l’aveu, moment-clé qui précipite le destin de l’héroïne). Jugé immorale voire dépassée, objet de la critique mondaine, l’œuvre fut toutefois rééditée plus de 200 fois depuis sa parution initiale. Du côté du cinéma, c’est Jean Delannoy qui décida dès 1961 de porter ce drame historique à l’affiche, sur un scénario de Jean Cocteau ; l’on comprendra plus aisément la présence de Jean Marais (le prince de Clèves), interprétant là le mari vieillissant et jaloux de Marina Vlady. Le visage de cette dernière inspire directement la couverture du présent album, portrait de la douce mais intransigeante « Princesse de Clèves ».
En guise de préface et de prologue à l’œuvre, Catel (également coscénariste et connue pour « Kiki de Montparnasse », « Olympe de Gouges » et « Joséphine Baker », portraits de femmes réalisés entre 2007 et 2016 avec le scénariste José-Louis Bocquet) a mis en scène les parallèles entre le roman et la vie de Madame de La Fayette. Bien que marié à un aristocrate auvergnat, l’autrice ne trouva pas le bonheur conjugal avec un mari extrêmement silencieux et discret À l’inverse, Mme de La Fayette avouera à mi-mots sa constante fidélité platonique envers le duc de La Rochefoucauld, liens intimes que Madame de Sévigné exprimera par ses mots : « rien ne pouvait être comparé à la confiance et aux charmes de leur amitié. » D’humeur mélancolique, d’extinction de la passion et des regrets amoureux, il sera donc question durant toute la fin de vie de l’autrice de « La Princesse de Clèves », jusqu’à sa mort survenue à 59 ans, le 25 mai 1693. Il n’est pas d’autre roman, peut-être, que celui de sa propre existence…
Philippe TOMBLAINE
« La Princesse de Clèves » par Claire Bouilhac et Catel Muller
Éditions Dargaud (24,99 €) – ISBN : 978-2205-07595-3