« L’Âge d’or » T1 par Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil

Au XVe siècle, un royaume médiéval accablé par la disette regrette le bon vieux temps ; une digne princesse est réduite à l’exil du fait d’un complot ; une quête est initiée pour recouvrer la liberté : ces trois ingrédients significatifs sont au menu de la première partie d’un diptyque d’exception. Le conte épique de Roxanne Moreil, mis en images (à moins qu’il ne s’agisse d’enluminures…) par Cyril Pedrosa, fait en effet assurément déjà partie des grands incontournables de cette très riche rentrée.

Au commencement était la féérie : page de titre et image d'ouverture... longue de plus de deux mètres (Dupuis 2018)

Impitoyable pour les bourses des collectionneurs, le marché de la bande dessinée n’évolue pourtant pas sans éviter une crise profonde (le revenu de bien des auteurs étant en berne, et les acheteurs noyés dans la jungle des parutions). Toutefois, en guise de bon revers de la médaille, avouons-le, a-t-on jamais vu pareille production et inventivité ? Dans les semaines à venir, plusieurs véritables pavés – et autant de chefs-d’œuvre ! – seront à ainsi mis l’honneur dans cette rubrique. Point commun, outre la qualité évidente des futurs albums mentionnés : tous font plus de 200 pages, la plupart n’étant en outre que le premier épisode d’un récit entendu comme feuilletonesque, pour ne pas dire romanesque. Cette immixtion du roman graphique dans la sauce franco-belge n’est certes pas nouvelle : elle est notamment portée depuis 1988 (mais avec des titres à la pagination moitié moindre) par la célèbre collection Aire libre des éditions Dupuis. Point de hasard, donc, si « L’Âge d’or » semble jouer avec grand talent sur ce fil tendu entre le conte et le réel, l’utopie et le récit politique aux tonalités intemporelles.

Le destin d'une princesse (Dupuis 2018)

Avec 232 pages au compteur (le précédent « Portugal », Fauve d’Angoulême et prix de la BD Fnac en 2012, en totalisait déjà 250), Cyril Pedrosa n’a pas fait dans la demi-mesure : prépublié durant tout l’été en partenariat avec France Inter, à raison d’un chapitre par semaine (voir le site http://www.lagedor-airelibre.com/), « L’Âge d’or » s’est révélé fascinant de bout en bout. Planche après planche, le périple entrepris par la féministe princesse Tilda et ses amis Tankred et Bertil pour reconquérir le royaume paternel et libérer son peuple s’accompagne d’un voyage dans l’imagerie et l’iconographie médiévale. Il faudra rappeler ici que Pedrosa fut initialement – de 1996 à 1998 – intervalliste chez Disney sur « Le Bossu de Notre-Dame », puis assistant-animateur sur la production d’« Hercule ». Chaque case de « L’Âge d’or » est une nouvelle enluminure, s’étalant parfois sur la totalité de la page ou de la double page. Ce double clin d’œil permanent aux livres d’heures (« Les Très Riches Heures du duc de Berry », 1411-1486) et au style flamand de Bruegel subjugue le lecteur avec une grâce et une inventivité de tous les instants : qu’il s’agisse des cadrages et panoramiques, des couleurs et lumières, des motifs et ornementations, des physiques et regards, des décors et perspectives faussées, des raccourcis temporels ou des dédoublements ironiques, la mise en scène est parfaite.

Un impressionnant travail sur la couleur

Entrelaçant pour sa part la grande aventure de cape et d’épée, le conte philosophique et le roman historique, le scénario n’est pas en reste, en allant piocher tant dans le fait authentique (les révoltes paysannes, Jeanne d’Arc, le règne de Charles IX, l’avènement de la Renaissance) que dans les légendes populaires (la fantasy du cycle arthurien, Robin des Bois, « La Légende dorée », les contes de Perrault, etc.). Littéralement cousu de fil d’or par la magie des couleurs infographiques (le noir encré initial pouvant devenir brun, ocre, rouge, vert ou cyan), « L’Âge d’or » bénéficiera comme il se doit d’une double édition, la seconde étant enrichie d’une couverture inédite (jaquette à rabats) et d’un frontispice (tirage limité à 999 exemplaires, dessin tiré à part, numéroté et signé ; 58 €). Achevons ce dithyrambe avec l’édition classique, portée par un visuel somptueux : au miroir trouble des eaux mouvantes et mortifères semblera se jouer le destin d’une femme bien isolée, dont on espère que le combat sera plus salutaire que celui d’un certain Don Quichotte. La roue de l’Histoire tourne comme les ailes d’un moulin, entre bonne fortune et destin capricieux… De grâce, avec un tel niveau créatif, nous ne pouvons que souhaiter au plus vite la suite !

Couverture alternative

Ex-libris

Premier aperçu du tome 2 (visuel issu du Facebook de C. Pedrosa - 2018)

Philippe TOMBLAINE

« L’Âge d’or » T1 par Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil
Éditions Dupuis (32,00 €) – ISBN : 979-1034730353

Galerie

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