« Astérix T37 : Astérix et la Transitalique » par Didier Conrad et Jean-Yves Ferri

Après les précédents succès d’« Astérix chez les Pictes » (2,4 millions d’exemplaires écoulés en 2013) et de « Le Papyrus de César » (2,3 millions d’albums vendus en 2015), Jean-Yves Ferri et Didier Conrad (interviewé en fin d’article) réalisent donc avec « Astérix et la Transitalique » leur troisième opus en commun. Dès ce jeudi 19 octobre, et d’ici à 2018, parions qu’il sera difficile d’échapper au monumental lancement de ce 37e titre traduit en 16 langues, au tirage annoncé de 5 millions d’albums (dont 2 en langue française et 1,7 en allemand). Qui plus est dans une année symbolique, puisque nul bédéphile ne peut oublier ni le 90e anniversaire d’Uderzo, ni la tragique disparition (le 5 novembre 1977) du regretté René Goscinny, ni raisonnablement passer à côté des différents hommages (citons l’exposition « Le Cinéma de René Goscinny » à la Cinémathèque ou les hors-séries parus en kiosque) qui sont actuellement rendus au génial scénariste… Sans faillir, voici donc nos héros lancés vers de nouvelles aventures. Célèbres pour leurs nombreux voyages à travers le monde connu, Astérix et Obélix vont cette fois découvrir les nombreux peuples de la péninsule italienne : les Italiques !

une première planche promotionnelle encore bien mystérieuse ! (éd. Albert René 2017)

Comme nos précédents dossiers (voir « Astérix chez les Pictes » et l’interview de Didier Conrad pour « Le Papyrus de César ») l’avaient déjà souligné, rien ne procède du hasard lorsque l’on évoque les stratégies éditoriales liées à l’univers d’Astérix. Ainsi aurons-nous vu défiler successivement depuis février dernier une poignée d’annonces ou de cases plus ou moins informatives sur le contenu du futur album ; le 15 mars, le titre est ainsi dévoilé conjointement par Hachette et les éditions Albert René. Outre quelques visuels (dont la carte de la Transitalique), le synopsis sera explicité en avril lors d’une conférence de presse tenue dans le cadre du Salon du livre jeunesse de Bologne : « Toute l’Italie est sous la coupe de Rome. Toute ? Non ! Si César rêve d’une Italie unifiée, la péninsule est constituée de multiples régions qui tiennent à leur indépendance. Et la vie n’est pas facile pour les garnisons de légionnaires romains… » N’en déplaise donc à Obélix, les Italiques, autrement dit l’ensemble des habitants de cette Italie antique, ne sont pas tous des Romains, bien au contraire ! Comme tout peuple fier de ses racines et de sa culture, les Italiques tiennent à préserver leur autonomie et voient d’un mauvais Å“il les velléités de domination de Jules César et de ses Légions. Évoquant cette trame, le scénariste Jean-Yves Ferri précisera : « C’est sans doute parce que je l’avais sous le nez depuis le début, avec cette guerre incessante entre Gaulois et Romains, que m’est venue l’idée de l’Italie, un pays où Astérix n’était jamais allé, à part quelques incursions à Rome. C’est aussi une façon de faire un clin d’œil aux origines italiennes d’Albert Uderzo, je pense que cela lui fait plaisir ».

Hors de la Gaule...

Le synopsis entre les bulles

Avec comme idée principale une course de chars opposant les meilleurs auriges à travers l’Italie de Monza jusqu’au Vésuve (une idée qui fait tout le sel de la couverture jusque dans ses détails d’arrière-plan), Uderzo – grand fan de Ferrari – ne pouvait être que ravi par ce nouvel opus. Rappelons que, originaire d’Oderzo, un village situé en Vénétie (province de Trévise), la famille de l’auteur avait jadis quitté ses terres en 1923 pour venir s’installer en France… et y affronter le racisme ambiant. Dans la veine des précédents « Le Tour de Gaule d’Astérix » (T5, 1965) ou « Le Grand Fossé » (T25, 1980), nul doute que le périple d’Astérix et Obélix sera de nouveau lutter – par le rire – contre les pires préjugés.

Astérix et Obélix sont dans la course (éd. Albert René 2017)

À l’annonce du titre et du pitch, d’autres n’auront pas manqué de pointer les potentiels anachronismes : depuis 89 avant J.-C, tous les habitants des provinces au sud du Pô ont obtenu de Rome la citoyenneté romaine. Autant dire que trouver des « irréductibles » Italiens vers – 50/- 40 avant J.-C. relève donc de la gageure face à la puissance de César, en passe de triompher (il franchit pour mémoire le Rubicon en – 49 et acquiert le pouvoir total cinq ans plus tard, prélude à son assassinat en – 44). Las : place à la licence romanesque…

Après avoir peaufiné tous les détails et passé trente heures en moyenne sur chaque planche (chevaux, décors et personnages variés obligent), Didier Conrad a accepté de répondre à notre longue interview ; nous lui cédons par conséquent la parole au terme de cet article.

En 2015 paraissait « Le Papyrus de César » : avec le recul, aimeriez-vous changé quelque chose à cet album ?

Didier Conrad (D. C.) : « Peut-être enlever la licorne dans la forêt des Carnutes. L’idée d’origine était de faire un parallèle avec Brocéliande, pour mythifier la forêt des druides gaulois. Goscinny n’a jamais poussé l’aspect merveilleux dans Astérix ; la magie est soit un outil pour rendre l’univers possible, soit une source de gags. Uderzo a élargi le rôle de la magie à d’autres peuples que la Gaule, par exemple avec le tapis volant dans « Astérix chez Rahàzade » (1987). Albert a placé Astérix dans une antiquité mythique, plus proche de « Jason et les Argonautes » que des péplums comme « Ben Hur » ou « Cléopâtre » ; par exemple en parlant de l’Atlantide dans « La Galère d’Obélix » (1996). Personnellement, j’aime toujours bien la licorne, mais pour certains lecteurs c’est une aberration. Je ne vois pas vraiment pourquoi (il y a eu un dragon qui apparaissait dans une case de « La Rose et le Glaive » par exemple). Moi qui me pensais un puriste… »

En avez-vous par exemple rediscuté avec Uderzo où, dès ce volume fini, vous focalisez-vous immédiatement sur le tome suivant ?

D. C. : « Albert nous laisse libres d’aller où nous voulons. Quand un album est terminé, nous commençons à réfléchir au suivant lors de la tournée de promotion, dès la sortie de l’album. Nous sommes complètement dans le bain à ce moment-là et c’est la meilleure façon de capturer l’énergie générée par le tourbillon des interviews et des rencontres avec le public. »

Recherche graphique pour la couverture

Après l’aventure locale, le voyage : Astérix envoyé vers la Transitalique était-il votre premier choix ?

D. C. : « Nous avions discuté d’autres pays, mais l’Italie nous a semblé tout de suite une très bonne possibilité. Il faut un pays que le public connaisse bien pour qu’il y ait suffisamment de sources de gags. De plus, l’Italie, en dehors de Rome, n’avait jamais été montrée dans les aventures d’Astérix. »

Storyboard de Ferri et case finalisée par Conrad

Quelle différence avec un titre comme « Le Tour de Gaule d’Astérix » ? Le terme de « Transitalique » était-il si évident à placer ?

D. C. : « Les titres d’Astérix sont génériques, sans astuces ou jeu de mots. Transitalique est une idée de Jean-Yves qui sonnait bien. Il y a eu une petite hésitation, ce mot nouveau pouvait créer une confusion ; mais tout le monde dans l’équipe aimait bien. »

Un nouveau méchant : Coronavirus

Comment élaborez-vous votre scénario : seul et d’un seul jet ou par un jeu de ping-pong avec Jean-Yves Ferri, Uderzo, Anne Goscinny et votre éditeur ?

D. C. : « Uderzo et Anne Goscinny donnent leur avis, mais ne nous imposent rien. C’est une remarquable preuve de confiance de leurs parts. Jean-Yves est bien sûr en charge du scénario. On discute des idées principales, mais c’est lui qui fait les choix. Il est suivi de près par l’éditeur enthousiaste et responsable, Céleste Surugue, qui nous accompagne avec une patience sans faille tout au long de la réalisation. S’il y a un jeu de ping-pong tout au long du découpage, c’est plutôt entre Jean-Yves et Céleste. J’interviens dans la façon de présenter les idées et en ajoutant quelques gags visuels secondaires, dans la tradition de ce que faisait Uderzo. Le processus créatif est organique, pas technique. Jean-Yves ne suit pas vraiment de plan précis, il marche à l’inspiration. Comme l’humour est une question de timing, la structure narrative est moins essentielle. Un « Astérix » merveilleusement raconté mais qui ne ferait pas rire serait un ratage complet.»

Entre pays unifié et rêves d’indépendances, votre Transitalique a des échos européens : l’actualité houleuse de ces derniers mois trouvera-t-elle des résonances dans ce nouvel album ?

D. C. : « Il y a forcément des résonances, mais avec un recul confortable de 2067 ans. Pas de quoi s’alarmer ! »

Vers 50 av. J-C., l’Italie semble pourtant placée sous entière domination romaine : ne craignez-vous pas les accusations d’historiens visant les anachronismes ?

D. C. : « Pas vraiment. « Astérix » est très loin de la Gaule décrite par les historiens et les anachronismes sont une tradition dans la série. Ceci dit, si l’Italie n’existait pas encore telle que nous la connaissons, les différentes provinces pacifiées par Rome étaient souvent prêtes à se rebeller. »

Vous avez annoncé – périple oblige – une foule de nouveaux personnages ; probablement l’occasion de glisser quelques caricatures, selon la grande tradition de la série : pouvez-vous en dévoiler une ou deux ?

D. C. : « Oui, Pavarotti et Berlusconi… Et une apparition de Sophia Loren et Monica Bellucci… »

Cette année 2017 marque aussi le 90e anniversaire d’Uderzo et les 40 ans de la disparition de Goscinny : cet album sera-t-il le seul hommage de votre part ou doit-on s’attendre à quelques surprises éditoriales ?

D. C. : « L’album est notre hommage à tous les deux, Jean-Yves et moi. Il faudra demander à Céleste pour des surprises éventuelles… »

La reprise d’Astérix vous permet-elle encore des travaux annexes ? D’autres sujets ou d’autres histoires ?

D. C. : « Pas pour l’instant. C’est un travail très accaparant. J’ai abandonné les deux projets que j’avais en cours. Le premier était un « Spirou à Venise » avec Christophe Arleston et le deuxième une série de gags en une page avec Jerry Frissen. Cet autre projet était bien avancé : nous avons le matériel scénaristique pour deux albums, l’univers graphique et la mise en scène pour le premier album est aboutie. Maintenant, je ne suis pas en mesure de réaliser, lancer et suivre la série à un rythme suffisant pour qu’elle ait une chance de décoller. On est en train de chercher un dessinateur qui pourrait s’investir dans le projet. Ce n’est pas une série facile et Jerry est en train d’évaluer ses options. »

Merci à vous pour tous ses éléments de réponse. Bon courage pour votre tournée promotionnelle !

Couverture de la version luxe

Visuel du hors-série d'Auto Plus : Sur la Route avec Astérix (n° 61 du 10 octobre 2017 )

Philippe TOMBLAINE

« Astérix T37 : Astérix et la Transitalique » par Didier Conrad et Jean-Yves Ferri
Éditions Albert René (9,95 €) – ISBN : 978-2864973270

Version luxe (39 €) – ISBN : 978-2864973287

Galerie

11 réponses à « Astérix T37 : Astérix et la Transitalique » par Didier Conrad et Jean-Yves Ferri

  1. Pierre dit :

    Petit détail : le village (20000 habitants quand même…) d’Oderzo est situé en Vénétie et non dans le Piémont.

    • Tomblaine dit :

      C’est exact et donc corrigé.
      Pour l’anecdote, je me suis référé à une interview récente d’Uderzo, où lui même évoquait le Piémont comme lieu de localisation du village « familial »… Il faut tout vérifier !
      Merci de votre relecture attentive.

  2. Liaan dit :

    Quel dommage de ne pas avoir conservé le char Vespa vu sur le croquis préparatoire (bon, il avait 3 roues !)
    Mais il eût été bien que Conrad mette dans le dessin final cet embouti vertical au centre du tablier qui symbolise la Vespa.
    Nous n’avons droit qu’à un char à petites roues et sa couleur vert pâle.
    Est-ce que le lecteur saisira l’astuce ?

  3. JEAN dit :

    Je n’ai pas aimé cet album et son histoire linéaire: Astérix et Obélix participent à la course et gagnent la course!
    Dans Astérix aux J.O. (bien supérieur), ils ne gagnent que l’épreuve spécialement conçue pour eux, c’est beaucoup plus travaillé et pensé.
    Le dessin de Conrad est magnifique, mais le scénario est faible!

    • PATYDOC dit :

      Oui – Sans compter les petites connotations racistes : les Portugais ne sont jamais dans la course, les Scandinaves sont grossiers, les Goths reçoivent des baffes sans raisons, etc…. Je suis curieux de voir quelle sera la réaction dans ces pays ? Et quid des ventes dans ces pays ?

      • PATYDOC dit :

        J’ajoute que l’impression et le papier sont de mauvaise qualité ! On est loin de la qualité d’impression d’ »Astérix et les Jeux Olympiques » (livre avec lequel j’ai appris à lire)……….

  4. fredo dit :

    bonjour’
    l’album est génial, j’ai acheté la version luxe.

  5. Olivier Berné dit :

    Je viens de le prendre en main et je n’ai qu une envie c’est de me faire rembourser tellement il est mal imprimé. Noir pas noir tres visible dans les bulles. Couleurs delavées

  6. BARRE dit :

    Et çà rale, et çà rale… A part « Fredo », tout le monde il est pas content du nouvel album d’ Asterix, on se plaint même de la qualité du papier c’est à (presque) mourir de rire! Mais les gars testez votre lecture avant d’acheter, allez le feuilleter en douce chez Decitre ou à la Fnac avant de l’acheter éventuellement chez votre libraire préféré et arrêtez un peu vos critiques de mémères (ou de poissonniers!)
    Avant de finir j’enfonce aussi une porte ouverte: il parait que Conrad c’est pas Uderzo et il parait même que Ferri c’est pas Goscinny! Crotte alors!

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