Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Les Belles Images d’anticipation de G. Ri…
Datant de plus d’un siècle, les fantaisies scientifiques sous forme de bandes dessinées avec le texte sous les images proposées dans ce très beau et grand recueil (27 x 36,5 cm) restent étonnamment modernes : des savants géniaux y sont propulsés à travers le temps et l’espace et vont se déplacer en voitures volantes ou affronter de monstrueux dinosaures. Leur auteur ? Un certain G. Ri, hériter d’Albert Robida, de Jules Verne, de Georges Méliès…
Trois récits aux titres significatifs, publiés à l’origine par Les Belles Images (hebdomadaire français illustré pour la jeunesse édité par la librairie Arthème Fayard entre 1904 et 1936) et fonctionnant tous sur le mode du voyage humoristique futuriste, composent ce magnifique ouvrage proposé par 2024(1) en coédition avec la BnF : « Dans l’Infini » (datant de 1906), « Le Savant Diplodocus à travers les siècles » (1912) et « Dans la planète Mars » (1915).
Évidemment, si leur lecture demande aujourd’hui un petit effort – à ce propos, en fin de volume, une étude lumineuse de Julien Baudry nous propose des conseils pour pouvoir plus facilement lire G. Ri au XXIesiècle –, ces fantaisies débridées, entre merveilleux scientifique et féerique, vont vous étonner, car elles brassent une quantité d’influences issues du roman scientifique, de la vulgarisation savante et de l’imagerie populaire. D’ailleurs, toujours en fin de volume, un autre très intéressant article dû à Roger Musnik nous replonge dans l’anticipation française de la Belle Époque, en nous rappelant tout ce qui était, alors, rattaché à ce genre.
Quoi qu’il en soit, après lecture de ces féeries au charme toujours aussi opérant, il n’y a plus aucun doute : G. Ri est bien l’un des pionniers majeurs de la science-fiction graphique française.(2) De son vrai nom Victor Mousselet (1853-1940), son œuvre va marquer de nombreux autres romanciers ou narrateurs graphiques : d’ailleurs, Vercors et Alain Saint-Ogan, par exemple, le citent parmi les lectures marquantes de leur enfance, G. Ri ayant publié régulièrement des histoires à suivre basées sur ses thèmes de prédilection, à raison de deux pages par semaine, principalement dans Les Belles Images, entre 1905 et 1919(3), même si l’on peut retrouver ses premiers dessins d’humour dans La Caricature (la revue d’Albert Robida) dès 1896, puis dans Le Pêle-Mêle, Le Bon Vivant ou L’Album comique de la famille.
Gilles RATIERÂ
(1) Voir http://www.editions2024.com où, au milieu de romans graphiques imaginatifs d’une vague d’auteurs contemporains, on peut remarquer que les éditions 2024 ont déjà mis en avant d’autres incunables du 9e art comme les indispensables « Dés-agréments d’un voyage d’agrément » et « Histoire dramatique, pittoresque et caricaturale de la Sainte Russie » signés par l’immense Gustave Doré, ouvrages qui datent de 1851 et de 1854.
(2) Victor Mousselet, alias G. Ri, a vraiment été oublié par les spécialistes de la bande dessinée, ce qui explique que nous ne l’avions pas mentionné dans notre article de référence Les grands auteurs de la bande dessinée européenne, deuxième chapitre. Avant l’avènement des bulles : les récits pour les enfants…. Nous venons évidemment d’y remédier (c’est l’avantage d’Internet), ce qui vous permettra de rejeter un coup d’œil à cette série de chroniques patrimoniales en constante évolution !
(3) Les Belles Images ont été numérisées par la BnF et peuvent être consultées grâce aux mises en ligne sur Gallica. On pourra alors comparer avec la version d’origine et apprécier, comme il se doit, le très gros travail de restauration effectué par les éditions 2024.
« Dans l’Infini et autres histoires » par G. Ri
Éditions 2024/Éditions de la BnF (35 €) – ISBN : 978-2-919242-58-0