Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...Un concert graphique, haut la main !
C’est un album hors normes, sans équivalent, que nous propose Yann Damezin, le genre d’ouvrage qu’on regarde parce que la couverture interpelle, qu’on feuillette parce qu’on est intrigué et qu’on lit avidement parce qu’on est impressionné par le talent déployé. « Concerto pour main gauche » est en effet une œuvre majeure où la créativité, l’inventivité sont de toutes les cases. Vraiment !
Au regard de ce qu’on découvre en lisant l’album, résumer l’histoire a presque peu d’intérêt. Il s’agit, certes, d’une part d’une biographie très librement inspirée de la vie de Paul Wittgenstein, commanditaire du « Concerto pour la main gauche » de Ravel, dont il a clairement emprunté la physionomie, mais il s’agit surtout d’une célébration graphique et littéraire de la vie d’un pianiste virtuose qui perd un bras pendant la guerre 14-18.
Yann Damezin place la barre très haut : son noir et blanc puissant est porté par des motifs, souvent floraux mais également animaliers et géométriques, qui se déploient en fond d’images, émanent des personnages, servent de frises, comme autant de sinueuses métaphores graphiques, exprimant à leur façon les mots qui racontent la vie de ce jeune soldat bientôt amputé.
Au fur et à mesure de la lecture de textes situés le plus souvent en marge des cases ou des dessins, notre œil va et vient au plus vite entre le texte et l’image pour chercher la métaphore visuelle qu’en a tiré l’auteur, lequel combine à l’intérieur des corps ou les suivant, les poursuivant même, des créatures, des agglomérats savants ou monstres hideux mêlant des fleurs carnivores ou des bestiaires fantastiques, représentant les pensées, les états d’âmes, les frayeurs, les horreurs…
Le rêve et le cauchemar sont de toutes les pages, ne cessant d’évoquer un homme traumatisé et un artiste tourmenté, perturbé, coléreux qui doit retrouver la confiance en lui-même et redevenir un pianiste adulé. Mais pour qui vient le public ? Pour l’homme au moignon ou pour le brillant musicien ? Pour le phénomène de foire, ou pas ? Les femmes l’aiment-elles ou ont-elles pitié ? Le doute est là, qui s’immisce, qui gangrène, bien au-delà de la scène.
Pour un premier album, atteindre ce niveau d’excellence sur un sujet (le handicap), plutôt difficile à traiter, laisse pantois : outre que la réflexion sous-jacente sur le talent musical, la renommée et la réussite, mérite déjà l’attention, outre que le récit est joliment écrit, savoureux plus d’une fois, poétique à tout instant, le génie, lui, vient de ces miniatures s’accaparant l’espace, de ces formes s’épanouissant en enluminures vagabondes, de ces monstruosités à la Jérôme Bosch ou façon chapiteaux médiévaux, traquant l’homme seul, désespéré, maladroit, égoïste, mais attachant, terriblement attachant.
Didier QUELLA-GUYOT ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Concerto pour main gauche » par Yann Damezin
Éditions La Boite à bulles (17 €) – ISBN : 978-2-84953-331-4
Le genre d’ouvrages que l’on est content de découvrir, en tant que lecteur avide de sensations esthétiques. Merci Didier pour cette mise en avant