Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Tintin » : le mystère des éditions alternées… Livre 5 : Le Lotus bleu en noir
Ce dernier article de notre série sur les éditions alternées de « Tintin » est consacré aux feuilles en noir non reliées qu’Hergé continua de commander après la guerre, ceci afin de s’en servir pour remodeler les albums ou pour travailler sur des produits dérivés. Nous avons choisi de présenter principalement « le Lotus bleu » en noir pour en parler, ayant retrouvé, il y a une dizaine d’années, deux exceptionnels exemplaires de travail de Hergé datant de 1946.
Des feuilles en noir de chaque titre imprimées à la demande d’Hergé
Le 22 octobre 1945, au moment de l’impression du « Trésor de Rackham le Rouge », Hergé écrit à Charles Lesne : « Albums en noir. On me réclame, en Suisse et au Portugal, des suites aux dessins qui ont paru jusqu’ici chez eux. As-tu songé à faire tirer quelques épreuves en noir du “Trésor”, comme cela avait été fait pour les autres albums ? »
C’est ainsi que le tirage en noir de « Rackham » fut livré (non relié) à Hergé en février 1946, puis vingt exemplaires de « Tintin au Congo » (avril 1946), des tirages en noir du « Sceptre » (décembre 1947), et de nouveaux tirages de « La Licorne » en avril 1948 : « Puis-je vous demander, lors d’un prochain tirage du “Secret de la Licorne”, de bien vouloir tirer pour moi de nouveaux jeux d’épreuves en noir de cet album ? Ceux que vous m’aviez envoyés autrefois ont totalement été écoulés ». On comprend au passage la rareté de ce titre en édition reliée puisque d’après cette correspondance, aucune « Licorne » alternée A22 n’est restée aux studios après la guerre…
Casterman envoie encore six nouveaux jeux de « La Licorne » en juillet 1949, des épreuves en noir du « Temple » en septembre 1949, douze « Quick et Flupke » en noir (février 1950), trois exemplaires noirs, en feuilles, de « L’Or noir » (février 1951), cinq albums en noir des « 7 boules » (février 1951), « Tintin en Amérique », « Le Lotus bleu », « Les Cigares du pharaon », « Coke en stock » et probablement tous les autres titres parus en « Tintin » jusqu’à la fin des années soixante, toujours en feuillets non reliés….
Ces feuilles en noir sont souvent imprimées sur un papier ordinaire proche de celui servant à l’impression des albums. Il est rare de les trouver en huit grandes feuilles non massicotées (état neuf), plus souvent elles ont été soit mises en cahiers (quatre cahiers) soit même séparées en 62 pages comprenant des découpes.
Un lot de feuillets en noir fut dérobé aux studios Hergé fin des années quatre-vingt, puis circula à la vente Chaussée de Wavre. Il y avait une dizaine d’exemplaires de chacun des titres suivants dans deux « caisses à banane » : « Amérique », « Lotus », « Congo », « Rackham », « Sceptre », « Temple »… Les feuilles en noir non reliées sont très rares, quelques passionnés ont choisi de les collectionner… Leur côte tourne autour de 3 à 8 000 euros en fonction de l’état et du titre (« Lotus » très recherché).
Deux sublimes exemplaires de travail d’Hergé découverts par Scriptura en 2009
En 2009, la Librairie Scriptura a découvert deux exemplaires du « Lotus » provenant des studios, dans une collection. Il s’est avéré à l’expertise que ces deux exemplaires étaient annotés de la main d’Hergé. Un trésor de bibliophile mis à jour…
D’après Philippe Goddin, il s’agirait d’un travail d’Hergé datant de 1948 : des essais pour transformer cette aventure en strips, à l’intention de la presse quotidienne scandinave. On constate dans ces deux exemplaires plusieurs tentatives de refonte du récit :
- sur l’exemplaire n° 1, une première restructuration au crayon rouge ainsi qu’un second parcours au crayon bleu, ainsi que des modifications de textes,
- sur l’exemplaire n° 2, essentiellement un travail sur la taille des cases et les ombrés pour passer l’histoire en deux couleurs (noirs et blancs plus grisés)….
Sur de nombreuses cases, Hergé a écrit de nouveaux textes, ce qui donne vie à ces deux exemplaires exceptionnels et les rend historiques. Nous avons choisi de partager avec vous en photos les plus beaux extraits de ces joyaux pour terminer cette série d’articles et rendre hommage au travail d’Hergé. Comme pour les précédents chapitres, ces visuels sont publiés pour la première fois, en exclusivité sur BDzoom.com.
Ainsi s’achève cette série de cinq articles (1). J’espère avoir su faire passer la dimension historique de ces albums, et pour une fois faire ressentir à certains collectionneurs la dimension bibliophile de certains albums de « Tintin », à l’opposé de l’obsession pour l’état neuf. Un amour pour les livres chargés d’histoire, ayant vécu, ayant servi, et une passion pour la vraie rareté, celle qui se compte en nombre d’exemplaires existants, celle d’albums héritant d’un pedigree exceptionnel, pas celle qui se mesure à la difficulté du zéro défaut….
Gilles FRAYSSE
Chapitre précédent
(1) Lire les différents chapitres de cette analyse :
— « Tintin » : le mystère des éditions alternées… Livre 1 : les « Île noire » d’Hergé
— « Tintin » : le mystère des éditions alternées… Livre 2 : une « Étoile » bien mystérieuse…
— « Tintin » : le mystère des éditions alternées… Livre 3 : Les Oreilles stockées !?!
— « Tintin » : le mystère des éditions alternées… Livre 4 : L’énigme du crabe alterné.
• Retrouvez d’autres articles de Gilles Fraysse sur « Tintin »
— « Le Lotus bleu », histoire d’une première édition originale…
— « L’Étoile mystérieuse », histoire d’une première couleur…
— Grandes images : les 9 gouaches méconnues dues à la main d’Hergé
— La « vraie » édition originale de L’Oreille cassée !.
Merci beaucoup pour cette série d’articles très documentés, passionnants et qui font rêver.
Merci. Ça complète ainsi le BDM. Gilles
La pureté du classicisme…
merci pour cette série d’articles très fouillés et incroyablement intéressants. C’est un réel plaisir que de vos lire et de découvrir ces mille et un détails qui nourrissent notre passion au quotidien. Encore bravo!
Merci à vous pour ces commentaires qui récompensent mon travail. Amicalement et passionnément… Gilles
tous mes remerciements et félicitations pour ces articles passionnants! La veine Hergé est vraiment inépuisable:
Bravo!
Est- il possible de se procurer l’ensemble des ces articles et illustrations sur un format 21×29,7 classique ?