« Isabella Bird femme exploratrice » T1 par Taiga Sassa

Découvrir le Japon du XIXe siècle, voilà ce que propose cette nouvelle série. Basé sur les écrits et le voyage bien réel d’Isabella Bird, ce récit s’adresse à un public bien plus large que le simple amateur de mangas, en raison de son caractère historique. Préparez-vous à remonter le temps pour visiter une partie de l’archipel japonais que vous ne soupçonniez sûrement pas.

Isabella Bird est une Anglaise atypique. Née le 15 octobre 1831, elle est élevée dans la pure tradition anglicane, son père étant pasteur. Pourtant, elle semble malheureuse et de constitution fragile. Son médecin de famille, après avoir testé de nombreux remèdes, lui suggère donc de voyager pour l’aider dans sa guérison. Ce traitement inhabituel fera d’elle l’une des plus prolixe aventurières de la fin du XIXe siècle.

Le manga débute le premier jour de son voyage vers l’Asie : le 20 mai 1878. Elle quitte sa famille avec peu de bagages et une idée bien précise en tête : traverser le Japon de haut en bas en passant par une route qu’aucun Européen n’a jamais empruntée. Elle veut longer la côte ouest en passant par des chemins encore sauvages jusqu’à l’île Ezo (1), où vivent les Aïnous. Un peuple qu’elle imagine plus authentique que les Japonais de la capitale, déjà transformés par leur contact répété avec la culture occidentale.

Lorsque sa sœur Henrietta lui fit ses adieux sur le quai du port, Isabella lui fait la promesse de lui écrire quotidiennement les péripéties de son voyage. Ce sont ces lettres qui seront plus tard publiées et qui ont servi de guide dans l’écriture de ce manga. Chaque chapitre commence immanquablement par la date du jour suivie de la phrase : « Henrietta, ma chère petite sœur, à l’heure où je t’écris, je voyage dans cet étrange pays qu’on appelle le Japon… »

Et pour être étrange, ce pays l’est indéniablement pour une Occidentale fraîchement débarquée de l’Angleterre victorienne. Isabella est surprise, par exemple, d’y croiser une femme allaitant en public, sans aucune pudeur, ses deux nourrissons, des convois de marchandises démesurés et pourtant portés à dos d’homme, des insectes peu sympathiques et surtout des lieux emblématiques, mais tellement inhabituels pour ses yeux d’Occidentale. Elle sera elle-même source de curiosité et d’étonnement de la part des autochtones qui n’ont quasiment jamais croisé d’Européens. Dans son périple, elle sera accompagnée par un jeune guide-interprète japonais autodidacte : Tsurukishi Ito.

Si les récits d’Isabella ont passionné l’aristocratie anglaise, elle a également fortement marqué les esprits japonais. Aucune aventurière n’avait jamais emprunté la route qu’elle a suivie avant elle. Du coup, ce manga, en plus d’être historique, est un bel hommage à cette femme hors du commun. Bien évidemment, toute son aventure est romancée avec les codes actuels du manga. Pourtant, la vie des Japonais de l’époque y est montrée sans réel tabou, en suivant autant que possible les écrits originaux.

Après ce voyage exceptionnel au Japon, elle parcourra l’Inde, le Tibet, la Turquie, la Chine, la Corée, etc. Elle voyait ces voyages comme une thérapie face à la monotonie du quotidien qui l’enfermait dans une société patriarcale étouffante. Heureusement, elle a su, avec des mots choisis, décrire son périple pour les transmettre à ses contemporains, voir les générations futures, comme c’est le cas avec cette adaptation graphique. À son tour, la dessinatrice Taïga Sassa a mis en image, de manière ludique, mais juste, cette représentation de son pays tel qu’il était il y a plus d’un siècle. Plutôt bien documentées, ces images ne trahissent pas la vision que devait avoir l’aventurière à cette époque, même si les personnages reprennent les canons du manga contemporain dans les visages et les attitudes. Le caractère rustre des étrangers n’est pas épargné par la critique. Apparemment, certains Européens n’arrivaient pas à voir cette partie de l’Asie comme Isabella pouvait la voir. La jeune femme, contrairement à certains de ses compatriotes, cherchera continuellement à se fondre dans la moule locale pour mieux le comprendre, même si cela lui était bien évidemment impossible du fait de son physique si différent. C’est pourquoi ses écrits sur les Aïnous seront importants également pour les Japonais du sud qui ne voyaient, à l’époque, en eux que des sauvages.

Il y a deux lectures possibles de ce manga. Soit de manière traditionnelle en suivant les aventures simples d’une héroïne intrépide à travers le Japon féodal. Soit en s’attardant sur les faits historiques rapportés afin de comprendre la vie d’antan. Dans les deux cas, le récit est agréable et saura à la fois combler les lecteurs classiques comme les lecteurs en quête d’une littérature plus sérieuse et véridique.

Habitué des œuvres historiques, les éditions Ki-oon, nous offrent encore une série d’exception, superbement présentée, ouvrant la culture à un très large public. À lire et à faire découvrir à tous les amoureux du Japon, de son histoire et de sa géographie.

Gwenaël JACQUET

« Isabella Bird femme exploratrice » T1 par Taiga Sassa
Éditions Ki-oon (7,90 €) – ISBN : 1032701668

(1) Île la plus au nord du Japon, actuellement connu sous le nom d’Hokkaido.

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4 réponses à « Isabella Bird femme exploratrice » T1 par Taiga Sassa

  1. PATYDOC dit :

    En 1878 le Japon n’était pas à l’époque féodale ! Mais à l’époque d’Edo, d’une grande richesse culturelle: pensez à l’œuvre de Saikaku, au théâtre Kabuki, ou bien, plus tard, aux estampes d’Hiroshige.

    • Gwenaël Jacquet dit :

      En 1878, l’ère Meiji vient tout juste de débuter depuis dix ans et une transition est en effet en train de s’opérer. La féodalité disparaît en même temps que l’abdication du 15e shogun : Yoshinobu Tokugawa, en novembre 1867. Neéanmoins, cela ne signifie pas immédiatement la fin du mode de vie paysan. C’est réellement en 1877, soit seulement un an avant l’arrivée d‘Isabella, que disparaît ce que l’on considère comme le dernier samouraï avec la rébellion de Satsuma. Ce récit montre bien ces changements qui se sont faits progressivement. Les Aïnous, qui sont principalement le sujet de ce manga, sont encore opprimés et les contrées traversées par Isabella Bird sont loin de la modernité montante de la capitale. Du coup, je pense que le Japon que découvre cette exploratrice n’est pas encore le Japon ouvert sur le monde tel qu’il le sera pleinement au début du XXe siècle. Le terme féodalité est peut-être un peu fort, le peuple n’étant plus officiellement sous l’oppression d’un shogun. Néanmoins, l’époque créative qui en effet se développe dans le sud de l’archipel, mais n’est pas encore arrivée dans la partie explorée par cette femme, même si cette transition moderne a été assez fulgurante dans la capitale.

      • PATYDOC dit :

        Edo n’est pas une époque féodale! Ce n’est pas parce qu ‘il y avait encore un Shogun qu’on était à l’époque féodale ! Que racontez-vous là ? De plus, Isabella arrive en 1878 soit 10 ans après le début de l’ère Meiji ! Quant à Satsuma, c’est un épisode mineur, certes bien mis en scène par Hirata. De plus ce que vous appelez le sud du Japon, c ‘est le Japon en entier ! Edo c’est Tokyo, d’ailleurs . Le « sud » c’est le Kansai. Et à l’époque d’Edo, c’est tout le Japon qui se développe aux arts et au commerce.
        Enfin, le statut des Ainus n’a rien à voir avec l’époque à laquelle on se situe au Japon …

        • Gwenaël Jacquet dit :

          Vraisemblablement vous n’avez pas lu le manga et du coup pas compris le sujet de cet article. Allez voir le parcours d’Isabella Bird et vous comprendrez mieux ce que je dis. Cette histoire ne se passe pas à Tokyo. Quant au sud du japon, non ce n’est pas le japon tout entier puisque justement c’est le sud. Le périple d’Isabella Bird la fait remonter vers le nord en partant de Tokyo. Du coup, on se situe bien dans le nord du Japon puisqu’elle se dirige vers Okaido.
          Votre dernière phrase montre bien votre méconnaissance certaine du Japon. Le statut des Aïnous est très présent dans le travail d’Isabella Bird. Je vous invite à suivre ce manga pour justement enrichir votre culture et ainsi combler certaines lacunes.
          Je trouve fort dommage de faire un blocage sur le mot « féodal » sans chercher à comprendre le fond.

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