Quand le manga réinvente les grands classiques de la peinture…

L’Art, à travers les siècles, a su créer de nombreuses œuvres immédiatement reconnaissables pour chaque période importante de son histoire. Avec ce livre, ce sont les artistes japonais qui leur rendent hommage, en s’inspirant de ces créations qui ont traversé le temps, en les modernisant à la sauce manga. Si certaines personnes pousseront des cris d’orfraie face à ces pâles copies, qu’ils trouveront forcément de mauvais goûts, de nombreux amateurs d’art japonisant se délecteront de ces réinterprétations parfois osées. Petit tour d’horizon pour découvrir ces chefs-d’œuvre sous un nouveau jour.

Ce livre d’illustration commence par une introduction simplifiée des nombreux courants artistiques, depuis le paléolithique jusqu’à l’art moderne. Puis il est rappelé que tous les grands peintres ont un jour copié des tableaux célébres pour se perfectionner. Certains ont même été très loin dans leur inspiration puisque même Van Gogh s’est inspiré des Ukio-e japonaises. La boucle est bouclée.

Une fois cette introduction fort instructive passée, la majeure partie du livre est consacrée à l’interprétation moderne par des artistes japonais d’œuvres d’art classiques. Ce sont donc 43 illustrations pleine page qui font face à la reproduction en petit format de l’œuvre inspiratrice, accompagnée de son commentaire la replaçant dans son contexte historique.

Le lecteur peut donc, d’une part, observer en grand la création contemporaine japonaise mais également parfaire sa culture de l’art, grâce aux commentaires didactiques. Le livre est séparé en deux parties, arbitrairement nommées A et B : cette séparation servant uniquement à distinguer les œuvres à l’horizontale de celles à la verticale.

Le choix des réinterprétations est très éclectique. Quand Hihara You reprend « Le Bal du moulin de la Galette » de Renoir, il le fait en respectant à la fois l’ambiance et les couleurs, tout en apportant une touche moderne aux personnages qui se dessinent dans le style classique du manga contemporain. D’autre, comme Renta, exagère de manière outrancière les codes décriés du manga en transformant « La Laitière » de Vermer en une plantureuse jeune fille à la poitrine opulente. Est-ce de bon goût ? Sans juger du parti pris des auteurs, le fan-service est assuré et l’ambiance respectée. On est à fond dans l’imagerie typique du manga, qui peut être sujet à polémique. Si l’original est bien sage, cette représentation moderne, fort bien réalisée au demeurant, peut paraître grotesque, mais n’est-ce pas voulu, n’est-ce pas une manière de comparer les mœurs passées avec ceux d’aujourd’hui ? Chacun aura son interprétation et c’est aussi à ça que peut servir ce livre : se faire sa propre opinion.

D’autres illustrations prennent également de grandes libertés avec l’œuvre originale à l’instar de « La Liberté guidant le peuple » de Delacroix, redessinée de manière allégorique et lumineuse par Akabane,

ou encore ces « Demoiselles d’Avignon », œuvre cubiste de Picasso où les jeunes femmes vues par Horumarin se transforment en robot aux têtes remplacées par des écrans cubiques.

D’autres osent le japonisme à fond en transformant radicalement la scène paisible du « Déjeuner sur l’herbe » de Manet en une scène de crime où les références à la culture, la littérature et l’expression artistique japonaise sont tellement nombreuses que ce dessin mériterait d’être étudié et décortiqué pendant des heures à lui tout seul. C’est peut-être pour cette raison qu’elle a été utilisée au début du livre, pour montrer comment un artiste peut s’approprier une œuvre en la fondant dans son propre univers.

Après, il y a également des choix étranges. Comme ce « Radeau de la méduse » de Géricault qui devient une scène de science-fiction sous le pinceau de Gia. Avec ses personnages trop raides, le dessinateur semble être passé totalement à côté du sujet qui, du coup, ne rend plus du tout compte de l’agonie et l’angoisse de la toile originale.

Les réinterprétations d’estampes japonaises ne sont bien évidemment pas oubliées. Ainsi Shiro reprend à la mode manga une des dix études de femmes d’Utamaro.

Et il y a même de l’humour avec entre autres « Le Cri » revu par Minakami Atsuaki, dans un délire graphique extrêmement coloré et Kawai, en complète opposition avec l’œuvre oppressante et minimaliste de Munch. C’est mignon, très bien trouvé et très bien exécuté.

Dans cet ouvrage il y a des œuvres oubliables, il y en a de bonnes, mais également de très bonnes. Tout n’est pas du même niveau et surtout tout ne sera pas du goût de tout le monde. Tout comme certaines œuvres en leur temps, ces réinterprétations sont sujettes à discussion. Mais c’est aussi à ça que sert l’Art : échanger, analyser, contempler et débattre.

Un bel album à l’italienne destiné à la fois aux amateurs d’art curieux, mais également un cadeau original pour le lecteur de mangas, qui ne pourra que parfaire sa culture graphique tout en s’adonnant à sa passion.

Gwenaël JACQUET

« Quand le manga réinvente les grands classiques de la peinture »
Éditions Mana Books (17 €) – ISBN : 979-1035500238

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