« Saltiness » T1 par Minoru Furuya

La collection What the Fuck des éditions Akata n’a jamais aussi bien porté son nom. Avec « Saltines », Minoru Furuya entre par la grande porte sur le marché français. Apprêtez-vous à découvrir ce que le Japon a de plus barré à nous proposer. Un manga cynique où un homme désœuvré se prend pour un intellectuel, dont les capacités d’adaptation et de réflexion sont forcément supérieures à celles de ses congénères. Abandonnez toute logique avant de pénétrer dans le monde de Takehiko, le plus grand branleur que le 9e art nous a offert.

Impossible d'avoir une conversation sérieuse avec Takehiko. Quand on lui demande sérieusement quelque chose, il répond par une énigme à laquelle il cherche forcément un sens à l’absurdité de son propos.

Takehiko ne se prend clairement pas pour une « merde ».

À trente et un ans, Takehiko vit encore au crochet de son grand-père et de sa soeur qui sentent le besoin de le protéger de sa naïveté. Pourtant, cet homme se considère comme un grand penseur. Il a un mental d’acier et est capable de rester impassible, même s’il est témoin d’événements tellement étranges que cela bouleverserait la vie du commun des mortels.. Son existence est une succession de défis saugrenus qu’il s’impose pour renforcer sa puissance psychique. Tel un moine qui se flagellerait, il cherche en permanence à accepter l’inexplicable. Comprenant finalement qu’il est un boulet pour sa famille, il décide de se prendre en main et part en voyage sans réellement connaître sa destination. Sa seule motivation : tuer le monstre, chose que lui seul peut comprendre. Après un périple en stop, divertissant son conducteur avec une conversation saugrenue, il arrive en ville où il se donne immédiatement un premier défi : malaxer l’entrejambe du premier mec qu’il voit. Il se trouve que cette personne sera un policier à bicyclette. Finalement relâché après avoir raconté des histoires invraisemblables pendant des heures, il comprend qu’il ne va pas pouvoir résister trop longtemps sans se sustenter. C’est là qu’il va faire la connaissance d’un sans-abri qui souhaite devenir son ami et d’un étudiant qui vole des culottes pour survivre. Devenu une sorte de mentor pour ces deux désœuvrés, il va abuser de sa position et les humilier sous couvert d’enrichissement personnel.

Ne cherchez pas la logique dans ce manga. Même si l’on est sain d’esprit, la folie de Takehiko nous entraîne dans un monde étrange qui constitue son socle de vie. Sans ses défis, sa recherche de rédemption, son pouvoir qu’il pense avoir sur ses congénères et le charisme qu’il s’imagine détenir, il n’est rien. Ce loser a pourtant clairement pris l’ascendance sur ses deux comparses. Tel le gourou d’une secte, il les manipule et le fait entrer dans sa folie. Oh, il n’est pas méchant, mais ses défis absurdes ont forcément un impact sur le monde qui l’entoure, tel est le problème.

Ce titre a la chance d’être publié chez Akata, un éditeur ne machant pas ses mots et surtout prêt à sortir des sentiers battus. Du coup, la traduction, très bonne, est crue, à l’image de ce personnage atypique. Cela nous donne quelque scène de dialogues surréalistes qui sont ici extrêmement bien rendus et rarement vulgaires, même si le propos peut être brutal. Ainsi, alors que l’un de ses deux comparses a échoué dans la mission qui lui avait été assignée, Takehiko interpelle son autre camarade : « … T’as déjà eu l’occasion de faire rentrer des grosses pierres dans un anus  ? » « Non … j’ai jamais fait ça … » « Eh bien, tu vas sans doute pouvoir ajouter cette fabuleuse expérience à ton C.V…. Ton champ de connaissance en tant qu’être humain va s’élargir »  « S’élargir ? » « Oui … Comme l’anus de cet abruti  ! ». Des dialogues de haut vol qui montre surtout le déni de réalité dans lequel vit Takehiko. Pour lui, toute expérience est bonne à tenter et surtout source de connaissance. Du moins, il en est convaincu et, malheureusement, il entraîne les autres dans ses croyances.

Fort heureusement, les éditions Akata ont pu créer des couvertures différentes de celles utilisées au Japon.

Minoru Furuya fait partie de cette vague de dessinateurs réalistes plaçant l’absurde au centre de leurs œuvres. Il a commencé sa carrière en 1993 avec sa série « Ike! Ina-chuu Takyuubu », traduite aux USA sous le titre « The Ping Pong Club » : les aventures déjantées d’un club de tennis de table où les six membres sont tous plus absurdes les uns que les autres et, pour certains, portés sur le sexe et les blagues scatologiques. D’un autre côté, comme c’est souvent le cas dans ce genre de manga irrationnel, les filles sont jolies et se sentent dépourvues devant la bêtise des hommes. Le manga a eu un tel succès qu’une série d’animation de 52 épisodes courts en fut tirée en 1995. L’auteur a même remporté le Kodansha Manga Award en 1996 avec ce manga.

Le premier et dernier volume de la série « Himizu » ainsi que l’affiche japonaise du film.

L’humour étant perçu différemment de pays en pays, il a donc fallu attendre la sortie de sa dernière création, bien plus réaliste, pour voir cet auteur phare édité en France. Même le film « Himizu » de Sion Sono, adaptant le manga perturbant du même nom, n’est pas arrivé dans l’hexagone. Les seules éditions disponibles sont la japonaise ou l’anglaise.

Bien sûr, au Japon, cet auteur qui est toujours publié chez Kodansha de manière ininterrompue depuis les années 1990, fait figure de référence pour de nombreux jeunes auteurs tel Inio Asano (« Bonne nuit Pun-Pun ») ou Shuzo Oshimi (« Dans l’intimité de Mari »). Lui-même revendiquant l’influence de l’auteur de « Dragon Head »  : Minetaro Mochizuki. Bref, que du beau monde, mais toujours des auteurs un peu décalés

La série « Saltiness » est prévue en quatre volumes disponibles tous les trois moins dans son édition française, la série étant terminée au japon. C’est clairement un ovni au milieu de la production actuelle de mangas. Son côté absurde, assumé, rend la lecture de ce titre hilarante. Il est impossible de penser que de telles personnes existent… Quoique… !

Gwenaël JACQUET

« Saltiness » T1 par Minoru Furuya
Édition Akata (8,30 €) – ISBN  : 2369743026

© Minoru Furuya / Kodansha Ltd.

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