« Osamu Tezuka, une vie en manga » édition intégrale

Plus qu’un dessinateur, Osamu Tezuka était un conteur, un cinéaste, un entrepreneur… Ce n’est pas sans raison qu’il est appelé le dieu du manga. Artiste prolifique, il est né il y a 90 ans, le 3 novembre 1928. Malheureusement décédé soudainement à soixante ans, il laisse une œuvre considérable avec plus de cent soixante-dix mille planches de bande dessinée réalisées tout au long de sa carrière. Les deux cents planches ordinales exposées au musée des Beaux arts d’Angoulême ne sont donc qu’une toute petite partie de cette production, néanmoins, elle résume bien le travail de cet auteur adulé dans son pays d’origine et encore aujourd’hui trop peu connu à l’étranger.

L'exposition consacrée à Naoki Urasaswa s'est déplacée dans la capitale française à l'issue du Festival. Elle sera donc encore visible pendant deux mois, à partir du 13 février jusqu'au 31 mars 2018 à l'Hôtel de Ville de Paris.

Avec trois expositions consacrées à des auteurs japonais, l’édition 2018 du festival d’Angoulême a été un très bon cru pour les amateurs de mangas. À l’espace Franquin, il y avait une énorme rétrospective de la carrière de Naoki Urasawa avec près de trois cents planches originales reprenant des croquis préparatoires, des travaux de jeunesse et, pour chaque œuvre, au moins un chapitre complet – la plupart du temps traduit en français. Les visiteurs ont même pu apprécier les deux premiers chapitres de son dernier travail « Mujirushi », qui paraîtra dans le courant de l’année aux éditions Futuropolis en collaboration avec le Musée du Louvre.

L’exposition « Fairy Tail » était visible dans le quartier jeunesse du musée de la Bande Dessiné d’Angoulême, mais seulement durant la durée du festival du 25 au 28 janvier 2018. Dommage pour les personnes n’ayant pas voulu affronter la foule (nombreuse) de cette édition 2018 où le Japon était fort bien représenté.

Au Musée de la bande dessinée, c’est l’univers de « Fairy Tail » qui attendait les visiteurs, lesquels ont été nombreux à se presser pour admirer les travaux de Hiro Mashima, superbement mis en scène par l’équipe de Tsumé. Ce fut d’ailleurs l’occasion, pour cet éditeur français de figurines de luxe, de présenter sa dernière création : une scène de 80 cm de haut représentant Natsu et son père adoptif, le Dragon de feu Ignir. Bien évidemment, Naoki Urasawa et Hiro Mashima étaient présents à Angoulême et ont fait le show comme prévu face aux fans, venus en masse envahir la petite ville charentaise.

En revanche, les visiteurs de la citée Angoumoisine auront jusqu’au 11 mars 2018 pour apprécier les deux cents planches originales d’Osamu Tezuka venues directement du Japon et exposées au musée d’Angoulême.

D’un autre côté, au musée d’Angoulême, en plein centre-ville, se tenait une superbe exposition des œuvres d’Osamu Tezuka qui, même s’il n’était évidemment pas présent, était néanmoins très bien représenté par son studio de production ainsi que par sa fille qui avait fait le déplacement (comme son père en 1982) dans cette bourgade de Nouvelle Aquitaine qui se transforme, chaque fin janvier, en lieu de pèlerinage pour les amateurs d’art séquentiel.

Couverture du catalogue de 160 pages reprenant les visuels de l'exposition « Manga no Kamisama » disponible à la boutique du musée de la Bande Dessinée.

Les éditions 9eArt+ ont bien évidemment profité de cette rétrospective pour publier un superbe catalogue accompagnant l’exposition. Celui-ci reprend les deux cents dessins originaux, présentés selon les différentes périodes du maître. À noter que certaines planches étaient présentées pour la première fois en dehors du Japon et que la durée d’exposition, de six semaines, est exceptionnelle, Tezuka production ne prêtant généralement qu’un tout petit mois ces précieux documents. Judicieusement nommée « Manga No Kamisama », cet étalage est dû au travail de Stephane Beaujean et Xavier Guilbert, commissaires de l’exposition.

Xavier Guilbert, co-commissaire de l'exposition « Manga No Kamisama ».

Ce dernier, érudit sur Tezuka, explique très bien le choix de ce nom pour l’exposition : « Ce titre de Manga no Kamisama, en français, se traduit littéralement Dieu du manga. Or cette interprétation peut être trompeuse. La culture judéo-chrétienne et monothéiste de l’Occident sous-entend l’omnipotence de Dieu. Mais la situation est différente au Japon. Entre bouddhisme et shintoïsme, les dieux se présentent plutôt comme des figures d’influence, dont on cherche à s’attirer les bonnes grâces. Tezuka ne serait ainsi pas tant le Dieu du manga dont découlerait tout un médium (et, par ailleurs, une industrie), mais plutôt une sorte de saint-patron qui aurait accompagné l’éclosion d’un marché et aurait, surtout, donné ses lettres de noblesse au genre. »

L’introduction de « Shintakarajima » redessinée en 1984 par Osamu Tezuka lui-même. Chaque panneau présentait un texte remettant l’oeuvre dans son contexte et offrant moult explications fort intéressantes pour le néophyte comme pour l’amateur de manga.

Dés le départ, un panneau explique donc qu’Osamu Tezuka est « considéré comme le fondateur du manga moderne ». Il n’a donc pas inventé le manga en tant que tel, mais l’a popularisé et en a fait une industrie. Ainsi, chaque période présentée offre un texte explicatif extrêmement bien rédigé et documenté, reprenant les grands moments de la vie du maître, sans omettre de préciser les détails nécessaires à la compréhension des planches ainsi offertes au public. Par exemple, dès le début de la visite, on peut admirer la fameuse introduction de « Shintakarajima » (« La Nouvelle Île au trésor »), la première œuvre de Tezuka diffusée à grande échelle, dont les originaux sont malheureusement détruits depuis longtemps. Ce sont donc les planches originales redessinées en 1984 et que tout le monde connaît que l’on a pu observer. Ces planches sont bien accompagnées d’un excellent texte expliquant clairement les raisons de ce travail de mise à jour de ce manga mythique.

Il est très intéressant de voir le travail de correction et d’arrangement des planches de Tezuka, surtout sur ses plus vieux travaux comme ici avec la naissance d’Astro.

Le lien entre l’exposition de Tezuka et celle de Naoki Urasawa s’est fait par le biais de deux planches montrant un extrait de l’épisode « Le robot le plus fort du monde » qui a inspiré Urasawa pour sa série « Pluto ». Un bel hommage avec ces documents rare qui relie les deux hommes au sein d’un même festival.

Le public ne le savait peut-être pas, mais il existe six versions différentes «du manga « Le Roi Léo ». À l’instar d’Hergé, Tezuka a peaufiné son œuvre au fil de sa carrière afin d’offrir des séries à même de plaire à ses contemporains. Au-dessus des quelques planches originales présentées, une chorologie illustrée montrait le cheminement de cette œuvre à travers les époques.

Les mangas plus adultes de Tezuka ne sont pas oubliés avec notamment « Ayako » montrant une scène d’étranglement d’une rare violence.

Divers travaux d’illustrations couleur sont également accrochés dans cette rétrospective. Le public découvre ainsi les multiples facettes de cette auteure qui a su se perfectionner, évoluer et surtout rechercher de nouveau mode d’expression visuel tout au long de sa carrière.

Le travail de Tezuka dans l’animation est également évoqué avec un panneau montrant des dessins originaux de ses séries emblématiques. Ici, « Le Roi Léo » et « Astro Boy ».

Le travail sur les planches en bichromie n’ait pas oublié avec ces quelques planches clairement jaunies par le temps.

Au centre de l’exposition, trône un plan géant d’Astro que l’on peut éclairer avec une lumière spéciale afin de faire apparaître successivement les mécanismes intérieurs du robot.

Une version réduite du plan était même proposée à la vente pour 35 € avec son stylo lumineux. En le déplaçant, le spectateur dévoilait les entrailles cachées d’Astro.

Ce qui nous amène à parler de la réédition d’« Osamu Tezuka, une vie en manga » où, page 829, est évoqué la refonte de ce manga emblématique. Remaniée afin de correspondre à une vision plus personnelle de l’oeuvre et surtout l’adapter aux lecteurs contemporains, cette histoire avec ses cases superbement dessinées n’a plus vraiment grand-chose à voir avec celles qui l’a fait connaître au début de sa carrière. Ce manga sur le dieu du manga est une mine d’or pour comprendre la vie de ce génie et appréhender le fait qu’il était un vrai bourreau de travail.

Plus de dix ans après sa première publication, la biographie d’Osamu Tezuka ressort en intégrale chez Pika. L’édition de Casterman de 2005, aujourd’hui difficilement trouvable, était répartie en quatre volumes ici rassemblés en un unique pavé de plus de 900 pages. Malgré une couverture peu engageante, due à la charte graphique à dominante orange de la sous-collection Récit historique de Pika, cette intégrale permet enfin à une nouvelle génération de lecteur de découvrir la vie et l’œuvre de cet auteur incontournable. De quoi parfaire ses connaissances du manga et muscler ses avants bras en même temps, vu le poids du recueil !

Le scénario est l’œuvre (légèrement romancée) de l’actuel Tezuka Production. Le dessin a, de son côté, été principalement confié à Toshio Ban, l’un des proches collaborateurs et assistants d’Osamu Tezuka. Malheureusement, il n’a ni la magie ni la souplesse du trait de son maître. Certains de ses dessins sont assez rigides et sa mise en page est très classique. Néanmoins, il a su choisir les bons cadrages et mettre en exergue les moments clefs de la vie de l’auteur. Du coup, les éventuels petits défauts graphiques passent au second plan. Surtout que de nombreux documents de travail de Tezuka comme des carnets de notes, des croquis ou des photos s’intercalent au moment propice pour expliquer plus en détail sa vie.

Didactique et extrêmement claire, la technique de Tezuka est décrite avec justesse dans cet ouvrage. Son travail année après année est décortiqué depuis sa petite enfance jusqu’à son décès prématuré. Aucun passage n’est oublié, que ce soit ses moments de consécration ou ses moments de doute à la recherche d’un projet accrocheur. Après avoir lu « Une vie dans les marges », le manga autobiographique de Yoshihiro Tatsumi qui traite de l’avènement du Gekiga et donc du manga adulte, il est indispensable de se plonger dans ce recueil pour comprendre comment Tezuka est passé par toutes les facettes du manga. Il est clair qu’il a influencé le manga moderne, qu’il soit commercial ou même d’auteur. Les mangakas contemporains de Tezuka y sont également évoqués, notamment ceux qui ont été ses assistants ou les réalisateurs qui ont marqué sa production d’animé.

En revanche, il est regrettable que la traduction, de Marie-Françoise Monthiers, n’ait pas été revue entre la précédente édition en quatre volumes chez Casterman et cette intégrale chez Pika. C’est notamment l’utilisation du féminin pour le mot manga qui est déconcertant. En effet, il est convenu que le mot manga, étant un mot d’origine étrangère, soit considéré comme masculin au même titre que le comics. La manga, est, quant à elle, un concept inventé par Frédéric Boilet afin de différencier le manga, destiné aux masses populaires, et la manga d’auteur et réalisée par de grands artistes. Or, Osamu Tezuka est clairement un auteur populaire. Quoi qu’il en soit, le reste de l’adaptation est au demeurant très bonne, le style n’est jamais trop lourd et même si ce recueil est un gros pavé, l’histoire y est captivante.

Les amateurs auront noté qu’à la fin de l’ouvrage, la liste complète des œuvres d’Osamu Tezuka est listées par ordre chronologique. De quoi passer de nombreuses heures à vérifier que l’on a bien tout lu, du moins, quand cela est disponible en français, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas.

Osamu Tezuka n’avait jamais fait l’objet d’une exposition digne de ce nom en France, voila cet oubli réparé. Celle-ci est bien évidemment accompagnée d’un catalogue offrant une mine d’informations considérable sur Tezuka, que complète à merveille le recueil «  Osamu Tezuka, une vie en manga » : un bel hommage pour les 90 ans de la naissance de ce dieu du manga. Même si vous n’avez pas pu vous rendre à Angoulême pour admirer les originaux présentés jusqu’au 11 mars 2018, je vous encourage à vous procurer ces deux livres qui devraient figurer dans toute bonne bibliothèque d’un amateur de bandes dessinées japonaises.

Gwenaël JACQUET

« Osamu Tezuka, une vie en manga » édition intégrale
Édition Pika (35 €) – ISBN : 978-2811642075

« Osamu Tezuka : Manga no Kamisama »
Éditions 9eArt+ (35 €) – ISBN 978-2-9536902-4-8

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2 réponses à « Osamu Tezuka, une vie en manga » édition intégrale

  1. milo dit :

    Bonjour
    Avez vous les dimensions des planches originales?

  2. Vieux Crouton dit :

    les catalogues des expo sont tres bon

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