« Bloodshot Salvation » : et si l’humain…

L’univers Valiant n’en finit pas de s’étendre, et Jeff Lemire surprend encore par son aptitude à rester dans les clous de scénarios ambitieux abordant des thèmes modernes pourtant complexes.
« Bloodshot Salvation » se conclue dans un requiem scotchant, mais l’on sent que les ramifications sont néanmoins latentes et quasi inépuisables.

Dans le précédent tome paru chez Bliss, Bloodshot (Ray Garisson) a subi un contretemps en mission, du fait de la désactivation de ses nanites par l’organisation paramilitaire Omen, à l’origine du procédé. Pendant ce temps, son bébé Jessie, qui a déclenché la « pathologie » et est recherchée par Omen, souffre d’une sorte de rejet et risque la mort.

La seule solution est envisagée par Ninjak : se rendre dans le royaume des morts. Ray prend le risque de franchir la frontière avec sa fille afin de passer un marché avec Baron Samedi. Traiter avec le royaume des morts a cependant un prix et seule Jessie, sauvée bien qu’ayant vieilli de plus de 10 ans en quelques heures, reviendra près de sa mère. Bloodshot lui, est « exporté » dans le futur, en 4001, afin de payer sa dette.

Les planches peintes de Renato Guedes sont magnifiques. Rien que pour ça, on tiendrait déjà une bande dessinée, et ici un comics, hors normes. Comment expliquer le ressenti de l’arrivée de Bloodshot dans le royaume des morts, dans le chapitre 7, avec des mots ? Jeff Lemire le fait, … sans image, ou presque. Seuls les mots, ceux du héros justement, et les aboiements de son chien parsèment de larges cases pleine page, faites d’un noir profond. Le papa perdu s’interroge. Où se trouve t-il ? Sur quoi marche t-il ? Quelles sont les choses qui l’entourent, l’agressent ? L’excellente idée de l’auteur consiste à nous plonger dans le noir afin de témoigner du parasitage dont les nanites du héros ont été victimes en passant d’un monde à l’autre. La couleur, puis une image claire, reviendront en saccades, telle la vision de Robocop dans son premier opus cinématographique, seulement au bout de… 22 pages ! 22 pages noires, mais pas que …

Le scénariste, car c’est son idée, n’en doutons pas, s’attache en effet la coopération du dessinateur afin de rendre beau et inventif un passage pourtant casse-gueule. On a rarement vu séquence aussi longue en bande dessinée, pour essayer de rendre un « rien ». Un « rien » qui n’est est justement pas un, car le lecteur vit et ressent dans son corps les chutes et agressions de ce père, effrayé, serrant son enfant dans un bras et son arme de l’autre, grâce à une technique graphique efficace. Renato Guedes profile des phylactères, des silhouettes de créatures, à l’aide seule de traits ou de taches blanches volantes. Impressionnant. C’est entre autre avec des passages de cet acabit que Jeff Lemire gagne ses galons d’artiste et d’auteur culte. Enfin, les planches couleur de l’artiste reprennent, suivant le cheminement de Bloodshot dans ce dédale étrange, et c’est à nouveau l’explosion graphique.

Suit un chapitre en flashback durant la première guerre mondiale, afin de comprendre d’où vient le chien blanc accompagnant l’homme au rond rouge, dessiné par Ray Fawkes. Puis Dough Braithwaite prend le relais graphique, sur « Le Livre de l’apocalypse » . Là, présent et futur nous sont à nouveau contés en parallèle, comme dans le premier tome. Pendant un moment, surtout parce que des dinosaures nous sont présentés dans la partie « future », on jurerait que Jeff Lemire nous a concocté un crossover entre les séries « Savage », ou plus possiblement : « War Mother »… Et s’il n’en est rien pour l’instant, laissons la porte ouverte, on ne sait jamais…
Le meilleur reste cependant encore à venir puisque le futur va mettre en présence Bloodshot (« Père Ray »), et son descendant : l’entité IA rouge, tandis que dans le présent, Magic et sa fille subissent les assauts d’Omen.

Le passage le plus émouvant et le plus incroyable sera sans doute le chapitre « 4001 AD Bloodshot » celui ajouté parmi les trois bonus, expliquant comment, après la mort de Bloodshot, narrée dans le chapitre « Book of Death » consacré au héros (déjà disponible dans le recueil du même nom, paru en avril 2017), celui-ci a été transformé en intelligence artificielle. Le dernier comics du recueil, tiré du Free Comic Book Day 2018, ne faisant qu’enfoncer le clou sur l’étonnante capacité de Jeff Lemire à nous emporter avec lui dans des réflexions scientifiques et sociétales d’actualité, concernant le devenir de l’être humain, dans le cadre de ce que l’on appelle le transhumanisme. (Voir ses autres récits « Trillium et « Descender » à ce sujet, entre autre.)

« Bloodshot Salvation » est un comics essentiel de l’univers Valiant, riche graphiquement et très fort scénaristiquement, figurant parmi ce que la science-fiction moderne a produit de mieux ces vingt dernières années. Indispensable !

Franck GUIGUE


Un pack de découverte
Bloodshot Reborn T1 + T2 et un film !

Pour célébrer la fin de la saga culte de Jeff Lemire sur le personnage de Bloodshot et la sortie du deuxième et dernier tome de « Bloodshot Salvation », les éditions Bliss comics proposent un pack découverte reprenant les débuts de son œuvre, à un prix avantageux.

Pack « Bloodshot Reborn T1 + T2 » par Jeff Lemire, Mico Suayan, Raul Allen, Butch Guice
Éditions Bliss comics (15€)

Bloodshot sera adapté au cinéma par Sony en février 2020 avec Vin Diesel dans le rôle-titre, mais aussi San Heughan (Outlander) et Guy Pearce (Iron Man 3) Le tournage a débuté en août 2018.

 

« Bloodshot Salvation vol 2 : le livre de l’apocalypse » par Jeff Lemire, Renato Guedes, Dough Braithwaite, Jordie Belaire
Éditions Bliss comics (25 €) – ISBN : 978-2-37578-150-0 

 


 

Galerie

Une réponse à « Bloodshot Salvation » : et si l’humain…

  1. KemppiMaster dit :

    La construction du Valiant moderne aura profite par la contribution de scenaristes de talents, et Bloodshot ressort indeniablement grandi par ces quatre annees passees sous la plume de Lemire. Bloodshot Salvation vient confirmer la facilite avec laquelle Lemire reussit a transformer et humaniser un personnage dont on pourrait se contenter de faire un titre bourrin. Cheminement de relations humaines tissees au fil des precedentes series, le titre peut s’aborder directement pour les amateurs de drame familial (corse) et de quetes de vengeance, avec une tonalite brute, qui ne s’impose que peu de limites. Une reussite seulement entachee par le fait ce premier tome amorce la fin de ce tres joli

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