« La Cour des Miracles T1 : Anacréon, roi des gueux » par Julien Maffre et Stéphane Piatzszek

En 1667, la cour des Miracles vit ses dernières heures : alors que le vieil Anacréon rêve de transmettre le royaume des gueux à son fils, Louis XIV vient en effet de confier à La Reynie (lieutenant général de police parisien) le soin d’en finir avec cette zone de non-droits. Face à une autorité renforcée, les traîtrises vont se multiplier dans une féroce guerre de succession… Premier tome d’une nouvelle série annoncée en 5 volumes, ce premier opus de 64 pages est assurément riche en rebondissements feuilletonesques.

Le Paris des gueux - Planches 1 et 2 (Soleil - 2018)

Dans cet opus inaugural qui frappe fort au propre comme au figuré, la crasse et la gouaille du vieux Paris sont fidèlement restituées. Si la thématique de la cour des miracles n’est guère nouvelle (voir – pour partie – la récente trilogie « Le Roy des ribauds » par Vincent Brugeas et Ronan Toulhoat chez Akileos de 2015 à 2017), elle renverra essentiellement le lecteur vers ces incontournables références que constituent les illustrations néoromantiques exécutées par Gustave Doré en 1831 pour accompagner le « Notre-Dame de Paris » de Victor Hugo. Au début de l’ouvrage (l’intrigue se déroule en 1482), la bohémienne Esméralda et le poète désargenté Gringoire se retrouvent précisément dans un quartier hanté par les pires truands de la capitale. Il semble que le texte de Hugo fasse allusion à l’ancienne cour des Miracles située Fief d’Alby (dans l’actuel 2e arrondissement). Paris totalisait jadis une douzaine de quartiers de même sinistre réputation et qualification, et probablement plus de 30 000 mendiants… pour 650 000 habitants.

La Cour des miracles selon Gustave Doré

Selon la loi du milieu, les divers mendiants membres de l’Argot (corporation des gueux) étaient hiérarchisés et soumis aux ordres d’un roi élu nommé « Grand Coësre » ou « Roi de Thunes » (au sens des aumônes). Composée de trois places successives communiquant par des boyaux et ruelles étroites, l’endroit était si dangereux que les soldats du guet n’osaient que rarement y pénétrer. Dans ce cloaque pullulent les fripons et meurtriers de la pire espèce, ce sans compter les malingreux (faux-malades), les piètres (faux estropiés), les orphelins (des enfants en haillon chargés d’inspirer la pitié et de grelotter même en plein été !), les capons (qui poussaient les passants ou les ivrognes à jouer déraisonnablement), les narquois (faux soldats simulant des mutilations) et les coquillards (faux pèlerins de Compostelle)…

Premières recherches de couverture

En mars 1667, La Reynie inaugure la nouvelle charge de lieutenant général de police de Paris, position de confiance à laquelle il restera trente ans durant. Dès lors, l’autorité royale est rétablie avec fermeté : des maisons sont rasées, des brèches ouvertes dans la vieille enceinte Charles V et plusieurs dizaines de milliers de truands marqués au fer rouge, envoyés aux galères ou dans les armées. Un siècle plus tard, avant et après la Révolution, ce système exclusivement répressif cèdera la place aux démarches hygiénistes des médecins puis aux grandes restructurations des quartiers parisiens. Aujourd’hui, les rues de la Grande-Truanderie et de la Petite-Truanderie » (entre le boulevard de Sébastopol et le Forum des Halles) perpétuent le souvenir des anciennes cours des Miracles.

Julien Maffre : " Pour le choix de la couverture, j'ai proposé une dizaine de versions ; l'éditeur et le scénariste ont pioché dedans... IIs ont donc opté pour la version "photo de famille" et la construction pyramidale avec le chien crevé en quasi logo. On y voit la faune de la cour des miracles, avec en trio de tête le roi des gueux, son fils et sa fille. y a eu des ajustements sur le décor en arrière-plan, que j'avais fait trop "propre" par rapport au sujet traité. "

En couverture de ce « Livre premier », Julien Maffre (dessinateur des récents « Stern ») s’inspire de l’imagerie ancienne pour présenter les principaux protagonistes mis en scène par Stéphane Piatzszek (auteur notamment de « Commandant Achab » pour Quadrants ; « L’Or » chez Futuropolis) : voici, environné de mendiants et de trognes patibulaires, le chef-coësre Anacréon (au nom inspiré d’un poète lyrique grec antique du Ve siècle av. J.-C.) et ses Cagous ou Archi-Suppôts (lieutenants). À ses côtés, son fils Petit-Jean, successeur désigné, et sa fille (surnommée La Marquise) habile détrousseuse et bretteuse. Pour qui n’aurait pas identifié le sujet ou le contexte, le décor (avec ses maisons serrées à colombages et à torchis), les personnages (avec leurs tenues et uniformes du XVIIIe) et le chien crevé seront suffisamment explicites. En guise de sceptre, Anacréon tient un bâton à la main gauche ; en général découvertes comme ici, ses jambes laissent voir des balafres et pourritures, signes de son statut de chef des faux mendiants. Les représentations ont coutume de le représenter assis sur un tonneau, la barbe embroussaillée, avec un couvre-chef défraichi et des guenilles multicolores (détail atténué en couverture). Derrière lui, en guise d’effrayante bannière, une fourche à dents ou un épieu sur lequel est empalée une charogne. Un tableau de famille peu glorieux mais derrière lequel se devine l’ombre de bien des affaires et bien des mystères… de Paris. Soit une mine pour les férus d’Histoire et surtout d’aventures favorisant l’antithèse du traditionnel héros redresseur de torts.

Philippe TOMBLAINE

« La Cour des Miracles T1 : Anacréon, roi des gueux » par Julien Maffre et Stéphane Piatzszek
Éditions Soleil (15,50 €) – ISBN : 978-2-302-06631-1

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