« Sous les pavés » par Éric Warnauts & Guy Raives

Il est de ces années folles qui marquent l’Histoire. 1968 est de celles-là. Dans le monde entier, la jeunesse manifeste pour la liberté et contre la guerre. Les protestations contre la guerre du Vietnam se font de plus en plus vives, Martin Luther King est abattu à Memphis. Un peu plus tard, les chars du bloc de l’Est envahissent la Tchécoslovaquie et mettent fin au processus démocratique qui vient de s’engager. En France, à la mobilisation des étudiants succède celle du pays tout entier, rêvant d’un autre monde et d’un avenir qui ait du sens.

L’avenir, justement, parlons-en. Au début de ce récit, il semble tout tracé pour la plupart des protagonistes de cette histoire. La timide Françoise, jeune étudiante provinciale d’origine modeste, quoiqu’épousant les idées d’un groupe anarchiste prônant l’autogestion,  semble promise « à l’ancienne » à Gilles, futur chirurgien nanti, fils du directeur d’une clinique privée. À l’image des notables intouchables de la droite gaullienne puis pompidolienne, les deux hommes multiplient les conquêtes et ne reculent devant aucune compromission. La maîtresse du père de Gilles n’est d’ailleurs autre que la jeune Sarah Tanenbaum, meilleure amie de Françoise, que le vieux bourgeois se contente de sauter à la va-vite, en se gardant bien d’une promesse quelconque. Elle s’en fout Sarah, elle qui profite du pognon de ses parents pour ne rien faire, sauf libérer son corps et consommer des substances illicites.

Ajoutez à cela Jay Fergusson, un étudiant américain en photographie au passé chaotique, tombé en extase devant la beauté de Françoise, et son ami Didier Saint-Georges, fils d’un député guadeloupéen et proche du mouvement nationaliste de son territoire, et vous obtiendrez cinq jeunes citoyens en révolte et en quête, pour des raisons différentes, d’un réveil de leur pays sous naphtaline et du renversement du vieux général, même s’ils vivent ces moments, dont ils ne saisissent pas toujours la portée historique, avec l’insouciance de leur jeunesse. Plongés au cœur de la tourmente et des échauffourées des manifestations étudiantes, leur tranche de vie alimente cette chronique quotidienne de la révolte antiautoritaire.

On retrouve dans « Sous les pavés » tout ce qui fait le talent narratif (et graphique : quel bonheur de se replonger à leurs cotés dans le Paris de la fin des années 1960, tant les décors et costumes sont criants de véracité !) du duo Éric Warnauts & Guy Raives. Omniprésents et adossés à une solide documentation et de nombreux témoignages, les événements du fameux mois de Mai 68 sont restitués avec précision, sans être toutefois le cœur de ce récit sentimental et rythmé,  profondément humain. Si les deux auteurs mettent en exergue, dès le début de leur récit, les visions discordantes des acteurs du mouvement, les caractères de leurs différents protagonistes principaux sont suffisamment bien campés pour que le lecteur comprenne que de leur histoire commune et de cette révolution manquée (trahie, diront certains) surgira inévitablement une nouvelle donne culturelle et sociale. Vous l’aurez compris, avec « Sous les pavés », la collection Signé des éditions Le Lombard s’enrichit d’un nouvel écrin.

Laurent TURPIN

« Sous les pavés » par Éric Warnauts & Guy Raives

Le Lombard (16,45 €) – ISBN : 9782803671694

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