Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Jhen T5 : La Cathédrale » par Jean Pleyers et Jacques Martin
Disparu en 2010, Jacques Martin aura laissé avec « Alix l’intrépide », « Lefranc » et « Jhen » une Å“uvre considérable, écoulée à plus de 20 millions d’albums et traduite dans une dizaine de langues. Ayant toujours associé bande dessinée et réalité historique avec brio, ce maître de la ligne claire lancera « Jhen » en 1978, en se joignant au dessinateur Jean Pleyers. Nous avons choisi cette semaine de se pencher sur la neuvième planche de « La Cathédrale », cinquième titre de la série publié par Casterman en 1989. Le héros architecte – Jhen Roque – est mandé par l’évêque de Strasbourg pour participer à la construction de la célèbre cathédrale. Un chantier non sans risques, transcrit en images de manière spectaculaire !
Initialement prénommée « Xan » lors de sa création et de sa parution en Belgique dans Tintin (à partir du n° 33 daté du 15 août 1978), la série sera rebaptisée « Jhen » lors de son passage chez Casterman en 1984. Désormais riche de 17 titres, la saga se poursuit désormais sous la plume de divers scénaristes (Hugues Payen jusqu’en 2012, puis le duo Jerry Frissen et Jean-Luc Cornette) et de dessinateurs talentueux (Thierry Cayman, Paul Teng). À chacun des titres proposés, Jhen affronte l’un des grands fléaux ou s’interroge sur l’un des grands secrets ésotériques du Moyen Âge : citons notamment « Barbe-Bleue » (1984), « L’Alchimiste » (1989), « Les Sorcières » (2008), « Draculea » (2013) ou « La Peste » (2017).
Précisément chargé de construire la flèche de la cathédrale de Strasbourg, Jhen est informé lors de son arrivée (planche 7) que le danger menace car il s’y déroule « des choses étranges » (case 7). Ce suspense cède vite la place aux pages suivantes à un non moins inquiétant et insaisissable « Fantôme noir » dont l’occupation principale semble être de faire choir des morceaux de pierre sur de potentielles victimes. Détaillons l’architecture de la planche 9 ; notons que Jean Pleyers a pour principal impératif d’illustrer un récit qui mise tout sur la verticalité et lorgne du côté du polar fantastique avec un méchant digne du « Fantôme de l’opéra » et de « La Marque jaune » réunis. Les quatre premières cases (1er strip) alternent ainsi les vues en plongée et contreplongée, suggérant que l’intrigue se joue entre terre et ciel, bassesses, chutes et élévations des corps et des âmes. En case 5, Jhen dévale un escalier en colimaçon tout en renonçant – momentanément – à pourchasser son mystérieux antagoniste. Deux cases rectangulaires mises en surplomb permettent de nouveau de mettre en relief l’intrigue : au bas de l’édifice, Jhen constate rassuré qu’il n’y aucun blessé. Au sommet, le criminel s’apprête à commettre un nouveau forfait… In fine, le bloc de pierre qui chute en case 8 invite les lecteurs angoissés à tourner rapidement la page pour savoir si Jhen a évité le péril. Cette dernière case pourra se lire et voir comme un écho des cases 1 et 3, cadrées de manière similaire et présentant Jhen dans une posture relativement voisine. Cet effet de perspective et de mimétisme n’est pas anodin chez Martin et Pleyers, dans la mesure où le duo héros/vilain est indissociable du sens général d’un récit qui ne construit ses propres actions que par rapport aux actions et contre actions de chacun des personnages.
Afin d’être complet sur l’album « La Cathédrale », il nous faudra préciser que l’intrigue ne s’occupe que partiellement du sujet titré : haute de 142 mètres, achevée en 1365, la cathédrale verra son unique clocher surmonté d’une flèche en 1439. Mais le véritable sujet du livre est ailleurs puisque le scénario de Jacques Martin s’intéresse finalement beaucoup plus à l’histoire des lieux de son enfance, les deux châteaux d’Ottrot, près du Mont Sainte Odile. Ce au profit d’un clin d’œil appuyé à « Roméo et Juliette » (1597) avec l’amour impossible entre deux adolescents (Marc et Clara) issus des clans ennemis vivant à 500 mètres d’écart… Tout est décidément histoire de (dé)construction.
Philippe TOMBLAINE
« Jhen T5 : La Cathédrale » par Jean Pleyers et Jacques Martin
Éditions Casterman (11,95 €) – ISBN : 978-2203322035
Belle analyse d’un bel album dont les deux auteurs sont au sommet de leur carrière.
Ajoutons qu’il existe un tirage de tête, fait assez rare chez Martin.
Serie grandiose, Martin au sommet de son art. J’attends le prochain Jhen dessiné par Pleyers avec impatience !
Un album de malade. Pleyers au delà du sens du détail.