Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Irena T1 : Le Ghetto » par David Evrard, Jean-David Morvan et Séverine Tréfouël
La Pologne a été l’un des pays les plus sauvagement touchés par les atrocités de la Seconde Guerre mondiale. Si 95 % de sa population juive a disparu lors du génocide programmé par le pouvoir nazi, des hommes et des femmes ont œuvré dans l’ombre, humblement, au péril de leur vie, pour sauver hommes, femmes et enfants qu’ils ne connaissaient pas. Irena Sendlerowa est l’une de ces personnes. Sa vie nous est retracée dans une bande dessinée, historiquement juste et terriblement émouvante.
La Seconde Guerre mondiale débute en septembre 1939 avec l’invasion de la Pologne par les troupes allemandes. Le pays est très vite soumis aux lois de plus en plus répressives de l’occupant nazi. Dès octobre 1939, le sadique Hans Franck est à la tête du Gouvernement général de Pologne. Son objectif est clair : faire de ce territoire, une province entièrement allemande du grand Reich, en éliminant l’importante population juive qui y réside et en évacuant à terme tous les Polonais vers des pays plus à l’est.
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- C’est dans ce contexte de grande violence — la Pologne est alors une zone de non-droit — que commence le récit. À Varsovie, en mars 1941, toute la population juive est parquée dans un quartier fermé par des murs et surveillée par des compagnies de SS. Plus de 400 000 personnes vivent dans ce ghetto dans des conditions de vie inhumaines.
La densité de population y est indécente : sept personnes par pièce, en 1941. Les résidents qui ont perdu tous leurs biens en venant y habiter sont peu approvisionnés en nourriture et en combustible. On y meurt donc en grand nombre, de faim, de froid et de maladies infectieuses comme le typhus ou la tuberculose.
Le ghetto est un enfer fermé : il est pratiquement impossible d’y entrer ou d’en sortir. Seules les personnes du service d’aide sociale de la mairie de Varsovie viennent régulièrement apporter pour les plus pauvres de la nourriture ainsi que quelques vêtements et médicaments. Tous les jours, la courageuse et patiente Irena Sendlerowa défie du regard les sentinelles SS, avant de passer un peu de temps avec ceux qui souffrent. Les enfants l’adorent, car elle n’hésite pas à faire toujours plus que ce qu’autorise l’occupant ; elle apporte un peu de rêve et d’humanité pour une population perçue comme des « sous-rats » par les autorités nazies. Irena est pourtant indécise le jour où une mère squelettique de 24 ans qui se meurt du typhus lui confie la vie de son fils.
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Elle revient le lendemain pour lui dire qu’elle ne peut pas accepter, mais une voisine lui apprend que la malade est décédée. S’en suit une prise de conscience aiguë pour la Polonaise qui décide, alors, au péril de sa vie, mais aussi de celle de ses proches, de faire sortir clandestinement les orphelins du ghetto et de les sauver ainsi d’une mort certaine. Son groupe de résistants prépare de faux papiers pour placer les enfants dans les orphelinats ou des familles d’accueil jusqu’à la fin de la guerre.
Jean-David Morvan et Séverine Tréfouël se sont inspirés de la vie et du combat humaniste d’Irena Sendlerowa pour écrire le scénario de cette trilogie biographique. Si l’histoire officielle a longtemps ignoré son action durant la Seconde Guerre mondiale, il s’avère que la vraie Irena a sauvé la vie de près de 2 500 enfants du ghetto avant d’être arrêtée, puis torturée, par la Gestapo. Elle sortira de la prison de Pawiak les bras et les jambes brisées, mais sans avoir donné les noms des autres personnes de son réseau.
Les volumes suivants intitulés « Les Justes » — puis « Varso-vie » — s’attarderont sur l’action d’Irena à la fin de la guerre puis après 1945.
En 1965, elle est reconnue Juste parmi les nations par Yad Vashem. Elle meurt en 2008, à 98 ans, alors que son nom avait été évoqué cette même année pour le prix Nobel de la paix.
Le dessin tout en rondeur de David Evrard permet aux plus jeunes, dès 10 ans, de s’attacher au parcours de cette femme d’exception. Beaucoup d’émotions transparaît dans des moments forts, parfois d’une grande violence, grâce à un trait sensible, tout en retenu et douceur et aux couleurs pastel de Walter. Dans « L’Enfant cachée », Marc Lizano avec un graphisme similaire, d’une grande bonhomie, traitait d’un sujet proche : une enfant qui échappait au génocide, sur un scénario du toujours inventif Loïc Dauvillier. Nous vous avions écrit tout le bien que nous pensions de cette bande dessinée jeunesse dans cet article.
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Quel que soit votre âge, nous vous encourageons à lire le premier volume de cette trilogie, œuvre poignante qui témoigne d’un remarquable travail de mémoire. Or, comme le disait Churchill : « Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre » ; une phrase à méditer en ces temps de montée des extrêmes et de banalisation de discours de brutalité et d’exclusion.
Un peu plus de légèreté la semaine prochaine, avec les jolies enquêtrices d’un vaisseau spatial pris dans une spirale temporelle…
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Irena T1 : Le Ghetto » par David Evrard, Jean-David Morvan et Séverine Tréfouël
Éditions Glénat (14,95 €) – ISBN : 978-2-344-01363-2