Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Quand le cirque est venu » par Stéphane Fert et Wilfrid Lupano
Quand le cirque vient, c’est pour distraire, émerveiller, faire rêver un vaste public ; des plus jeunes aux plus âgés. Mais quand le chapiteau d’un cirque inconnu s’installe dans la capitale d’une dictature, le tyran local n’apprécie pas que l’ordre fragile qu’il impose soit remis en question par des saltimbanques. Que le spectacle commence… Il sera très surveillé jusqu’à un final pour le moins inattendu.
George Poutche est un homme heureux. Ce général fait régner l’ordre dans son pays : un ordre qui ne se discute pas. Fini le bazar des débats démocratiques, des discussions à n’en plus finir. Maintenant qu’il est président à vie, l’ordre règne partout ; un ordre pour éviter le désordre, un ordre maintenu avec des médailles, beaucoup de médailles pour : « que tout le monde soit content », un ordre où « On est tous pareils en uniforme », où le général Poutche décide de tout et… « Personne ne s’en plaint. »
Seulement, voilà , un beau matin un cirque s’annonce et un cirque, pour le général Poutche, c’est : « Des saltimbanques qui habitent dans des maisons qui roulent, qui s’habillent rigolo, qui bougent tout le temps, dans tous les sens, et qu’on ne peut pas contrôler. » Alors le général Poutche, il ne veut pas que les circassiens s’installent dans sa ville. Mais son ministre du Divertissement lui rappelle, fort à propos, que le peuple souffre, que les temps sont durs pour lui et que pour accepter cette vie difficile il a besoin de rigoler un bon coup de temps en temps. Soit, le chapiteau sera monté, les artistes pourront produire leur numéro, mais une seule fois pour une représentation vraiment exceptionnelle.
Et cette représentation sous les yeux méfiants du petit général sera exceptionnelle à plus d’un titre ! Paranoïaque, le tyran fait enfermer dans les terribles geôles noires du château du Gueunouf tous les artistes à l’issue de leur numéro : le dompteur de tigres parce qu’il s’était lui-même surnommé « Le Tigre indomptable », Rodolphe, l’homme le plus fort du monde qui brise les chaînes qui l’entravent, car ce serait une incitation à la révolte ou l’époustouflant funambule Jean-Marc qui a eu le toupet de vouloir passer au-dessus de lui, or « Personne n’est au-dessus du général ! »
Arrive Oscar, un clown pas triste du tout qui adore balancer des tartes à la crème sur les gens, surtout les gens ridicules…
Le dénouement est proche pour la petite troupe d’un Monsieur Loyal apeuré, mais aussi pour tout un peuple qui vit sous le joug implacable du colérique George Poutche.
Fable moderne et intemporelle, « Quand le cirque est venu » s’adresse autant aux enfants qu’à leurs parents qui prendront plaisir à faire ressentir les différents niveaux de lecture aux plus jeunes. La dictature, l’abus de pouvoir, la force de la liberté d’expression et l’importance du libre arbitre sont les thèmes développés par le talentueux Wilfrid Lupano. Avec son humour habituel, il oppose la tyrannie d’un ordre imposé aux jeux, à la liberté et au rire émancipateur apportés par les artistes du cirque. Des dialogues fins, toujours amusants relancent souvent l’action tout en apportant une certaine profondeur à des personnages attachants.
Le dessin et les couleurs de Stéphane Fert apportent une force et une drôlerie supplémentaire à cet intelligent hymne à la liberté. Tout en rondeurs, son trait caricatural atténue le propos parfois sévère du scénariste. Il joue avec talent avec toute une gamme de couleurs, dissociant le gris bleuté, les tons froids affectés à un pouvoir fantoche et les nuances de couleurs chaudes de la vie apportée par les circassiens. Ses planches fourmillent de détails amusés et amusants comme l’insigne de la casquette du général Poutche ; une main avec un pouce levé comme le like d’un réseau social bien connu, un despotisme contemporain ?
Avec ses albums aux grands formats et une politique éditoriale exigeante, la collection Les Enfants gâtés, dirigée par Grégoire Seguin, offre régulièrement aux jeunes lecteurs des bandes dessinées d’une très grande qualité. Le conte de Lupano et Fert dispose des mêmes qualités que « La Poudre d’escampette » et « Pieter et le Lokken », dont nous avons vanté les qualités dans cet article.
Le scénariste des « Vieux fourneaux » récidivera bientôt dans le même registre et dans la même collection avec « Cheval de bois, cheval de vent » qu’il a écrit pour Gradimir Smujda. Parution en octobre prochain.
Un petit mot pour terminer sur un autre album de cette belle collection, le fantastique « Capitaine Fripouille » du duo Alfred-Olivier Ka, les auteurs du très remarqué et récompensé, « Pourquoi j’ai tué Pierre ». Ce récit initiatique de cape et d’épée se révèle être aussi une défense argumentée de la librairie indépendante ! Une cause juste et d’actualité qui vous pourrez applaudir dans un spectacle en chansons imaginé par les auteurs. Cette comédie musicale enlevée sera présentée dans différentes manifestations culturelles et festivals, comme les 8 et 9 juillet prochains à Nantes, lors du festival Fumetti. Plus de renseignements sur le site des éditions Delcourt .
Laurent LESSOUS (l@bd)
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« Quand le cirque est venu » par Stéphane Fert et Wilfrid Lupano
Éditions Delcourt (14,50 €) – ISBN : 978-2-7560-9421-2
« Capitaine Fripouille » par Alfred et Olivier Ka
Éditions Delcourt (14,50 €) – ISBN Afficher l’article: 978-2-7560-9496-0
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