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« The Goddamned T1 : Avant le déluge » par R.M. Guera et Jason Aaron

03/06/2017
Par Franck Guigue

Les auteurs de « Scalped », série plébiscitée, reviennent avec une nouvelle histoire se déroulant à l’aube des temps. Cain est damné depuis 1 600 ans et cherche à mourir… Un univers glauque et violent, mais fascinant.

Où l’on ne change pas une équipe qui gagne : Jason Aaron est un auteur à succès chez Vertigo et Marvel, lui qui voit sa série en dix tomes « Scalped » bénéficier d’une belle intégrale chez Urban Comics depuis ce début d’année. Lui qui a aussi été à l’origine du culotté « The Mighty Thor », où le dieu du tonnerre a été remplacé par une femme… Il remet le couvert avec un scénario fleurant bon la préhistoire, ou en tout cas le récit biblique, mais détourné à la sauce comics.

Nous sommes 1 600 ans après l’Éden. Caïn, premier criminel de l’histoire humaine, erre dans un monde sale et violent, qu’il a participé à créer. Le portrait que nous dressent les auteurs de la Terre est tout sauf engageant, et cela change de l’idée (alambiquée ?) que l’on s’était faite, jusqu’à présent, des âges farouches. Tout n’est que désolation, boue, pourritures et cadavres sur ce sol maudit par Dieu, et le scénariste se complaît, apparemment, à en rajouter. Si chaque page n’apportait pas son lot de désolation, on pourrait par moment se croire dans une BD de Jean-Marie Arnon, car même les sauriens sont présents. Il faut dire que reptiles, mammifères et humains sont tous logés à la même enseigne dans un récit où l’idée principale semble être portée par la devise : « L’homme est un loup pour l’homme » (et une saloperie pour le reste des créatures vivantes).

Jason Aaron n’y va pas avec le dos de la cuillère et sa dénonciation de la race humaine, en tant que grand prédateur, est à peine voilée par l’aspect fiction de son comics. Cependant, les citations du déluge de la Genèse, introduisant chaque chapitre, apportent un semblant de support pseudohistorique, qui évitent de classer définitivement le récit dans un genre d’heroic-fantasy pur et simple. D’ailleurs, on ne dévoilera pas grand-chose en précisant que Caïn est rapidement confronté à Noé dans ce tome, et combien l’univers cinématographique de réalisateurs comme Jack Snyder (« 300 », déjà adaptation d’un comics) et de Darren Aronofsky (« Noé ») a sans doute pu influencer l’auteur, voire le dessinateur, pour leurs choix esthétiques. Le personnage de Noé, très typé, ressemble par exemple étonnamment au Xérès de « 300 ».

Néanmoins, R.M. Guera, dessinateur d’origine yougoslave, sait nous plonger avec talent, grâce à son encrage à la finesse très reconnaissable, dans ces décors de fin du monde. Et si son style graphique peut parfois faire penser à Victor de la Fuente ou à Régis Loisel (période « Quête de l’oiseau du temps »), ce sera sûrement davantage la faute aux peaux de bêtes portées par les nombreux protagonistes, qu’à une réelle similitude de trait. Les couleurs de Giulia Brusco, déjà à l’œuvre sur « Scalped » sont, quant à elles, douces et justes et rappellent celles de la série « Prophet » (un autre très bon récit de science-fiction déroutant, publié chez le même éditeur). Elles nous permettent de nous délecter d’une ambiance pourtant peu encline à la poésie. Quoique… la fin de ces premiers chapitres laisse entrevoir un peu d’humanité.

Ce tome collecte les cinq premiers comics originaux parus en 2016, ainsi que leurs couvertures (dont des variant) et quelques études. On attend avec impatience la suite annoncée de cette histoire violente, pourtant aussi âpre que sensible, qui ne devrait néanmoins pas s’étirer sur beaucoup de volumes.
Un véritable coup de cœur pour un duo d’auteurs qui a déjà fait ses preuves !