Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Il s’appelait Ptirou » par Laurent Verron et Yves Sente
Réunis le soir de Noël 1959 dans une belle demeure de la banlieue de Charleroi, trois enfants écoutent le fascinant récit de leur oncle Paul : trente ans plus tôt, à l’époque de la Grande Dépression, sur un paquebot en partance pour New York, l’intransigeant grand patron Monsieur de Sainteloi et sa fille Juliette, atteinte d’une grave insuffisance cardiaque, vont rencontrer un certain Ptirou, un orphelin devenu groom… Livré en 76 planches d’une exceptionnelle densité narrative et psychologique, ce nouvel opus non officiellement inscrit dans la série dérivée « Le Spirou de… » se hisse au sommet, aux côtés du mythique « Journal d’un ingénu » d’Émile Bravo (2008).
Un destin touchant, et une tranche d’histoire pour l’histoire du journal Spirou : c’est par la réunion de ces deux aspects que sera initiée par Yves Sente le chantier scénaristique de cette nouvelle aventure, opération par ailleurs parallèle à ses reprises précédentes de grands classiques franco-belges, dont « Blake et Mortimer » (2000), « Thorgal » (2007 à 2013) et « XIII » (depuis 2011). Parcourant l’ouvrage « La Véritable Histoire de Spirou » (Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault, 2013), l’auteur s’arrête (page 54) sur l’anecdote narrée par Robert Velter : alors steward à bord du paquebot L’Île-de-France, le futur cocréateur du personnage de Spirou témoigne du bouleversant accident dont fut victime un jeune mousse de sonnerie, un groom vêtu de rouge et usuellement chargé d’apporter les courriers ou les cigarettes aux passagers. Né le 21 avril 1938, le futur héros de Rob-Vel ne se déparera plus jamais du costume ni du goût de l’aventure, mais une part de sa mystérieuse naissance laissait grande ouverte les portes de l’imaginaire…
Ancien éditeur au Lombard de la série « Odilon Verjus » (7 tomes parus entre 1996 et 2006), Yves Sente connaissait très bien le travail de Laurent Verron, devenu le dessinateur de « Boule et Bill » le temps de huit opus entre 2003 et 2015. Synthétisant à sa manière les traits de Franquin, Roba, Morris et Will, le dessin de Verron s’avère idéal pour l’actuel « Ptirou » : relativement réaliste, bénéficiant d’un encrage volontairement charbonneux, l’album (décrit comme « une fiction sur fond d’actualité ») aura nécessité une solide documentation concernant le contexte social d’avant-guerre, la vie à bord des transatlantiques ou la reconstitution de Paris et de Charleroi à deux époques différentes. Prépublié dans Spirou (n° 4145 à 4153) du 20 septembre au 15 novembre 2017, l’album arbore en couverture de sa version classique un visuel montrant le saut acrobatique de Ptirou, à l’avant-plan de la proue du paquebot Île-de-France.
Différentes autres versions de l’ouvrage seront proposées : signalons ainsi une version en fourreau réservée aux libraires et à la presse (limitée à 1300 exemplaires) contenant l’album et un ouvrage souple inédit de 90 pages montrant toutes les étapes du travail des auteurs (scénario, recherches de personnages et de décors, crayonnés, encrages, colorisation). En janvier paraîtra une version crayonnée chez Canal BD (88 pages, 1 500 exemplaires et ex-libris ; 20,50 €) tandis que Dupuis fera paraître une version luxe à dos toilé en grand format (300 x 400 mm ; 699 exemplaires numérotés signés ; 149 €) présentant 80 crayonnés et planches encrées en vis-à -vis, de nombreux croquis, recherches et peintures de Laurent Verron.
Achevons cet article – comme le veut la coutume ! – par une interview d’Yves Sente et Laurent Verron.
L’album contenant une grande part d’émotion, certaines séquences ont-elles été plus complexes à réaliser de ce point de vue là ?
Yves Sente (Y. S) : « Il y a pas mal de scènes d’émotions dans ce récit. Ce sont assurément les plus difficiles à réussir (tant sur le plan des dialogues que du découpage et du dessin) car la BD rend ces scènes très difficiles à faire passer avec justesse. Au cinéma, il y a la musique, les ralentis, les zooms, les regards accompagnés d’une petit larme qui surgit,… Nous, nous devons nous débrouiller avec des images fixes et silencieuses. Mais c’est un challenge qui nous plaît. C’est ce qui différencie ce récit de la plupart de ceux que j’ai pu écrire jusqu’ici, je pense. »
Quid de la documentation requise ?
Laurent Verron (L. V.) : « Ce fut un gros boulot mais fait avec énormément de plaisir. Pour les décors, Yves m’avait envoyé pas mal de photos d’époque, Yann m’a gentiment prêté un bouquin sur les paquebots et j’ai moi même trouvé quelques trucs sur internet. Mais quelques fois on ne trouve pas ce qu’on cherche! Alors il faut inventer: La salle des gouvernails par exemple est totalement de mon invention. En m’inspirant de ci de là des détails mécaniques de certaines photos, je me suis imaginé cette partie du bateau. Nous ne faisont pas un récit historique et documentaire. Nous voulons juste donner l’impression aux lecteurs qu’ils sont dans ces décors avec les personnages. »
L’idée du clin d’œil aux « Belles Histoires de l’Oncle Paul » était-elle présente dès le début ?
Y. S : « Oui. Lorsque j’ai eu « l’idée » de départ, les idées « annexes » se sont enchaînées assez rapidement. Tant qu’à raconter « l’Histoire de ce garçon qui a inspiré le graphisme et le caractère de Spirou » à Rob-Vel, je me suis dit qu’il fallait « aller à fond » dans le jeu des références. Pas trop lourdes – j’espère – mais assez claires pour ceux qui connaissent bien Dupuis et l’histoire de son groom. Pour ceux qui ne verront pas les références, pas de souci. Le récit doit pouvoir se lire par un enfant de dix ans. »
Même question pour le choix de Noël 1959, en rapport avec la naissance de « Boule & Bill » :
Y. S : « Là , c’est Laurent qui a eu l’idée de choisir cette couverture précise de Spirou sur laquelle apparaissent pour la première fois les personnages de Boule et Bill qui sont si importants dans sa carrière. J’avais prévu que l’Oncle Paul raconte son récit en 1958… et j’ai donc changé pour 1959. »
Le choix d’un titre relativement dramatique fut-il une évidence ?
Y. S : « Le titre est toujours compliqué. Mon premier titre ne semblait pas faire bondir de joie Laurent ou l’éditeur. J’ai donc réfléchi pour faire quelque chose de plus « évident ». Le résultat est plus « émotionnel » et cela convenait effectivement mieux au récit. »
Référence immanquable, le « Titanic » de James Cameron a-t’il influencé telle ou telle scène ?
Y. S : « Là , je m’attends à recevoir cette remarque plus d’une fois… Or, je n’ai absolument pas pensé à « Titanic » en écrivant ce récit. « Titanic » est un film catastrophe ; c’est un genre particulier (et je trouve le film très réussi, d’ailleurs) mais ce n’est pas celui de notre récit. » En l’occurrence, j’ai plutôt pensé au film (moins connu mais plus proche de notre ambiance) intitulé « La Légende du pianiste sur l’océan » (ou « La Légende de 1900 ») de Giuseppe Tornatore (1998 ; un chef-d’œuvre !). Maintenant, les influences inconscientes sont toujours là , bien sûr. C’est au lecteur de décider… Si ce récit se passe sur un transatlantique en 1929, c’est parce que Rob-Vel a vécu la rencontre avec ce gamin dans ces circonstances. S’il l’avait rencontré dans un train… le récit se passerait peut-être dans un train ! »
Outre le touchant duo Juliette-Ptirou, l’autre héros du récit, l’observateur et le relais du lecteur, c’est bien sûr Robert Velter : quelle fut la part de documentaire et d’imaginaire pour récréer la vie de ce futur auteur ?
Y. S : « Le point de départ est venu de cette anecdote racontée par Rob-Vel lui-même concernant ce mousse de sonnerie qu’il avait connu et qui s’était tué accidentellement en tombant au fond d’une cale. L’anecdote est racontée en 2 ou 3 lignes dans le livre de Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault. Cette anecdote a fait « tilt »… et j’ai décidé d’inventer une vie complète à ce gamin qui n’aura jamais su qu’il a été à l’origine de la création d’une figure emblématique de la BD franco-belge. »
Sans dévoiler l’épilogue de l’album, considérons que l’homme, le héros adolescent et le mythe de ce récit de l’itinérance franchissent ici tous les éléments, toutes les étapes de la vie : comme Mickey ou Tintin, Spirou devient intemporel tout en étant fondamentalement un héros ancré dans son époque (les années 1920-1930) : le Journal à son nom comme l’esprit patrimonial actuel de l’éditeur semblent avoir su en tirer tous les enseignements… Prévoyez-vous d’autres récits du même genre, que ce soit avec Verron ou d’autres auteurs ?
Y. S : « En cours de récit, Laurent et moi sommes « tombés amoureux » de Juliette. Partant, nous avons discuté de la possibilité de raconté la suite de sa vie (… que réclame d’ailleurs la petite Marie à son Oncle Paul à la toute dernière case de cet album !). Va-t-on satisfaire la petite Marie ? Ce serait trop cruel de la laisser dans l’ignorance, non ? »
Philippe TOMBLAINE
« Il s’appelait Ptirou » par Laurent Verron et Yves Sente
Éditions Dupuis (16,50 €) – ISBN : 978-2800170695
Comme je suis loin de partager cet enthousiasme… (« cet album se hisse au sommet, aux côtés du « journal d’un ingénu » !)
L’idée de départ était excellente (utiliser Rob-Vel et raconter la genèse de Spirou), mais s’il est vrai, comme le disait je ne sais plus qui, qu’un méchant réussi fait une histoire réussie, je trouve que nous avons là une mauvaise histoire : les méchants sont d’affreux syndicalistes-fauteurs de troubles-terroristes au regard torve et chafouin, et la demi-planche 71 enfonce définitivement le clou (c’est de cette image que se souviendront les jeunes lecteurs) : la bonne société débarque joyeusement du paquebot et le méchant syndicaliste, tête enfoncée dans les épaules et menottes aux poignets, est emmené entre deux policiers vers le fourgon qui l’attend…
Cet album démontre également qu’un bon dessin ne rattrape pas une mauvaise histoire.
Quant aux couleurs (le summum est atteint aux planches 50/51), elle m’ont mis dans le même état qu’Oscarine dans la case 5 de la planche 51…
J’oublierai donc très vite cet album qui n’a fait qu’accroître mon impatience concernant celui d’Emile BRAVO à venir
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