« Pays de neige » par Sakuko Utsugi, d’après Yasunari Kawabata

Ce roman de Yasunari Kawabata, paru en français chez Albin Michel en 1960 (1), est maintenant adapté en manga aux éditions Philippe Picquier. Ode à l’amour impossible, cette fiction est ici transposée graphiquement point par point. L’action suit la trame originale du récit et y ajoute une dimension visuelle dans un style shojo manga très contemporain, à même de séduire un nouveau lectorat.

Yasunari Kawabata est le premier écrivain asiatique à avoir eu le prix Nobel de littérature en 1968. C’était déjà un écrivain majeur au Japon où « Pays de Neige », son premier roman, fut publié en 1935. Cette histoire connut plusieurs moutures jusqu’à sa version finale en 1947. C’est ce texte, pleinement satisfaisant pour l’auteur, qui est ici adapté. Shimamura, un rentier, est venu se divertir dans une petite bourgade du nord de Tokyo. Là, il a fait la connaissance d’une jeune apprentie geisha. Le courant passe immédiatement entre eux. Le jeune homme ne voulant pas gâcher la magie de la discussion présente, demande à son invité de lui trouver une vraie geisha avenante. Mais celle-ci n’était qu’un rustre aux yeux du jeune homme, il ne pouvait oublier Komako et, depuis ce jour, il vient régulièrement visiter cette station thermale pour profiter de la compagnie et des charmes de la jeune fille qui est aujourd’hui devenue une geisha accomplie.

Les amateurs du Japon le savent déjà, mais il est toujours bon de le rappeler, les geishas ne sont pas des prostituées. Ce sont des femmes d’art et de lettre qui mettent leur savoir à la disposition de clients pour les divertir lors de soirées, notamment en jouant du shamisen : cet instrument à cordes typiquement japonais. Bien sûr, elles acceptent quelques extras si le client veut continuer la nuit avec elle. Cela fait partie de leurs services, mais ce n’est pas une obligation. Ce propos est d’ailleurs bien montré dans ce livre : la seconde geisha n’ayant pas l’humour et la répartie de Komako, Shimamura s’empresse de la renvoyer chez elle.

Cette histoire se déroule dans les montagnes du nord du Japon. Le nom de la petite ville n’est jamais cité. La neige enveloppante est ici plus qu’un décor. Elle oblige les protagonistes à se blottir les uns contre autre pour se réchauffer : sa blancheur immaculée symbolisant leur pureté en passe d’être perdue. La difficulté, lorsque l’on adapte un roman, c’est de ne pas trahir les paroles de l’auteur et surtout de ne pas trahir l’imagination du lecteur qui met lui-même en image les mots couchés sur le papier. Ici, le contrat est rempli dans les deux cas : chaque texte est un extrait de l’oeuvre de Kawabata. Les images, elles, sont forcément une interprétation personnelle de l’illustratrice. Sakuko Itsugi, auteur de manga sentimentaux, voir érotiques (2), pour jeunes filles, connaît le sujet. Son style, shojo, classique, est parfaitement adapté au thème de l’histoire. Le trait est net et n’abuse pas des effets floraux ou des cases éclatées que l’on peut retrouver dans certains mangas féminins parfois exubérants : on reste dans un schéma classique de succession de cases bien délimitée.

Les éditions Philippe Picquier sont bien connues des amateurs de littérature asiatique. Cela fait 30 ans qu’elles publient sans relâche des auteurs chinois, coréens, japonais, etc. Si elle a également publié certains auteurs français (3) qui s’exprimaient par l’image sur l’Asie, ou des recueils d’histoire pour enfants illustrés, il est rare de voir un vrai manga (4) sortir de cette vénérable maison d’édition. Bien sûr, « Pays de Neige » est plus qu’un simple manga : c’est une adaptation du roman fondateur du mythe Kawabata. Reprenant les codes habituels de la littérature, ce titre n’a pas une jaquette enveloppante comme la plupart des mangas : un simple rabat est là pour rigidifier la couverture. Le livre est d’un format assez grand, 15 x 22 cm, et la pagination est classique : de 192 pages. Quant à la traduction, elle a été réalisée par un habitué du genre : Patrick Honnoré. Celui-ci travaille aussi bien pour les éditions Picquier, en traduisant des romans, que pour Casterman (« le Gourmet solitaire » de Jiro Taniguchi) ou Komikku (« La Photographe »), mais aussi pour Cornélius, Bayard, Hachette, Delcourt, Pika… Il a à son actif plus d’une centaine d’ouvrages traduits. Véritable connaisseur de la langue, mais aussi de la culture japonaise, il sait adapter en bon français les nuances du japonais moderne.

En devenant un manga, le texte de Kawabata prend une dimension artistique supplémentaire. Le lecteur devient également spectateur de cette fable amoureuse ou se rencontre des hommes et des femmes dans ce paysage enneigé. Une expérience nouvelle qui préserve l’essence et la portée du texte tout en y ajoutant une dimension supplémentaire à même de conquérir un public plus jeune sans se couper du lectorat traditionnel.

Gwenaël JACQUET

« Pays de neige » par Sakuko Utsugi d’après Kawabata
Éditions Philippe Picquier (14,50€) – ISBN :978-2-8097-1222-3

Édition de 1982 du roman de Kawabata.

(1) « Pays de neige » fut traduit par Fujimori Bunkichi et adapté Armel Guerne pour l’édition de 1960 chez Albin Michel.
(2) Dans sa collection d’histoires complètes érotiques Lolita, l’éditeur Asuka avait déjà publié en 2006  « Déclic sensuel » de Sakuko Utsugi :un recueil de 5 histoires amoureuses.
(3) On peut notamment citer Florent Chavouet : un illustrateur français, passionné de Japon, qui a publié ses carnets de croquis dans « Tokyo Sanpo » et « Manabé Shima ». Il est également l’auteur de « Petites Coupures à Shioguni » : un polar ayant remporté le prix SNCF à Angoulême 2016 et également publié chez Philippe Picquier.
(4) L’éditeur publié également le docu-mangas de Jean-Paul Nishi : « À nous deux, Paris ! », « Paris, le retour ! » et « Paris, toujours ! », des chroniques sociales d’un voyageur japonais à Paris.

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Une réponse à « Pays de neige » par Sakuko Utsugi, d’après Yasunari Kawabata

  1. PATYDOC dit :

    La traduction du roman original par Fujimori (qui fut mon prof) est assez moyenne ; c’est bien d’acheter ce manga , pour découvrir la traduction d’Honnoré- qui est un super traducteur, effectivement.

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