Disparition de Frank Giroud…

Après Julio Ribera, c’est un autre de mes compagnons de route qui nous quitte : le scénariste Frank Giroud. Agrégé d’Histoire, ancien élève de l’école des Chartes, professeur d’histoire à Grenoble, rêvant de bande dessinée dès l’enfance, il était devenu l’une des références d’une nouvelle génération de scénaristes : à la fois raconteur d’histoires et rigoureux avec la grande Histoire. Retour sur une carrière exemplaire.

« … Je suis passé très près (de la mort), fin 2015, avec de longs mois d’hôpital et de convalescence à la clé. Je peux à nouveau conduire, rentrer mon bois et bien sûr travailler. Mais je reste à la tête d’un myélome et de reins hors d’usage qui m’obligent à passer par la case dialyse trois fois par semaine, ce qui est extrêmement contraignant… » Frank Giroud tenait ses propos en mars 2017 avec Sophie Bogrow dans le numéro 101 de la revue Casemate. La camarde aura eu le dernier mot dans la nuit du 13 au 14 juillet. Né le 3 mai 1956 à Toulouse, il avait 62 ans.

Passionné d’Histoire et d’écriture, le jeune Frank Giroud qui possède un beau coup de crayon rêve de réussir dans la BD. Le hasard le conduira au scénario. Travaillant en 1978 pour les archives historiques d’une bibliothèque, il avait interviewé Michel De France, responsable des fascicules de L’Histoire de France en BD chez Larousse. Intéressé par ce garçon à la fois historien et connaisseur en BD, ce dernier lui propose de travailler sur son prochain projet de magazine, La Découverte du monde en BD. C’est ainsi que notre scénariste en herbe écrit pour Euleteri-Serpieri, Pierre Frisano, Huescar, Jose Bielsa, Gattia… des histoires qui à son grand désespoir seront sérieusement retravaillées. Il enchaîne avec L’Histoire du Far West en BD jusqu’en 1982 tout en écrivant des récits didactiques destinés à Pierre Brochard pour l’hebdomadaire Fripounet (« Zoom », « Pages d’histoire »). C’est à cette époque qu’il rencontre Jean-Paul Dethorey, animant « Inspecteur X » dans le mensuel Amis Coop où ils créent le lunaire « Big-Boogie ». En 1982, il entre aux éditions Glénat qu’il ne quittera plus avec la création dans Circus puis dans Vécu de « Louis la Guigne » avec Dethorey. Les albums s’enchaînent, de nouvelles histoires voient le jour, « Les Patriotes » avec Fabien Lacaf en 1988, « Tango » en 1990 avec Alain Mounier, « Pieter Hoorn » avec Norma en 1991, « Mandrill » avec Barly Baruti et « Louis Ferchot » avec Didier Courtois, « Taïga » en 1995 avec Joëlle Savey… Chez d’autres éditeurs, il écrit « Le Chaman » pour Ab’Aigre dans Ice Crim’s, après avoir imaginé en 1988 « Missouri » pour Daniel De Carpentrie dans Spirou. Il démarre en 1990 une collaboration fructueuse avec la collection Aire libre des éditions Dupuis écrivant « Les Oubliés d’Annam », « La Fille des ibis » puis « Azrayen » pour Lax. Aux éditions du Lombard en 1989, il imagine « Jackson » dans Tintin  puis Hello BD pour Marc-Renier, puis publie en 1991 « Le Crépuscule des braves » avec Philippe Tarral.

C’est en 2000 que sa carrière de scénariste connaît une étape importante avec la création du « Décalogue » aux éditions Glénat : première BD concept qui lui permet de collaborer avec plusieurs dessinateurs sur un même projet. Une vaste fresque en dix épisodes signée Joseph Béhé, Jean-François Charles, Giulio De Vita, Bruno Rocco, T.B.C., Alain Mounier, Paul Gillon, Lucien Rollin, Michel Faure et Franz. Face au succès du « Décalogue », des séries dérivées suivront : « Le Légataire » en 2005 par Béhé et Camille Meyer, « Les Fleury-Nadal » par Lucien Rollin ou Daniel Hulet. Toujours chez Glénat, il écrit en 2003 « L’Expert » dessiné par Brada.

Aux éditions Dupuis, il débute en 2004 dans la collection Empreinte(s) une série de diptyques sur le thème des « Secrets » : « Samsara » avec Michel Faure, « Cavale » avec Magda », « La Corde » et « Pâques avant les Rameaux » avec Marianne Duvivier, « Adelante ! » avec Rey, « L’Écorché » avec Pellejero, « L’Angelus » avec Homs, « Le Serpent sur la glace » avec Jovanovic. Dans la même collection, il imagine  en 2005 « Quintett », nouvelle série concept illustrée par Cyril Bonin, Paul Gillon, Steve Cuzor, Jean-Charles Kraehn  et Giancarlo Alessandrini.

Il écrit en 2006 « Le Cercle de Minsk » pour Jean-Marc Stalner publié chez Albin Michel poursuivi par Glénat. C’est pour ce dernier qu’il renoue en 2010 avec les albums collectifs en lançant « Destins », véritable monument en quatorze albums réalisés en moins de trois ans, confiés à des dessinateurs, mais aussi à des scénaristes différents (Michel Durand, Daphnée Collignon, Pierre Christin, Luc Brahy, Éric Corbeyran, Kris, Rodolphe, Olivier Berlion, Matz, Joseph Béhé, Makyo…).

Bien que freiné par la maladie, Frank Giroud continue à proposer de nouveaux ouvrages au cours de ces dernières années, parfois avec le concours d’amis scénaristes (Florent Germaine, Denis Lapière, Frédéric Richaud) : « Le Champs d’Azur » pour Luc Brahy en 2010 chez Glénat, « Pages noires » en 2010 avec Denis Lapière et Ralph Meyer chez Futuropolis, « Galkiddek » en 2013 chez Delcourt pour Paolo Grella, « L’Avocat » avec Laurent Galadon pour Frédéric Volante en 2015 aux éditions du Lombard, « Géricault » en 2016 pour la collection Les Grands Peintres des éditions Glénat dessiné par Gilles Mezzomo qui illustre aussi « Le Vétéran » chez le même éditeur. Son dernier album « Churchill et moi », dessiné par Andrea Cucchi, vient de paraître aux éditions Casterman.

À la fois solitaire, il avait sillonné seul l’Amazonie pendant neuf mois, et épicurien, il adorait réunir ses amis au cours de soirées festives, Frank Giroud était fidèle en amitié, rigoureux lorsqu’il s’agissait d’illustrer ses histoires. Il laisse derrière lui une œuvre abondante et variée, réalisée avec le concours de grandes signatures du neuvième art, bien qu’il ait également pris du plaisir à travailler avec de jeunes auteurs. Frank, nous ne t’oublierons pas.

Henri FILIPPINI

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2 réponses à Disparition de Frank Giroud…

  1. Fabrice dit :

    Bonsoir, tout simplement Merci pour ce bel hommage, vous avez tout résumé sur sa vie, ses passions et ses amitiés. J’ai croisé le chemin de Frank, après avec Frank celui de Virginie et Thaïs a qui je pense depuis hier matin. Adieu l’ami.

  2. Douvry jean-françois dit :

    Quelle triste nouvelle cette disparition de Frank ! J’ai beaucoup de peine.
    Henri Filippini a bien retracé le parcours si riche de Frank Giroud, qui à mes yeux était un fin dialoguiste et un amoureux des mots, techniques maîtrisées qu’il mettait au service de ses récits.
    La grand Histoire le passionnait, tout autant que la petite, sa riche bibliographie en témoigne..
    Mais c’est la vie toute entière qui le captivait, il portait sur elle un regard humaniste et lucide.
    Cet universalisme caractérise la correspondance que j’eu le bonheur d’échanger avec lui depuis trente ans, car c’était un vieil ami !
    Je me souviens qu’Il répondait toujours présent lorsque nous le sollicitions pour nos premières manifestations BD, dédicaçant ou animant une conférence.
    J’ai précieusement conservé un tapuscrit d’interview que j’avais réalisée à la sortie des « Oubliés d’Annam » soigneusement corrigé et annoté par Frank, et si révélateur de sa soif permanente d’exactitude et de lisibilité.
    Ce grand voyageur aimait tant la vie, cette vie qui le quitte si absurdement et injustement.
    Pensées et condoléances émus à sa compagne et sa fille.

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