« Je vais rester » par Hubert Chevillard et Lewis Trondheim

Oui, finalement, Fabienne va rester ! Elle venait d’arriver à Palavas-les-Flots pour des vacances, mais Roland, son mari, est soudainement décapité par une tôle imbécile portée par le vent ! Le couple n’était même pas encore entré dans sa location ! Le drame absolu, d’autant que Roland avait soigneusement organisé sa semaine…

À l’évidence, la mort brutale de son mari aurait dû anéantir tout désir de vacances, de villégiature, toute envie de farniente au bord de l’eau, mais contre toute attente, figée, sidérée, Fabienne décide de faire ce qui était prévu, tout ce qui était prévu, même les animations que Roland avaient soigneusement réservées. Roland n’était pas du genre à imaginer l’imprévu ! Alors, on est tout de suite intrigué et fasciné par la décision de cette femme au visage un peu vide. Du coup, on ne peut plus la quitter car on veut savoir : jusqu’où peut-elle aller dans le déni ? À quel moment va-t-elle céder au désespoir ? Qu’est-ce qui va la pousser à admettre le tragique de la situation ? Et saura-t-on pourquoi elle a réagi comme cela ?

Parallèlement, Fabienne croise à de multiples occasions un personnage pittoresque et surprenant, un collectionneur de faits divers meurtriers et stupides qui est, lui aussi, très attachant. À lui seul, ce duo scotche le lecteur : on ne peut pas lâcher des personnages aussi originaux dans un décor qui fleure bon la détente, le plaisir, le lâcher prise… Trondheim est – comme à son habitude ! – brillant, ce qui n’est pas si évident, car il s’agit ici de susciter de l’empathie pour une femme qui devait initialement nous épouvanter.

Mais Trondheim s’est acoquiné avec un dessinateur qui rend très humains ses personnages. Rien qu’à les voir, on a très vite de l’affection pour eux. On les sent humbles, gentils, ordinaires, en recherche de petites joies, de bonheurs simples et on les prend sous notre aile, sans hésiter. De fait, Hubert Chevillard réalise un album parfait, un album au dessin esquissé rehaussé de couleurs magnifiques, qui nous fait regretter de le voir se terminer. Nous aussi, on se dit : je vais rester !

Je vais rester pour profiter de toutes ces cases muettes, de ces instants méditerranéens et enchanteurs, mais anecdotiques aussi, qui expliquent en partie l’extase de l’héroïne ; je vais rester pour profiter des dialogues ciselés et accrocheurs ; je vais rester pour savourer comme Fabienne, parce qu’il faut vivre intensément quoi qu’il arrive, surtout quand on redécouvre la liberté…

Étonnamment, sort aux mêmes éditions Rue de Sèvres l’adaptation du célèbre « Bonjour Tristesse » de Françoise Sagan, par Fréderic Rébéna (scénario et dessin). Même thématique, pourrait-on dire, que le précédent avec ces vacances au bord de la mer Méditerranée, mais côté bourgeoises énamourées s’ennuyant en villa de luxe au bord d’une piscine. Au cœur de l’imbroglio sentimental (comédie de boulevard, finalement, chez les bobos !), une jeune fille de 17 ans qui voudrait contrôler rencontres, engagements, amours et élans sexuels de son père. Bref, jeux de pouvoirs et de séduction autour d’un Don Juan quadra versatile vue par une ado manipulatrice.

Et là, on a finalement beaucoup moins envie de rester !  D’autant que Rébéna s’en est tenu à une réalisation inégale, flirtant quelquefois avec le story-board, aux postures dupliquées, aux horizons rectilignes, aux ombres à gros traits noirs, aux contours esquissés. En préface, Frédéric Beigbeder, lui, a adoré cette version « sexy, frivole, cynique, balnéaire et fruitée », ces drames et sentiments au son des cigales qui donne envie cependant de relire le roman paru en 1954, c’est déjà pas si mal !

Didier QUELLA-GUYOT  ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).

http://bdzoom.com/author/didierqg/

« Je vais rester » par Hubert Chevillard et Lewis Trondheim

Éditions Rue de Sèvres (18 €) – ISBN : 978-2-36981-228-9

« Bonjour Tristesse » par Frédéric Rébéna [d'après Françoise Sagan]

Éditions Rue de Sèvres (18 €) – ISBN : 978-2-36981-382-8

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Une réponse à « Je vais rester » par Hubert Chevillard et Lewis Trondheim

  1. Olivier Northern Son dit :

    On a souvent l’impression que tout a été dit, écrit, dessiné… mais parfois, hop! un album comme ça arrive, un « OVNI ». On emploie trop souvent cette expression, mais ici, c »‘est la bonne. Et tout en finesse, le sujet aurait pu facilement basculer dans le gore ou le voyeurisme, mais non. Superbe, à découvrir!

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