Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Vaillante : première petite sÅ“ur de Vaillant…
Lorsque Vaillante paraît en novembre 1946, la presse féminine destinée à l’enfance a déjà vu renaître, dans la même année, Fillette, Lisette et La Semaine de Suzette en mai, Âmes vaillantes (comme suite de Perlin Pinpin) en octobre. Le mois suivant, Bernadette, devenue Marie-France pendant la guerre, va revenir elle aussi sous son patronyme d’origine. Une âpre concurrence aurait pu atteindre la nouvelle publication, si elle n’était heureusement protégée par la réputation de son grand frère Vaillant. À noter que cet article où l’on parle de Cabrero Arnal, Eu. Gire, René Bastard, Jen Trubert, Jacques Souriau, Paul Gillon… a été publié, à l’origine (sans les illustrations), dans Le Collectionneur de bandes dessinées, au n° 98 daté de l’hiver 2003.
En effet, Vaillant, suite du Jeune Patriote paru dès octobre 1944, remporte un succès considérable dans la jeunesse, notamment ouvrière, avec un tirage atteignant les deux cent mille exemplaires en avril 1947. Les deux publications sont soutenues par l’Union des vaillants et vaillantes (U.V.V.), mouvement laïque d’inspiration communiste fondé en juillet 1945 par l’Union des jeunesses républicaines de France (U.J.R.F.), afin de ne pas laisser au scoutisme une situation de monopole dans la jeunesse.
Les moniteurs de l’U.V.V., les militants communistes ou les sympathisants, conseillent l’achat de Vaillant et de Vaillante et les Comités de défense de L’Humanité (C.D.H.) les proposent souvent à la criée ou sur des tables postées dans des emplacements stratégiques (marché, école, mairie, etc.) en même temps que la presse communiste. Toutefois, comme son grand frère, Vaillante n’est pas directement un journal du Parti communiste (1), mais plutôt une sorte de compagne de route comme Heures claires de l’Union des femmes française, journal féminin qui évolue dans la mouvance communiste, à l’instar de L’Écran français pour le cinéma, Miroir sprint pour le sport ou Europe et Les Lettres françaises pour la littérature. (2)
Les bandes de Vaillante ne délivrent d’ailleurs pas directement de messages politiques, mais reflètent plutôt une éthique (en l’occurrence progressiste) plutôt qu’une idéologie (en l’occurrence stalinienne).
Les pays socialistes ne sont quasiment pas évoqués, hormis un timide éloge de la République bulgare dans « La Lettre de Ficelle » du n° 50 : lettre où la rédaction communique avec ses lecteurs.
C’est d’ailleurs essentiellement dans cette « Lettre de Ficelle » (dont la dénomination se réfère à la bande de Crespi évoquée plus loin) que les sympathies progressistes du journal se manifestent.
On y fait régulièrement l’éloge des pionnières de l’organisation des Vaillants et Vaillantes (n° 6 à 8), on y exalte la vie de Jeanne d’Arc comparée à celle de l’héroïne communiste Danielle Casanova (« La Lettre de Ficelle » du n° 16).
Au n° 32, Ficelle embrasse son facteur dont le fils a été tué dans la Résistance, dénonce, la répression envers la Commune de Paris en 1971 « où six cent soixante enfants pris le fusil à la main furent tués par les Versaillais, tandis que Thiers collaborait avec les Prussiens » (sic) (n° 19).
Elle prend aussi la défense de Copernic et de Galilée persécutés par l’Inquisition, alors que les Dominicains croyaient que chaque planète était dirigée par un ange (n° 53) et signale le livre de Mme Beecher-Stowe, « La Case de l’Oncle Tom », tout en rappelant que la Convention avait aboli en France l’esclavage en 1794 (n° 10).
On honore également les républicains espagnols face au franquisme (« La Lettre de Ficelle » n° 26).
On fait l’apologie de Jean Jaurès assassiné le 31 juillet 1914, parce qu’il dénonçait la guerre en préparation (n° 28).
Les contes et nouvelles qui parsèment la publication sont aussi l’occasion de rappeler des valeurs progressistes.
On glorifie la Révolution française dans le conte d’Annette Houzet : « Enfants de la liberté ! » (n° 25), avec prise de la Bastille à l’appui, ainsi que dans le roman « Les Sœurs Fernig » où les filles d’un commandant de la Garde nationale en 1792 s’engagent comme volontaires pour délivrer leur père captif des Autrichiens.
De hauts faits de la Résistance sont évoqués dans le conte « Histoire d’une petite fille de chez nous » par Simone Olivier, commissaire fédérale aux Vaillants et Vaillantes des Côtes-du-Nord. Il y est question d’une fillette qui a sauvé tout un maquis, exploit que l’on retrouve dans « Garçon manqué » (n° 43). On stigmatise la dictature grecque dans « Anita l’enfant grecque de Pagwadi » (n° 51).
Vaillante fait aussi l’éloge de la science et du progrès avec Bernard Palissy scandaleusement emprisonné à la Bastille dans les Ennemis du progrès (n° 10).
L’antiracisme et l’amitié entre les peuples sont magnifiés par ailleurs dans le roman « Thy-Ba fille des moïs » ou les contes « Ourida petite fille algérienne » (n° 33), « Hi-hi-ra-ra la petite Inca » (n° 35), « Rina la petite Canadienne » (n° 3 3) et « Gina enfant de Bohème » (n° 39). Les massacres d’Indiens, perpétrés par les Espagnols, se retrouvent vilipendés dans « Quand les Conquistadores civilisaient l’Amérique » (n° 39), etc.
En revanche, cet engagement du journal ne se retrouve pas dans les bandes dessinées, hormis « Nicole » de Souriau que nous évoquons plus loin. Et, à part Arnal qui avait combattu en Espagne dans les rangs républicains, aucun auteur ne semble se soucier de politique. Eugène Giroud, plus connu sous les pseudonymes d’Eugène Gire et de Eu. Gire, a même travaillé au Téméraire d’inspiration nazie avec une bande comique, sans intention idéologique il est vrai. D’ailleurs, contrairement à une idée répandue, aucune censure communiste ne s’exerçait à l’encontre des dessinateurs « à propos de n’importe quelle histoire publiée par Vaillant ». (3)
Les SÅ“urs Ficelle, Bichette et Pitchounette
Vaillante paraît d’abord dans un format réduit comme supplément mensuel de l’hebdomadaire Vaillant destiné aux garçons.
Le premier numéro, sous-titré Le Magazine des petites filles de France, présente en première page couleurs « Les Sœurs Ficelle veulent friser » : planche comique de six strips en quadrichromie.
L’auteur, Henri Crespi, est un dessinateur humoriste spécialisé dans les gags à histoires courtes. Il a débuté dans Marianne en 1940, puis travaillé à Ici Paris (1945-1948) et Tour à tour (1946). Plus tard, on le retrouvera dans L’Avant-Garde (1947), L’Humanité dimanche (1948-1959) et comme scénariste des nombreuses énigmes de Ludovic : un jeu policier dessiné par Moallic dans Pif gadget à partir de 1969.
Il poursuivra dans Vaillante, à raison de quatre strips en seconde page, les aventures de ces deux sœurs tout en buste et à couettes jusqu’en mai 1947.
En seconde page de ce premier numéro, à côté d’un strip de quatre cases d’une bande comique (« Bichette et Pitchounette » de José Cabrero Arnal qui n’aura pas de suite), « La Lettre de Ficelle » s’adresse à ses jeunes lectrices : « Mais oui, le voilà arrivé ce jour, où enfin, vous ne serez plus obligées de hisser votre tête par-dessus l’épaule de votre frère pour lire Vaillant. Vous avez maintenant un journal à vous, bien à vous. »
La troisième page est un récit de voyage : « L’Étrange capitale du Cachemire » par Gaétan Fouquet du Club des explorateurs.
Les pages centrales (quatre et cinq) présentent « Alice au Pays des merveilles » : une bande d’Eugène Gire d’après le roman de Lewis Carroll.
Le reste du journal est occupé par du rédactionnel : un conte non signé (« Le Pécheur et la sirène »), un autre (« Les Trois Bâtons » par Paul Gévaudan), des jeux et charades, et une chronique : « Enfilons nos aiguilles » où l’on apprend à fabriquer un tablier et des chaussons pour poupée.
Gire au Pays des merveilles
Dès le n° 3, en janvier 1947, la publication va s’agrandir avec « Alice au Pays des merveilles » en pages 1 et 4. Le dessinateur de cette superbe adaptation du livre de Lewis Carroll, Eugène Gire (1906-1979, voir Connaissez-vous Eu. Gire ?), fut, avec Mat, l’un des maîtres de la bande loufoque dans les journaux pour la jeunesse de l’après-guerre et des années 1950.
Sa veine comique est profondément originale tant au niveau du texte que du dessin avec un montage alternant les cercles et les carrés, un lettrage mariant harmonieusement le récitatif et les bulles.
Tout danse et virevolte dans cette version d’Alice en bandes dessinées (probablement la meilleure) où la méchante reine de cœur règne sur un monde plein de bizarreries ayant l’aspect de cartes à jouer.
L’Orient et ses mystères seront aussi, grâce à lui, à l’honneur dans Vaillante avec « Les Mille et Une Nuits » qui succéderont à « Alice au Pays des merveilles » en juillet 1947, avec une superbe composition pleine page d’ouverture du n° 27 représentant Schahriar : le cruel sultan de Bagdad désignant d’un doigt accusateur l’une de ses femmes solidement maintenue par un serviteur. Gire a délaissé le style plus caricatural d’« Alice » pour un dessin plus réaliste, d’une grande précision dans les décors, remarquable par le lettrage et le choix des couleurs. Ces somptueuses « Mille et Une Nuits »passeront en noir et blanc au n° 54 en janvier 1948, et resteront malheureusement inachevées à l’interruption du journal le mois suivant.
Eugène Gire avait débuté comme illustrateur dans L’Épatant (1937-1939) et L’Almanach Vermot (1940). Gravement blessé au début de la guerre, il est renvoyé dans ses foyers. Puis, il aborde la bande dessinée en 1943 dans le récit complet Hardi les gars et travaille pour Le Téméraire avec « Les Aventures de Mic, Patati et Patata ». Après la Libération, il publie plusieurs albums à la Nouvelle Édition : « Londa, Brouille et Pétrouchka » (scénario de Brauner), « La Guerre des Micropoussites », « Télé et Fone, petits messagers » (1945). Il continue à œuvrer dans le récit complet, à la S.A.E.T.L. notamment, avec « Wamba le justicier de la brousse » (1946), « Le Maître des corsaires », « Drame au pays des radjahs », etc.
Mais c’est au journal Vaillant qu’il va donner le meilleur de lui-même avec « R. Hudi junior » (1946) dès le premier numéro (en fait n° 31) et surtout avec l’extraordinaire « Pension Radicelle » : chef-d’œuvre de loufoquerie qui fit les beaux jours de l’hebdomadaire de 1947 à 1968 où l’on retrouve l’influence de l’Américain Bill Holman, virtuose du graphisme frénétique. Parallèlement, Eugène Gire dessinera dans les récits complets Artima avec « Jim Ouragan » dans Red Canyon (1954), adaptera les films de « Zorro » dans la Collection Hurrah ! de Del Duca (1948-1950), collaborera à l’hebdomadaire Bob et Bobette avec « Poste 304 » (1947). On le retrouvera aussi dans la presse adulte avec « Michou et Michounette » dans Le Patriote (1949), « Muzo le renard » dans La Patrie (1950), « Le Gars lent Fierabras » dans Ce Soir (1951-1953), « Le Père O.K. » dans L’Humanité dimanche (1952-1956), etc.
Il a aussi été présent dans les petits formats Brik avec « Cap’tain Vir de Bor » et « Le Messager du Roy Henri » (album Glénat poche, 1977) et Caméra avec « Kam et Rah les terribles » (1955). Tombé gravement malade en 1968, Gire laissera certaines de ses créations, dont « La Pension Radicelle », à son fils Michel-Paul Giroud avant de décéder en 1979.
Bastard : de Sherwood aux dunes orientales
Au n° 5, en février 1947, démarre une bande à caractère historique, « Le Paladin de Sherwood », qui est en fait le récit des aventures de Robin des Bois : ami de Richard Cœur de Lion et défenseur des malheureux serfs contre les méchants seigneurs.
L’auteur, René Bastard (1900-1975), d’abord tailleur de pierre, a commencé à travailler dans la bande dessinée pendant la guerre, à quarante ans passés, pour l’agence Opera Mundi.
On le retrouve, lui aussi, dans le récit complet Hardi les gars de 1943 à 1945, mais c’est surtout sa collaboration au journal Vaillant en 1946 qui va le faire connaître.
Il y anime « Tchapaïev », « Mandrin le justicier », puis « Nasdine Hodja » sur scénarios de René Lécureux jusqu’en 1951.
Parallèlement, toujours dans Vaillant, il signe « Yves le Loup » de 1947 à 1960 écrit par Jean Ollivier.
Dans le quotidien Ce Soir, en 1952, il conçoit « La Légende d’Eulenspiegel » et, l’année suivante, dans L’Humanité : « Chronique du règne de Charles IX » d’après Prosper Mérimée.
En août 1959, il est présent dans le petit format Perceval et à Francs Jeux où il travaille jusqu’en 1967.
Influencé par le « Prince Valiant » d’Harold Foster, René Bastard s’est révélé comme un graphiste de talent, particulièrement dans les splendides compositions d’« Yves le Loup » à cent lieues des planches de ce Paladin de Sherwood sans grande originalité.
Il se rattrapera avec une nouvelle bande : « Arkya fille des dunes » au n° 13, en avril 1947, où le navigateur Mamoun s’oppose à un tyran cruel (textes non signés d’Henri Bourdens).
Situé dans un proche orient imaginaire, « Arkya » ne démérite pas par rapport à « Nasdine Hodja » du même auteur : série qui vient de commencer quatre mois plus tôt dans Vaillant, sur un scénario passionnant de Roger Lécureux.
Arnal avec « Nouche et Nigo »
La bande humoristique « Nouche et Nigo » qui commence au n° 13, en avril 1947, est due à José Cabrero Arnal (1909-1982) et va durer jusqu’à la fin du journal.
Elle met en scène une chatte Nouche et un pingouin Nigo qui passent leur temps à se faire des farces comme l’ours Placid et le renard Muzo du même auteur publiés dans l’hebdomadaire Vaillant depuis mai 1946.
D’origine catalane, Arnal, après un début de carrière en Espagne, s’est réfugié en France à la victoire de Franco et a été déporté par les nazis à Mauthausen.
Dès son retour de captivité, il se fera connaître avec « Placid et Muzo », mais aussi, et surtout, avec « Pif le chien » qu’il commencera dans L’Humanité en mars 1948 (voir Pif le chien : histoire d’une tragédie éditoriale).
Le célèbre canin anthropomorphe fera aussi les beaux jours de Vaillant en grandes pages couleurs à partir de 1952 ; son succès sera tel que cet hebdomadaire deviendra Vaillant : le journal de Pif en 1965, puis Pif gadget en 1969.
Arnal sera aussi le dessinateur de « Roudoudou » (1950), de « Riquiqui » (1951), de « Fifine et Fofon » (1957)…
Tout aussi maîtrisé que « Placid et Muzo », « Nouche et Nigo », sur quatre à six cases alternant cercles et carrés, en quadrichromie, évolue en première page de Vaillante, mettant en joie les jeunes lectrices de l’époque grâce à un art consommé du gag.
En septembre 1947, une nouvelle bande (« Le Reportage photographique de Ficelle ») apparaît dans Vaillante sous forme de cinq cases groupées en bas de page donnant une information didactique illustrée, genre « Saviez-vous que ».
Le dessinateur, César, n’a rien à voir avec Jean Cézard, créateur, entre autres, d’Arthur le fantôme. Il s’agit d’un auteur d’origine espagnole qui se nommait César Garcia (1920-1964) et signait toujours de son nom étiré en longueur, genre salamandre.
Arrivé en France à l’issue de la guerre civile espagnole, il débuta dans le dessin humoristique et la caricature et fut longtemps dessinateur satirique au Canard enchaîné où il réalisa même au début des années 1960 une bande dessinée (« Les Aventures de Malabar ») où le général de Gaulle était croqué en éléphant Babar.
Son style graphique d’une extrême finesse, avec un souci minutieux du détail, rempli d’arabesques et de volutes, fait parfois penser aux miniatures illustrant les manuscrits du Moyen-Âge.
Trubert et la poésie espiègle
En novembre 1947, un nouvel auteur de talent, Jean Trubert (dit Jen Trubert, 1909-1983), entre à Vaillante avec « Les Aventures extraordinaires de Miette »sur deux strips en couleurs et en dernière page. Il s’agit, à chaque fois, d’une histoire complète humoristique nimbée de fantastique.
Artiste talentueux, plein de fantaisie, au graphisme tout en finesse avec de remarquables mises en couleurs, aux scénarios facétieux où perle une poésie espiègle, Jean Trubert, après des études à l’École des arts appliqués et divers travaux dans la publicité, a débuté dans la bande dessinée avec « Verdevase et Bidar » dans Jeudi (1933).
Collaborateur de Junior avec « Les Durdurand » (1937) et « Pépé Dynamite » (1938), il est aussi présent dans Le Petit Illustré avec « Kid Marius » (1934-1935), dans L’As avec « Toto Moko » (1937), dans L’Épatant (nouvelle série), où il illustre de nombreuses couvertures. Pendant la guerre, il publie des albums chez l’éditeur liégeois Gordinne : « Le Marquis de la Panse d’A » (1942), « Capitaine Pipe » (1942), et aux éditions Henri Neveu : « Le Colonel Stick » (1944). À la Libération, on le retrouve chez Artima, où il signe « Riqui Puce » (1945-1946).
C’est donc un auteur confirmé qui croque « Les Aventures extraordinaires de Miette » jusqu’à la fin de Vaillante, en février 1948.
Il enchaînera, au mois d’avril suivant, avec une œuvre remarquable : « Le Chevalier Printemps » dans Baby Journal, puis Cricri Journal (1949).
Très appréciée, cette bande sera reprise dans Bravo ! (1950), Pierrot (1952), Nano et Nanette (1954), Femmes d’aujourd’hui (1960) ; voir « Le Chevalier Printemps » par Jean Trubert et Roger Lécureux….
Trubert travaillera aussi plus tard dans Vaillant avec « Boby Poirier » (1950), dans Tintin avec « Don Quichotte » (1950), Bravo ! avec « Mousse et Boule » (1950), L’Équipe junior avec « Jackie et Jacquot » (1951), Francs Jeux avec « Cric et Crac » (1958).
En 1959, il reprendra « Bécassine » en albums chez Gautier-Languereau en la modernisant, lui ajoutant une bouche indispensable pour les ballons et lui attribuant une personnalité un peu moins conventionnelle.
En novembre, puis décembre 1947, Jacques Souriau (1886-1957) va signer dans Vaillante « Geneviève la petite bergère », puis « Nicole ».
Geneviève n’est autre que l’héroïque jeune fille qui sauva Paris des hordes d’Attila et devint, de ce fait, la patronne de la capitale. Elle est expédiée en deux planches sur deux numéros et laisse la place à « Nicole ».
Il s’agit, cette fois, de la vie de Gilberte Lavaire de Port-sur-Saône, une héroïne de la Résistance. Après avoir échappé à la Milice et à la Gestapo, non sans avoir été torturée, elle participe à la Libération de Paris, mais périra en compagnie du colonel Fabien dans l’explosion du poste de commandement de celui-ci en décembre 1944.
Pratiquant avec talent les jeux d’ombres et de lumières (clair-obscur, contre-jour, pénombre), Souriau (qui signait aussi Jaques) a été un maître du noir et blanc.
Ancien élève de l’École des beaux-arts de Nancy, il a commencé dans les années dix comme illustrateur de livres pour enfants aux éditions Masson.
Dessinateur humoriste et politique dans Le Bonnet rouge (1914), Les Hommes du jour (1919), La Vie parisienne (1920), Fantasio (1920-1924), Le Rire (1924-1933), il épouse en 1938 la scénariste d’origine roumaine Sylva et commence à signer de courtes bandes animalières dans Pierrot : « Les Crinières grises » (1938), « Boulou et Tino » (1941) et « Rémy Broussard » (1941-1942).
Mais il se fait surtout connaître dans le neuvième art après la guerre avec « Flèchauvent reporter » (1946-1947) et « Alain Météor » (1951-1952) dans l’hebdomadaire Tarzan, journal où il signe aussi l’excellent « Robin des Bois » (1947-1948) qui sera continué dans Hurrah ! 2e série (1953-1959), extraordinaire saga traitée de façon épique, mais avec suffisamment d’humour et de clins d’œil pour autoriser une lecture au second degré ; voir Le Tarzan d’après-guerre (1ère et 2ème série) : première partie, Le Tarzan d’après-guerre (1ère et 2ème série) : deuxième partie, Le Tarzan d’après-guerre (1ère et 2ème série) : troisième et dernière partie, Le Hurrah ! d’après-guerre… (première partie), et Le Hurrah ! d’après-guerre… (deuxième partie).
Gillon et l’aventure exotique
Alors que le journal approche de sa fin, un nouvel auteur entre à Vaillante en février 1948, Paul Gillon (voir En hommage à Paul Gillon), avec deux aventures exotiques : « Un séjour aux Indes » et « La Caravane du soleil » (scénario non signé de Roger Lécureux).
Il collabore à Vaillant depuis mai 1947 avec « Lynx Blanc » et signera dans ce même journal le captivant « Fils de Chine » (1950-1953), puis « Cormoran » (1954-1968). Il fera aussi carrière dans la grande presse avec « 13, rue de l’Espoir » dans France-Soir (1959-1972) et élaborera en compagnie de Jean-Claude Forest « Les Naufragés du temps » à partir de 1964 : voir « Les Naufragés du temps ».
C’est un des créateurs les plus doués de la bande dessinée française qui livre ici ses premières planches avec deux bandes (absentes de beaucoup de bibliographies), sans bulles et encombrées d’un lourd récitatif pour la première, mais avec une mise en page remarquable pour la seconde où les jeunes lectrices de l’époque se retrouvaient, dès la première lecture, en plein cœur des décors exotiques de cette caravane du soleil qui s’annonçait passionnante.
Mixi Bérel et les premières pages en couleurs
Coté illustrations, Vaillante a fait appel à des dessinateurs talentueux pour ses premières pages couleurs parmi lesquels : Mixi Bérel (n° 45, 47, 50, 51, 54, 55, 58), Souriau (n° 28), Trubert (n° 30, 31, 49), César (n° 32) et, pour quelques brèves histoires à l’intérieur du journal, Flip et Crespi.
Mixi Bérel (qui signe parfois Mixi) a pratiqué le dessin humoristique dans Marius (1938), Le Canari (1946), L’Almanach Vermot (1948)… et l’illustration de contes dans Fillette (1947). En bandes dessinées, il signe « Olympe Piq, athlète complet » dans Pierrot (1949), « Le Retour de Philéas-Hogg » dans Grandir (1949), « Rolph et Zavatta » s’évadent en récit complet C’est un album Vaillant (1949) et réalise certains numéros de la série en bandes verticales « Le Crime ne paie pas » dans France-Soir (1953).
Il collabore aussi aux éditions Artima dans le récit complet Sylvie avec « Allo, le Sylvie Club ? » (1954). Il a concocté pour Vaillante de splendides pages couleurs, particulièrement aux numéros 45 (« L’Orgue de barbarie ») 47 (« La Prison des tourterelles »), 50 (« Bonne Année 1948 »), 51 (« La Légende du givre »), 54 (« Le Puits gelé »), 55 (« Les Étoiles ») et 58 (« La Reine des poissons »).
Flip est un dessinateur humoristique qui s’est fait connaître dans Candide (1942) et Ric et Rac (1942-1944). C’est lui qui maquette le premier numéro de Coq hardi en 1944, après avoir rencontré Marijac à Clermont-Ferrand. En bandes dessinées, sa participation se limite à des histoires complètes le plus souvent muettes, sur un strip, dans Vaillante (1947-1948), Francs Jeux (1953-1979), puis Virgule (1979) avec « Ce brave monsieur Croco ».
Vaillant, illustré des filles et des garçons
Hélas, au n° 58 du 26 février 1948, après quinze mois d’existence, Vaillante s’arrête sans qu’aucune explication soit donnée dans « Le Journal de Ficelle » qui s’adresse aux jeunes lectrices. Mais, encartée, une petite feuille publicitaire reproduit au recto une page de Vaillant en noir et blanc et au verso un texte proposant de le lire en tant qu’« illustré des filles et des garçons ». Il semble donc que la décision d’interrompre la publication ait été faite dans la précipitation, alors que le journal était déjà sous presse.
En effet, le tirage qui atteignait cent quarante-huit mille exemplaires par semaine au début est tombé à quarante mille en mai 1947, puis à trente-cinq mille le mois suivant.
Il est vrai, qu’en cette année 1948, les familles essentiellement populaires qui achetaient ces publications ne pouvaient peut-être pas débourser aisément huit francs pour Vaillante plus dix francs pour Vaillant.
Curieusement, treize mois plus tard, les éditions Vaillant récidiveront avec Dimanche Fillettes dans le format, cette fois, du grand frère Vaillant. Mais, là encore, l’expérience sera de courte durée. (4)
Quoiqu’il en soit, Vaillante reste une agréable publication où de grands noms de la bande dessinée d’expression française ont œuvré.
Ne serait-ce que pour le petit chef d’œuvre « Alice aux Pays des merveilles » du talentueux Eugène Gire, elle mérite, plus de soixante-dix ans après sa disparition, d’être redécouverte.
Michel DENNI
Mise en pages et mise à jour du texte : Gilles Ratier
(1) La jeunesse communiste avait son propre organe officiel : L’Avant-Garde.
(2) Précisons au passage que le patronyme Vaillant d’où dérive Vaillante n’avait rien à voir, comme beaucoup l’on crut, avec le titre du journal catholique Cœurs vaillants afin de mieux le concurrencer. C’était en fait, sur proposition de Ginette Cros directrice de la publication, un hommage au poète et écrivain communiste Vaillant-Couturier (1892-1937).
(3) Voir à ce propos l’interview de Paul Gillon par Henri Filippini, in Schtroumpf — Les Cahiers de la bande dessinée n° 36, 2è trimestre 1978.
(4) Pour être vraiment exhaustif, signalons une troisième tentative d’édition d’un journal féminin avec Pif spécial filles d’octobre 1983 à novembre 1984, suivie d’une quatrième : Fille magazine, de mai à décembre 1985.
Merci à Françoise Bosquet, à Jean-Luc Müller, et surtout à Mariano Alda qui, en souvenir de notre ami Richard Medioni, nous ont dépannés en réalisant les scans de quelques images qui nous manquaient pour illustrer dignement cet article.