« L’Automne à Pékin » par Gaëtan et Paul Brizzi

Certes, « L’Automne à Pékin » ne se déroule ni en automne ni à Pékin. Boris Vian en convenait et c’est évidemment ce mélange de banalité et de tromperie du titre qui l’amusait en premier ressort. Il n’empêche qu’on y voyage beaucoup dans les pas et les errances de drôles de péquins, tous plus à l’ouest les uns que les autres. Alors, suivons-les sans tarder dans l’adaptation virtuose des frères Brizzi…

Amadis Dudu (oui, les noms des personnages sont déjà tout un programme !) est en mission : fonctionnaire zélé, il part pour l’Exopotamie, située comme chacun le sait dans un désert. Il y a aussi Cornélius Onte : ingénieur à la Wacco et responsable d’un chantier qui lui tient à cœur. N’oublions pas non plus le professeur Mangemanche : un fou de modélisme et accessoirement médecin. Et un curé (Petitjean), un égyptologue (Athanagore Porphryrogénète), la jolie Rochelle… et beaucoup d’autres, tous aussi déjantés.

Tout ce petit monde va se retrouver plus ou moins (mais plutôt plus) par hasard, là-bas, en Exopotamie : les uns explorant des tombeaux, les autres travaillant ardemment pour l’installation d’une ligne de chemin de fer, tous logeant dans un petit hôtel du désert fort mal placé… Curieusement, l’absurdité des individus et de leurs dérives personnelles construit peu à peu un récit loufoque, mais qui a sa propre mécanique, sinon sa propre logique ; d’autant que les auteurs n’ont pas réutilisé les commentaires autodestructeurs du narrateur sur sa propre narration comme le faisait Boris Vian : ce qui accentue l’effet d’aventure burlesque.

On est, de fait, littéralement embarqués avec eux dans un desert-movie drolatique, sublimement mis en scène par les frères Brizzi. Travaillant ensemble dans le film d’animation (l’un aux décors, l’autre plutôt aux personnages), les Brizzi écrivent cependant à quatre mains (si l’on peut dire !), réalisant un scénario alerte et burlesque. Le trait caricatural des personnages (la galerie de tronches est admirable) se double, en outre, d’une mise en couleurs douce et séduisante, dont ils sont aussi les auteurs. Au total, 120 pages délicieuses !

On a déjà découvert les frères Brizzi avec la surprenante « Cavale du docteur Destouches », en noir et blanc et sur scénario de Christophe Malavoy (même éditeur, en 2015). Le scénariste s’est intéressé à cet épisode trouble et pitoyable de la vie de Céline quand, en 1944, avec son épouse, le comédien Robert Le Vigan et le chat Bébert, ils quittent la France pour rejoindre la communauté française collaborationniste à Sigmaringen… Paul et Gaëtan Brizzi en faisaient un personnage granguignolesque et la cavale emportait totalement son lecteur.

Pour ce qui est de Boris Vian, rappelons qu’il a d’abord intéressé la bande dessinée via l’adaptation de ses chansons. D’abord en 1999, aux éditions Petit à petit, avec « Chansons de Boris Vian en bandes dessinées » qui réunissait 13 textes mis en images par 13 dessinateurs différents, tous de très bon niveau et pour certains bien connus par les amateurs de BD (Jusseaume, Gioux, Heliot, Labiano…). L’année suivante, Vents d’ouest proposait « Boris Vian en BD » où 26 auteurs de renom (parmi lesquels Cabu, Fred, Godard, Moynot, O’Groj, Rabaté, Robin, Rossi, Solé, Sorel…) étaient rassemblés pour célébrer le parolier.

Pour les romans, c’est plus récent : puisqu’avant « L’Automne à Pékin », on ne comptait que « L’Arrache-cœur » paru en 2012 chez Delcourt avec Maxime Péroz au dessin et Jean-David Morvan au scénario ; tous deux réalisant une adaptation noir et blanc troublante et cruelle de cette vie d’un village révélant les désirs les plus implacables des êtres humains.

Signalons enfin, côté biographie, le « Piscine Molitor » paru chez Dupuis en 2009. Christian Cailleaux et Hervé Bourhis racontent que le 23 juin 1959, quelques heures avant sa mort, Boris Vian s’entraînait à la plongée en apnée à la piscine. Il se souvient alors de son enfance, de ses amis, de ses amours, de ses débuts littéraires, de sa passion pour le jazz et de ses problèmes cardiaques. La biographie réalisée par les auteurs permet d’entrer dans l’intimité de Boris Vian, ses racines familiales, ses difficultés conjugales ou l’épée de Damoclès que constituait sa malformation cardiaque. Bref, une vie finalement moins ludique qu’on ne pourrait l’imaginer.

Didier QUELLA-GUYOT  ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).

http://bdzoom.com/author/didierqg/

 « L’Automne à Pékin » par Gaëtan et Paul Brizzi

Éditions Futuropolis (21 €) – ISBN : 978-2-7548-2308-1

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