Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Le Spirou de… T13 : Fondation Z » par Fabrice Lebeault et Denis-Pierre Filippi
Lancé depuis le 21 avril 1938, Spirou (le journal et son héros) commémore cette année ses 80 ans avec plus ou moins d’enthousiasme et de réussite : si le film d’Alexandre Coffre (« Les Aventures de Spirou et Fantasio ») n’a réuni que 150 000 spectateurs, on pourra saluer la tentative dessinée proposée conjointement depuis janvier dernier par Olivier Bocquet et Brice Cossu (« Le Triomphe de Zorglub »). Outre de multiples parutions patrimoniales (dont l’inédit « Les Moments clés du journal de Spirou : 1937 – 1985 » par François Ayroles), c’est donc inversement au tour de « Fondation Z » de dépoussiérer le mythe, non sans effets de citations ou d’hommages référentiels. Dans un univers space-opera futuriste, l’agent administratif Spirou, petit-fils du Comte de Champignac s’interroge sur les agissements de l’ultramoderne société baptisée Fondation Z et de son énigmatique président…
Treizième tome à s’inscrire officiellement dans la série parallèles des « Le Spirou de… » après « Il s’appelait Ptirou » (voir notre article), « Fondation Z » s’inscrit dans le cÅ“ur de cible des innombrables albums annoncés par l’éditeur en 2018 – 2019. Citons les principaux pour y voir un peu plus clair : situé durant la Seconde Guerre mondiale, « Spirou ou l’espoir malgré tout » (octobre 2018), monumentale suite (en 327 pages !) du « Journal d’un ingénu » par Émile Bravo, a vu sa prépublication démarrer dans Spirou n° 4175 ; suivront normalement en 2019 le « Pacific Palace » de Christian Durieux, « Soumaya » de Zidrou et Marc Hardy, puis « La Gorgone bleue » de Yann et Dany. Du côté de la série-mère, le duo Fabien Velhman et Yoann ne désarme pas, avec un 56e opus annoncé en fin d’année 2018, avant le retour ultérieur de « Supergroom » en format comics. Enfin, rajoutons à cette pluie de parutions des hors-séries ou dérivés tels le deuxième « Zorglub » de Munuera, un album concernant le comte de Champignac (actuellement réalisé par David Étien) ou cette version allemande de Spirou (« Spirou à Berlin ») qui sera proposée dès juillet prochain par Dupuis et l’éditeur Carlsen. Ouf !
Avec ses surprises scénaristiques (Spirou et Seccotine sont frère et sÅ“ur ; Champignac est leur grand-père), son design retro futuriste assumé (on retrouve les décors vertigineux concoctés par Fabrice Lebeault sur sa série « Horologiom » entre 1994 et 2014) et ses innombrables références littéraires ou cinématographiques (« Fondation » d’Isaac Asimov (1951), « Star Trek », « Brazil », « Total Recall », « Terminator », L’Incal », « Star Wars » etc.), « Fondation Z » sera très certainement déstabilisant pour les puristes de la première heure. L’album n’en constitue pas moins une très intéressante proposition inervant le genre SF : un courant revendiqué – faut-il le rappeler – par l’ensemble de la saga depuis ses débuts, comme en témoignent « Spirou et l’aventure » (Jijé, 1948), l’épisode « Radar le robot » (Franquin, 1947), également cité par cet opus, ou « Le Réveil du Z » (Tome et Janry, 1986). Abréger Spirou et Fantasio par les deux lettres « S.F. » n’a donc rien d’incongru, à défaut d’y glisser le Z de Zorglub, antagoniste grand pourvoyeur de fusées, engins mécaniques, robots, rayons gammas et autre base lunaire… L’ensemble, évoqué avec un graphisme semi-réaliste, pourra ravir ou détourner une partie du lectorat : subtile ou décomplexée, l’aventure du groom se poursuivra quoi qu’il en soit dans un parfait mélange des genres, au moins pour les plus curieux !
Pour comprendre un peu plus la genèse de cet album, revenons sur les points suivants en compagnie du scénariste Denis-Pierre Filippi (D.P. F.) :
Comment est né ce projet futuriste, alors que la collection fourmille d’albums en cours et que l’on célèbre par ailleurs les 80 ans de Spirou ?
D.P. F. : « Fabrice m’a parlé de son envie lorsque sont sortis les premiers tomes des « Spirou de » et bien entendu c’était un rêve totalement partagé. Nos échanges nous ont naturellement amené vers une histoire rétro-futur où son style très particulier et élégant pourrait s’exprimer au mieux. On parle donc bien d’une discussion qui remonte plus de 10 ans en arrière. Notre projet a mis pas mal de temps à se mettre en place puis à se réaliser à cause de conjectures assez variées qui ont rendu cet album déjà totalement hors norme encore plus singulier. Nous sommes finalement parvenus à le mener à terme, après bien des obstacles et des difficultés, mais non sans plaisir et une furieuse envie toujours chevillée au corps. Il est terminé depuis presque un an en fait, mais la conjoncture des sorties qui se bousculent un peu depuis quelques temps chez Dupuis a fait que nous sommes venus nous intercaler au milieu de ce fourmillement. »
On devine de nombreuses références, tels les films « Brazil », « Le Cinquième Élément », « Total Recall » sans compter « Radar le robot » repris à Jijé et Franquin ; quelles étaient de votre point de vue les plus notables/indispensables à votre album ?
D.P. F. : « Cette histoire a été écrite puis dessinée avec deux moteurs essentiels: le plaisir et la sincérité. C’est un retour sur notre enfance de lecteur bien sûr, mais aussi sur nos envies d’auteurs, nos passions, nos sensibilités. Pas de volonté farouche de références marquées, mais quelques soupçons de ce qui nous a porté ou nous porte dans les récits. Nous avons en fait réalisé un livre que nous aurions aimé lire. Ensuite bien sûr nous nous sommes amusés à mettre en scène ces héros légendaires dans des situations décalées et parfois connotées, mais avec pour but de surprendre le lecteur tout en donnant une cohérence de fond à notre univers résolument en dehors des sentiers battus. Nous avons fait un choix narratif fort, totalement assumé, de proposer une aventure où le mystère et la surprise ne lâchent pas le lecteur. Notre vision proposée est différente, mais toujours en cohérence avec ce qui nous a plu dans les aventures de ces héros qui ont vécu maints situations rocambolesques. Pour cela les personnages ont revêtus des rôles quelque peu différents de ceux qu’on leur connaît habituellement, mais toujours sans gratuité et pour nourrir le fond de notre intrigue. »
Seccotine, sœur de Spirou : pourquoi ce choix ?
D.P. F. : « Le fait de lier Spirou et Seccotine, ainsi que le Comte de Champignac fait partie de cette volonté de ciment structurel, de parti pris narratif et fondateur de cette approche. Cela nous a aussi permis d’offrir des échanges et une perspective familiale pour Spirou qui nous semblaient enrichissants et rafraîchissants. En faire un frère et soeur qui se chamaillent, créer une structure familiale empêtrée dans les codes restrictifs de la société dans laquelle nous les avons immergés était aussi assez jubilatoire. De même que les échanges qui sont nés de la confrontation Seccotine / Fantasio. Nous avons tentés de faire vivre ces personnages entre eux, se confronter parfois, et essayé de ne pas juste les entraîner dans une cavalcade effrénée. »
Comment définir le style réaliste de cet album, ainsi que son design appuyé ?
D.P. F. : « Là , il s’agit plus de l’Å“uvre de mon comparse, Fabrice qui a tenté le mariage délicat entre son trait particulier et ces héros emblématiques. Il n’était pas question de refaire ce que d’autres avaient fait, nous sommes bien dans le « Spirou de Fabrice Lebeault ». Après, le but était que chaque détail soit porteur justement des particularismes de notre univers. Chaque façade, chaque véhicule, chaque vêtement étaient censés apporter du sens et la patine propre à notre histoire. Fabrice a beaucoup donné pour aller en ce sens et nous avons essayé une nouvelle fois que rien ne soit gratuit ou de l’ordre de la recette. »
La société administrative et dictatoriale de « Fondation Z » cache-t-elle des angoisses personnelles ?
D.P. F. : « Nous vivons dans une société relativement anxiogène, mais si l’on regarde en arrière, chaque époque a porté son lot d’angoisses et de drames, pour certains totalement atroces. Maintenant le propos de notre album n’est pas de tirer un signal d’alarme, il s’agissait surtout pour nous de mettre les personnages en situation dans un univers dans lequel ils doivent trouver leur place, parfois en s’opposant au système. Cette administration est là comme un révélateur de ce que sont capables de faire nos héros pour échapper à ses dérives, un catalyseur, mais il ne s’agit pas non plus d’une thérapie. »
Le Z mais Zorglub (quasi) absent : un choix précis ?
D.P. F. : « C’est un choix à la fois conscient et inconscient. Nous n’avons pas pris le parti de montrer l’ennemi déclaré, en la personne de Zorglub, mais plutôt de jouer sur le principe d’une « fondation », tentaculaire, impersonnelle, presque omnipotente, contre laquelle le combat semble perdu d’avance. C’est vrai que c’est presque un regret de ne pas avoir plus vu Zorglub, qui est l’un des personnages que je préfère sous le trait de Fabrice. Maintenant lorsqu’on lit l’histoire jusqu’au bout, on en comprend les raisons et finalement le « Z » est le vrai ennemi ici, avec tout ce qu’il représente de dérive et d’emprise dictatoriale… »
D’autres éventuels projets liés à Spirou… ou une suite à cet album ?
D.P. F. : « Pour l’instant nous attendons avec impatience que notre album soit enfin lu par les lecteurs, donc nous n’avons pas d’autre album en préparation avec Fabrice, ce qui ne veut pas dire que l’envie ne soit pas là . Pour ma part, une nouvelle fois il s’agit d’une variation sur un thème, une proposition de dépaysement avec une aventure radicalement différente de ce qui a été offert jusqu’alors. D’autres envies, dans d’autres perspectives plus traditionnelles, sont en germe… Nous verrons si l’avenir les voit grandir et venir au jour… »
Quelles réflexions autour du visuel de couverture ?
D.P. F. : « Nous avons pas mal cherché cette fameuse couverture, en explorant de nombreuses pistes. Nous avons finalement opté pour cette « presque » référence à « L’Incal » ou à d’autres récit SF parce qu’elle nous permettait de bien montrer qu’il s’agissait d’un Spirou, mais totalement décalé par rapport aux univers qu’on le sait avoir fréquenté. Cette couverture a déjà fait coulé beaucoup d’encre, souvent de manière prématurée et peu réfléchi, car elle interpelle et sort de l’ordinaire. Certains sont ouverts d’esprit, d’autres préféreront s’enfermer dans leur cocon parfois étroit, mais nous avons voulu offrir aux lecteurs une vision claire et franche du voyage qui leur est offert à nos côtés. Une nouvelle fois, un seul mot d’ordre: la sincérité. Spirou a l’air tout à la fois d’aller vers l’inconnu mais de ne pas en être plus troublé que ça, voyons si vous avez envie de l’y suivre… »
Pour les collectionneurs les plus fortunés, signalons enfin la parution prochaine d’une luxueuse version de « Fondation Z » aux éditions Black & White (199 €) : 160 pages comprenant l’intégralité de l’album dans sa version noir et blanc, ainsi que (entres autres choses…) des planches crayonnées, le storyboard initial de Fabrice Lebeault, une sérigraphie et une version inédite de la couverture (voir en ligne tous les détails sur le site de l’éditeur).
Philippe TOMBLAINE
« Le Spirou de… T13 : Fondation Z » par Fabrice Lebeault et Denis-Pierre Filippi
Éditions Dupuis (14,50 €) – ISBN : 979-1034730018
Bonjour – Désolé pour ce commentaire négatif, mais il est bon parfois de remettre les pieds sur terre: je tiens à signaler que cette aventure est la plus piteuse de la série (pourtant pleine d’heureuses surprises) des « Spirou de… ». En effet, comme mentionné dans l’article, ce Spirou ne respecte pas la « chartre Spirou », ce qui est très grave, et prouve que Dupuis n’est même plus capable de faire respecter les propres codes qui réglementent ses personnages. De plus, il n’ a aucun scénario; je répète : il n y a aucun scénario; il ne se passe strictement rien ! D’ailleurs, à la page 33, Spirou demande à Fantasio: « Qu’attends – tu de nous exactement? » … Et on n’a pas de réponse, puisque rien ne survient! Une fois de plus le talent sans faille d’un bon dessinateur est gâché par un médiocre scénariste. Mais comment font tous ces dessinateurs pour garder assez de moelle pour réussir à terminer ce genre de navet?