« La Faune de Mars » et « Le Major » par Moebius…

Deux Moebius tardifs réapparaissent augmentés à tous points de vue : en taille, en contenu, et en présentation générale. Publiés en 2011 en petite dimension, très vraisemblablement au format original de l’auteur, ces carnets aux couvertures toilées avaient été d’un prix et d’un tirage qui les destinaient à un public confidentiel d’admirateurs et de collectionneurs. Ici réédités au format moyen, à belles couvertures mates, enrichis de bonus et d’un prix plus abordable, un plus large public pourra apprécier pleinement le confort de lecture de ses deux derniers OVNI.

« Le Major » :

Ce carnet appartient au genre BD, mais de façon curieuse, sorte d’avatar du « Chasseur déprime » (une suite de « Major fatal »sortie en 2010), issue des carnets de l’auteur entre 2001 et 2009 et remaniant le début conçu dès 1997. On a affaire à une forme libérée des contraintes d’un album : petites planches réalisées à des « moments perdus », propos plus intimes, avec rythmes, ruptures et longueur inattendus, voyage dans l’étrange d’un rêve éveillé.

Résumer ou raconter cette non-histoire est donc impossible. Disons que le carnet commence doucement par des réflexions philosophiques, dans le fameux désert « B » de Moebius, largement abordé dans le « journal personnel graphique » : « Inside Moebius ». Double ou prolongement de l’auteur, le Major déambule, soliloque, rencontre, dialogue sans toujours de compréhension, se perd, se retrouve (?), dans des pérégrinations d’une grande beauté et d’un mystère qui tient de l’inconscient, du rêve. Plus on avance  plus le propos se densifie et plus le graphisme s’enrichit. Le minéral apparaît, comme très souvent, fascinant. L’ensemble est libre, rêveur mais tenu. Des allusions à l’auteur parsèment discrètement l’ouvrage. Après ces 150 planches, des images noir et blanc et couleurs enrichissent en bonus le carnet : quelques mises en couleurs inconnues, des dessins noir et blanc proches de l’univers du Major, un régal pour les inconsolables de la disparition du Maître.

Un Moebius ultime, qui créé des passerelles et se complète avec « Le chasseur déprime »et qui offre finalement autant qu’un album. On a ici, sauf découverte future, sa dernière BD achevée en album personnel.

« La Faune de Mars » :

Même format, présentation similaire pour ce carnet, mais là s’arrête la correspondance avec le premier. Série de dessins libres, sorte de « bestiaire » (comme annoncé en avant-première vers 2007), il s’agit d’un OVNI graphique et pas seulement dû à Mars … Quelques extraits avaient été déflorés lors de l’exposition Cartier de 2010-2011 et dans un petit livret confidentiel, mais ce carnet  composé de versions définitives compte pas moins de 70 animaux imaginaires dans leur milieu tout aussi improbable.

Le facétieux Moebius laisse aller un humour absurde, doucement loufoque, et prétexte à croquer des formes inconnues, compliquées à plaisir et étranges. Les créatures semblent se donner en spectacle, dans le décor du fameux désert B, où second degré et détournement abondent. On s’amusera à repérer de temps en temps, au détour d’un dessin, le Major, Sel et Atan (du « Monde d’Edena ») et Moebius lui-même. Un jeu de piste dans son univers qui plaira évidemment d’abord aux amateurs, ce carnet étant moins aisé d’accès pour le grand public.

Au-delà du graphisme savoureux et des prouesses dans lesquelles l’oeil a plaisir à se perdre dans tel détail ou vision d’ensemble rêveuse, on note le soin de l’auteur apporté au texte, évidemment laconique. Titres des créatures, parfois sous-titres, font émerger jeux de mots, sonorités incongrues, entre grandiloquence volontairement forcée et énonciations sobres, et même anagrammes. Quelques exemples : Doboltrobole, Petit Traumadaire, L’aloulette, Le Multiplon (saison des haines), Loberdel, Gros Ani mâle, Little Torino, Karmouze avant l’orage.

De brèves « notes du Major » explicitent les animaux représentés (genèse, parfois titres). Après cette série de dessins réalisés en 2006 et 2007, parfois retravaillés, Moebius en a mis en couleurs une partie, sans doute minoritaire, repris en fin de ce livre. Quelques unes des ces mises en couleurs avaient été exposées (« Moebius multiple(s) », Cherbourg 2011), ou publiées ça et là, mais il nous en est offert bien plus dans cette édition. Et en nouveau prologue, Moebius dialogue avec le biologiste Hervé Le Guyader, à l’occasion de l’exposition Cartier.

Avec ses dernières oeuvres achevées connues, Moebius nous gâte, et continue à nous éblouir. Pourvu qu’il en existe d’autres à découvrir … Deux beaux livres complets, parfaits cadeaux à (se faire) offrir.

Patrick Bouster

« Le Major » par Moebius (3000 ex.)

Moebius production (30 €) – ISBN : 978-2-908766-39-4

« La faune de Mars » par Moebius (3000 ex.)

Moebius production (30 €) – ISBN : 978-2-908766-38-7

Galerie

10 réponses à « La Faune de Mars » et « Le Major » par Moebius…

  1. PATYDOC dit :

    A ces deux ultimes Å“uvres du Maître, on peut aussi ajouter le catalogue de l’exposition de Toulon, chez HDV ( à fouiner, à chercher, à trouver ! )

    • GAUMER dit :

      « Inside Moebius – L’alchimie du trait », sous une fort jolie couverture du Major (visuel entraperçu naguère à la une de La Cruda n° 4). Le catalogue est encore dispo chez Moebius Production à un prix très raisonnable.
      Bien cordialement,
      Patrick Gaumer

  2. Patrick BOUSTER dit :

    Merci, chers correspondants et collègues,
    En ultimes Å“uvres, j’entendais évidemment les oeuvres réalisées spécialement avant la fin, et non des oeuvres d’époques diverses, compilées pour une expo ou un recueil. « Inside Moebius – L’alchimie du trait », beau, indispensable contenant des inédits du passé, appartient donc à cette catégorie, même s’il a signé (curieusement Moebius) des oeuvres anciennes que très tardivement, présentées dans ce catalogue d’exposition.
    Espérons d’autres oeuvres ultimes, style Arzak L’arpenteur tome 2, ou Le Major fatal tome 3, inachevées.

  3. J-Michel Lemaire dit :

    bien d’accord avec toi Patrick
    deux indispensable pour tout amateur de l’œuvre de Giraud / Moebius
    un vrais bonheur de les lire dans cette version augmentée
    en attendant la réédition de 40 Days qui s’annonce aussi belle

  4. Michel Dartay dit :

    Oui, enfin, bon, on pourrait aussi publier un ou deux bouquins avec des oeuvres inédites en albums (affiches de films, commandes publicitairesn commandes privées, etc). Pour trouver la matière, il suffit de regarder ce qui se publie sur facebook…

  5. Patrick BOUSTER dit :

    On « pourrait » en effet avoir au moins 5-6 bouquins bien épais comme les recueils Moebius style Fusions ou Made in LA, mais je crois savoir que toute publication (hors Moebius production, après 2000 environ) est bloquée dans l’attente de l’issue d’une succession compliquée.
    Espérons donc que la justice débloque tout cela. En attendant, on ne peut que glaner, ou pas, des éditions augmentées, des apparitions, des catalogues d’exposition …

    • GAUMER dit :

      À propos de réédition, signalons la sortie prochaine, mi-mars, de « 40 jours dans le désert B », chez Moebius Productions, version augmentée de 8 pages couleur.
      Cordialement,
      PG

  6. Crissant Clavier dit :

    Une (longue)pub pour une marque de cognac signée Ridley Scott inspirée par Moebius:https://www.youtube.com/watch?v=Hat0Gd0GAqw

    Après tous les emprunts ,bel hommage.

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