Les derniers jours de la peine de mort : un combat historique pour Badinter

En 1972, l’avocat Robert Badinter assiste, impuissant, à l’exécution par guillotine de Roger Bontems, simple complice de l’assassin Claude Buffet lors d’une prise d’otages sanglante. Révolté par cette injustice, le juriste va entamer un long combat pour l’abolition définitive de la peine de mort. Lorsque débute en 1976 le procès de Patrick Henry, ravisseur et tueur d’un enfant de huit ans, Badinter tente l’impossible : convaincre l’opinion publique que la peine capitale ne résout rien et replacer les jurés face à leurs terribles responsabilités. En 128 pages décrivant tour à tour les procès emblématiques de Badinter et son accession au poste de garde des sceaux, cet album au style BD reportage retrace un pan essentiel de l’histoire judiciaire française. Une indispensable lecture !

Couverture de "L'Abolition" (Fayard, 2000)

Robert Badinter, photographié à Poitiers en 2013.

Afin d’expliquer ses luttes humanistes et son point de vue (tant de citoyen que d’homme de loi), Badinter (né en mars 1928) écrira plusieurs ouvrages dont « L’Exécution » (1973 ; relatant le double procès de Buffet et Bontems, exécutés le 28 novembre 1972 après le refus d’une grâce présidentielle), « L’Abolition » (2000 ; adapté en un téléfilm en deux parties par Jean-Daniel Verhaeghe en 2009, où Charles Berling incarne Badinter) et « Contre la peine de mort » en 2006 (écrits et documents relatifs à la peine capitale dans le monde depuis 1970). Rappelons, bien sûr, que le combat entrepris par Badinter s’inscrivait dans un rapport de force moral, social et politique apparu dès le XIXe siècle avec Victor Hugo. Uniformisée dans sa tranchante méthodologie depuis la promulgation de la loi du 6 octobre 1791 par l’assemblée nationale constituante, la peine de mort n’avait ensuite été que très partiellement abolie en 1795 pour être officiellement rétablie en février 1810. Il faudra en conséquence attendre les écrits d’Hugo, hanté dès l’adolescence par la vision d’un condamné à Burgos, pour que les lecteurs soient directement interpellés sur la notion de crime d’état : de « Le Dernier jour d’un condamné » en 1829 à « Quatrevingt-treize » (1874) en passant par « Claude Gueux » (1834), le romancier fera apparaître la silhouette menaçante de la guillotine.

Face à la mort (planches 1 à 3, Vents d'Ouest 2019)

À partir de 1906, le nouveau président de la République Armand Fallières, fervent abolitionniste, gracie systématiquement tous les condamnés à mort. En 1908, Clémenceau et Jaurès soumettent aux députés un projet de loi en faveur de l’abolition de la peine capitale, qui sera repoussé par 330 voix contre 201. Le Régime de Vichy, les procès de l’Épuration lors de la Libération puis le contexte gaullien troublé (faible mot…) par la guerre d’Algérie et les attentats de l’OAS ne seront ensuite guère favorables à un quelconque changement de cap en la matière. En 1939, suite aux débordements causés par l’exécution d’Eugène Weidmann (meurtrier de six victimes), le président du Conseil Edouard Daladier décidera néanmoins d’abolir les exécutions publiques. Entre 1968 et 1978, la peine de mort sera requise une quinzaine de fois par an et prononcée dans trois ou quatre cas, pour finalement être exécutée en moyenne une fois tous les deux ans. Si, après un ultime recours en grâce auprès du Président de la République, le condamné voyait sa demande rejetée, l’exécution avait lieu avant le lever du soleil : après une dernière lettre, une cigarette (ou un verre d’alcool) et l’éventualité d’une confession, le condamné était amené en chemise vers la cour de la prison, les bois de justice étant normalement dissimulés jusqu’au dernier moment. En moins de 20 minutes, tout était achevé, le corps étant ensuite inhumé sans cérémonie dans un coin du cimetière digne de la fosse commune. En France, Christian Ranucci (28 juillet 1976), Jérôme Carrein (23 juin 1977) et Hamida Djandoubi (10 septembre 1977) seront les derniers guillotinés, sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing.

Affiche révolutionnaire menaçant de guillotiner les ennemis de la République

En 1981, la champagne électorale de François Mitterrand ouvre de nouvelles perspectives pour Badinter. Inspirée par une lettre écrite par Buffet au Président Pompidou, la formule « Guillotiner ce n’est rien d’autre que prendre un homme et le couper, vivant, en deux morceaux. » fait mouche : bien que reconnu coupable de meurtre, Patrick Henry (mort en 2017) échappe dès 1977 à la peine capitale au profit d’une réclusion criminelle à perpétuité. Cette première victoire, ainsi que sa fidélité mitterrandienne, permet à Badinter de porter un nouveau projet de loi auprès de l’Assemblée nationale le 18 septembre 1981. Il sera promulgué le 10 octobre suivant, alors que Badinter poursuivait (jusqu’à ce jour) son combat démocratique dans le monde entier.

Recherches de couvertures

En couverture de « L’Abolition », une silhouette d’avocat se détache dans l’embrasure d’une porte, cette dernière semblant offrir un peu de lumière dans un univers aussi noir que le crime et la mort réunis. Homme et échafaud se répondent en miroir : l’un, debout, semblera renvoyer le second à une simple perspective, une ombre portée destinée à s’effacer une fois la porte refermée ou l’avocat passé à un autre défi. Elle-même coupée en deux parties égales (la lame à coupe oblique et le buste surmonté d’une tête), cette ombre est destinée à mourir, en quelque sorte renvoyée à un (sombre) passé judiciaire archaïque. En parallèle de cette instructive parution, nous ne saurons trop vous conseiller de parcourir (hasard des publications Glénat/Vents d’Ouest !) le premier tome de l’histoire des plus fameux bourreaux : « Les Sanson et l’amateur de souffrances » (par Patrick Mallet et Boris Beuzelin). Sur un mode complémentaire, enfin, comment ne pas acquérir « La Guillotine » (par Marie Gloris et Rica ; Eidola, 2019), album réunissant les pages parues dans La Revue dessinée et narrant l’histoire (et les petites anecdotes) de cet instrument de mort utilisé entre 1792 et 1981. Rappelons in fine à nos lecteurs les plus dubitatifs cette phrase prononcée par Badinter : « Ceux qui croient à la valeur dissuasive de la peine de mort méconnaissent la vérité humaine. La passion criminelle n’est pas plus arrêtée par la peur de la mort que d’autres passions ne le sont qui, celles-là, sont nobles. ». Des lectures pour garder la tête froide !

Couverture pour "La Guillotine" (Eidola 2019)

Philippe TOMBLAINE

« L’Abolition, le combat de Robert Badinter » par Malo Kerfriden et Marie Gloris-Bardiaux-Vaïente
Éditions Glénat (17,50 €) – ISBN : 978-2344026502

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