Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Le Voleur de souhaits » par Bertrand Gatignol et Loïc Clément — « Chaussette » par Anne Montel et Loïc Clément
Depuis longtemps, dans notre rubrique, nous aimons mettre en avant de nouveaux talents qui œuvrent à renouveler les approches de la bande dessinée destinée aux jeunes lecteurs. Après vous avoir entretenu des travaux de Joris Chamblain (« Les Carnets de Cerise » ou « Enola & les animaux extraordinaires »), de Séverine Gauthier (« L’Épouvantable Peur d’Épiphanie Frayeur », « Aliénor Mandragore » et « Cœur de pierre »), des BeKa (« L’Atelier détectives », « Planète Gaspard ») ou de Marc Lizano (« L’Enfant cachée », « Père et fils », « La Pension Moreau »), il est temps pour nous de nous pencher sur le travail scénaristique de Loïc Clément. La sortie simultanée de ses deux dernières œuvres nous en fournit l’occasion rêvée.
Loïc Clément est un passionné de livres. Avant d’en écrire lui-même, il a longtemps travaillé au plus près de sa passion : libraire, bibliothécaire, critique littéraire, puis formateur dans le domaine des métiers du livre.
Il se lance au début des années 2010 dans l’écriture, avec un certain succès. Sa deuxième bande dessinée publiée « Le Temps des mitaines » obtient plusieurs prix : elle a notamment concouru pour le Fauve jeunesse lors du festival d’Angoulême 2015.
Il forme un couple d’auteurs remarqué avec Anne Montel qui assure une mise en images précise et poétique de nombre de ses récits pour la jeunesse.
Le dernier en date est l’émouvant « Chaussette » : une œuvre qui traite avec légèreté de thèmes profonds et universels comme le temps qui passe, la perte d’un être cher et du travail de deuil. Dans une petite ville paisible de province, Merlin, jeune garçon curieux a tout le loisir d’observer sa voisine. Du haut de sa cabane, perché dans un arbre, il l’observe jardiner dans son potager au milieu des jappements de Dagobert, son chien de compagnie. Petit, il avait du mal à bien articuler son prénom : c’est pour ça que Josette est devenue pour lui et les siens « Chaussette ».
Chaussette, toujours accompagnée de Dagobert, un Corgi vif et fidèle, suit toujours le même parcours rituel, tous les jours de la semaine : de son pavillon à la boutique du boucher, puis une visite à un vrai artisan-boulanger après un détour dans une librairie-papeterie. Elle prend aussi le temps de lire, assise dans un parc, « de vieux bouquins abîmés qui craquent quand elle les ouvre trop fort » et d’écouler son « trésor de croûtons » auprès des oiseaux d’un terrain vague. Cette routine doit la rassurer pense Merlin que ce petit manège amuse.
Or, un beau jour, Chaussette déroge à ses habitudes ! Elle part, sans Dagobert, faire son petit tour rituel et vole de petites choses partout où elle passe ; elle glisse ainsi un petit écriteau du parc dans son cabas, puis un pique-prix des saucissons et des rillettes de la boucherie jusqu’à un vieux pot d’échappement rouillé dans le terrain vague. Devient-elle folle ? Est-elle kleptomane ? Pour en avoir le cœur net, Merlin s’arme de courage et franchit le portail qui mène à la maison de Chaussette. Ce qu’il découvre le bouleverse et le rapproche à tout jamais de la vieille femme.
Le scénario simple, émouvant, juste et bien construit, de Loïc Clément est mis en images par sa compagne, Anne Montel. Son dessin aquarellé fourmille de mille détails et s’attarde souvent sur le jeu de regards signifiants entre l’enfant qui apprend la vie et la vieille dame très digne, amusante et apaisée. On découvre aussi, au détour d’une case, un duo d’enfants au jeu surprenant : Felix et Calliope, les héros du « Voleur de souhaits », l’autre album de ce printemps signé lui aussi par Loïc Clément.
Avec le même humour un peu mélancolique que dans « Chaussette », Loïc Clément bâtit un conte moderne qui interroge subtilement sur nos souhaits et nos rêves. Quoi de plus dangereux que de vivre sans rêve ?
Félix est un jeune garçon à la collection très originale. Il conserve chez lui dans des bocaux multicolores des centaines de rêves de personnes croisées. Son stratagème est fort simple. Quand une personne éternue, très poliment il lui souhaite « À mes souhaits » et on lui répond mécaniquement merci. Or, vous aurez remarqué que Félix a modifié la formule de politesse à son avantage. Au lieu de « À vos souhaits », son « À mes souhaits » lui permet d’emprisonner les rêves des autres : rêves secrets ou souhaits très simples, sa collection s’enrichit de jour en jour, surtout au printemps quand le pollen se révèle son allié le plus précieux.
Tout change quand il croise une brune énigmatique qui surprend son petit jeu. Il ne peut capturer aucun de ses souhaits, car elle n’en a pas. Or, en discutant avec la jeune fille, elle le renvoie aux causes profondes de sa collectionnite aiguë : lui-même n’a aucun rêve dans la vie. Commence alors pour ce duo improbable un périple à la recherche de leurs souhaits respectifs. Ce qu’ils vont découvrir modifiera leur rapport au monde et aux autres et sera source d’émotions et de sentiments inconnus jusqu’alors.
Ce récit simple, mais d’une grande subtilité a tous les attributs d’un conte moderne et déjà classique. Comme dans les contes plus anciens, un narrateur guide le jeune lecteur dans sa réflexion à partir du parcours initiatique de jeunes héros. Le dessin semi-réaliste, fin et aérien, de Bertrand Gatignol apporte un surplus d’émotions à ce récit fantastique. Il excelle comme dans « Pistouvi » ou la saga des « Ogres-dieux » à détailler les émotions de ses personnages et à les inscrire dans des décors cohérents : ici les rues de Montmartre et les allées du parc des Buttes Chaumont.
Pour les lecteurs les plus attentifs, Loïc Clément glisse à nouveau ici un clin d’œil, une passerelle entre ses livres : Chaussette et Dagobert croisent Felix et Calliope dans « Le Voleur de souhaits ». À vous, jeunes lecteurs et adultes amoureux de contes initiatiques modernes, de découvrir toutes les subtilités amusées et les élégantes métaphores de Loïc Clément dans des bandes dessinées d’une très grande richesse.Â
Laurent LESSOUS (l@bd)Â
« Le Voleur de souhaits » par Bertrand Gatignol et Loïc Clément
Éditions Delcourt (10,95 €) – ISBN : 978-2-7560-7527-3Â
« Chaussette » par Anne Montel et Loïc Clément
Éditions Delcourt (10,95 €) – ISBN : 978-2-7560-7526-6