« Lao Wai T1 : La Guerre de l’opium » par Xavier Besse, Laurent-Frédéric Bollée et Alcante

À partir de 1856, les armées britanniques et françaises coopérèrent contre la Chine dans la deuxième Guerre de l’opium, afin de contrôler un trafic pourtant jugé illégal et d’étendre leurs propres relations commerciales. C’est dans ce cadre historique et aventureux que Alcante (« Rani », « Ars Magna »), L.-F. Bollée (« Contrecoups », « Un long destin de sang ») et Xavier Besse (« Insane ») entraînent leurs héros, François Montagne et Jacques Jardin, soldats et amis de longue date. Après une préparation draconienne, ils embarquent pour l’Empire du milieu, à destination de la concession française de Shanghai ; les deux étrangers y découvriront l’envers du conflit et de ses enjeux…

Rue chinoise : recherche d'ambiances par X. Besse

Documentation et planche 1 (Glénat 2017)

Formidable vecteur de connaissances, la bande dessinée permet d’élargir ses horizons : avant d’ouvrir cet album, il est ainsi peu probable que la majorité des lecteurs en sache beaucoup sur le contexte des deux Guerres de l’opium (1839 à 1860), toutes deux perdues par la Chine. Cette lourde défaite obligera le pays à signer des traités inégaux avec les grandes puissances occidentales et à léguer le port de Hong-Kong à la Grande-Bretagne. Avouons le, l’iconographie associée à la Chine rassemblera souvent au mieux un kaléidoscope historique allant des samouraïs au dernier empereur, des « 55 jours de Pékin » (le film de Nicholas Ray (1963) narre l’épilogue de la révolte des Boxers en 1901), au massacre de Nankin (1937) en passant par « Le Lotus Bleu » (1936), la mythologie du dragon, « Mulan » (1998), la Cité interdite ou l’inévitable grande muraille ! En bande dessinée, outre Hergé, la Chine aura fourni son histoire et ses décors à des récits tels « Les Innommables », « Tigresse blanche » (Yann et Conrad, 1983 et 2005), « Le Moine fou » (Vink, 1984), « Juge Bao » (Marty et Nie, 2010) ou « La Balade de Yaya » (Omont et Zhao, 2011). Signalons également l’évocation du contexte qui nous occupe dans le one-shot « Opium », réalisé par Laure Garancher en 2014 (éditions Fei), ainsi que dans les séries « Shi Xiu, reine des pirates » (Meylaender et Wu, éd. Fei 2011) et « Les Reines de sang – Tseu Hi : La Dame Dragon » (Nihoul et Mantovani, Glénat 2015). Lui-même marqué par un voyage effectué sur le sol chinois en 2011, Alcante s’est solidement documenté précisément pour éviter tout cliché et avec une seule envie : raconter, à la manière du modèle « Les Maîtres de l’orge » (Van Hamme et Vallès, Glénat 1992 à 1999), l’histoire de la Chine à travers le prisme d’une famille française. Pour ce premier cycle centré autour de la guerre de l’opium, quatre albums sont d’ors et déjà prévus (le scénario du tome 2 étant écrit en totalité). En cas de succès, les cycles suivants raconteront – de manière chronologique -, la révolte des Boxers, l’avènement de la République (1912), l’impérialisme japonais et la Seconde Guerre mondiale.

Recherche d'ambiances

Crayonnés pour le personnage principal et divers militaires

La sinistre réalité d'une fumerie d'opium (pl.45) : une guerre pour un motif fumeux ?

Dans l’univers chinois des XVIIe et XVIIIe siècles, traditionnellement méfiant et refermé sur lui-même, la balance économique bascule après 1730 en faveur des Britanniques, lesquels échangent thés, soieries et porcelaines contre un juteux trafic d’opium en provenance d’Inde. Parce qu’il provoque des ravages dans la population, les Empereurs successifs prennent des mesures restrictives dès les années 1730 et 1800. En 1839, la saisie et la destruction de 1188 tonnes de drogues déclenchent le premier conflit ouvert entre les autorités chinoises et le Royaume-Uni. Vaincue en 1842, la Chine doit s’ouvrir aux commerces étrangers : Shanghai devient une concession française en 1849 tandis que le commerce de l’opium, non légal mais toléré, continue de se développer. De 40 000 caisses en 1838, l’importation passera à 80 000 en 1863. En 1854, de multiples révisions des traités signés en 1842 sont exigées par les ministres américains et européens, dont la légalisation du commerce de l’opium. Face au refus de la cour impériale (dynastie Qing), une seconde guerre est déclenchée. La France rejoint la Grande-Bretagne après l’exécution du missionnaire Auguste Chapdelaine – au statut équivalant à celui d’un ambassadeur – par les autorités locales chinoises en février 1856 (incident dit du père Chapdelaine), dans la province du Guangxi (cet épisode est illustré dans les premières planches de « Lao Wai »). La France enverra en Chine un corps de 6 700 hommes, qui ira – avec les Britanniques – jusque à prendre Pékin et piller le Palais d’Été en octobre 1860. Une destruction culturelle qui indignera plusieurs témoins occidentaux, dont Victor Hugo… Mais les impératifs économiques et stratégiques prévaudront !

Tortures subies par le R. P. Chapedelaine, missionnaire en Chine, martyrisé dans la province de Quang-si (Le Monde illustré n°46, p. 134, le 20 février 1858).

Du travail sur la planche...

Détail de l'encrage pour la planche 7 et planche finalisée (Glénat 2017)

Premiers concepts de couvertures

Comme le suggère le titre « Lao Wai » (« étranger », selon le terme issu du mandarin, volontiers ironique), les soldats français engagés dans la guerre de l’opium sont essentiellement motivés par la prime, les parfums d’exotisme et l’appel de l’aventure liées à cette campagne asiatique. Jouant des rapprochements et divisions entre deux mondes, les scénaristes profitent ici des propres connaissances du dessinateur et storyboardeur Xavier Besse, lequel s’est approprié depuis plusieurs années les codes de l’iconographie et de la peinture asiatique. En immersion, Besse aura notamment travaillé au Musée Guimet (musée national des arts asiatiques), publié un livre sur la céramique chinoise et effectué plusieurs voyages en République populaire. Pour être complet sur l’aspect documentaire de notre sujet, précisons enfin que cette seconde Guerre de l’opium fut l’une des premières à être suivie et documentée par des dessinateurs et photographes, parmi lesquels Felice Beato ou John Papillon chez les Britanniques et Antoine Fauchery chez les Français.

Destruction de jonques chinoises dans la baie d'Anson (Australie) - Peinture d'Edward Duncan (1843)

Étapes de réalisation pour la couverture

En couverture de ce premier tome de « Lao Wai », auront initialement été privilégiés les détails archétypiques reliés au scénario : décor maritime exotique (dont une emblématique jonque servant au transport), costume et armement militaires propre à la seconde moitié du XIXe siècle, sinogramme et teintes rouges sang/noires augurant du conflit en cours, explosion à l’appui. La composition générale du visuel sera une nouvelle fois à raccorder à la vision hollywoodienne de l’Histoire ou aux films de genres des années 1930-1960, aux affiches identiques (voir « Les 55 jours de Pékin », mais aussi « La Canonnière du Yang-Tse » (Robert Wise, 1966)). Selon Xavier Besse : « Pour cette histoire exotique, il fallait trouver une idée qui permette de décrire rapidement le contexte géographique et historique tout en présentant les caractéristiques du héros. Et surtout il fallait inviter au voyage. Donc primo, la Chine, et secondo un soldat français du Second Empire. Après avoir brièvement cherché du côté des paysages chinois, on a rapidement opté pour le combat maritime, car les jonques sont des icônes typiques du pays ; cela était plus en lien avec le contenu de l’album et les prémices de la Guerre de l’Opium puisque ce trafic débutait par des échanges sur mer. Pour les roughs, on a réemployé des extraits de l’album (scènes de combat), mais on a abandonné cette idée car les combats ne donnaient pas une image ayant suffisamment d’impact. De plus, ce n’était pas assez typique de la Chine. Les caractères d’écriture sont alors devenus une évidence pour symboliser cette notion. La première idée était de les utiliser comme des fenêtres pour faire apparaître un paysage au travers mais ce n’était pas très lisible. En deux ou trois passes nous avons finalement trouvé la solution permettant de faire un compromis à la fois impactant graphiquement et impliquant au niveau du contexte historique et géographique ». Un monde de tensions, prompt aux actes d’héroïsme ou de traîtrise, mais dont le romantisme aventureux se pare d’une noirceur belliqueuse et sanglante. Laquelle engendrera à son tour les grands drames du siècle suivant…

Philippe TOMBLAINE

« Laowai T1 : La Guerre de l’opium » par Xavier Besse, Laurent-Frédéric Bollée et Alcante
Éditions Glénat (13,90 €) – ISBN : 978-2-344005040

Galerie

Une réponse à « Lao Wai T1 : La Guerre de l’opium » par Xavier Besse, Laurent-Frédéric Bollée et Alcante

  1. GROSSE FABRICE dit :

    Très riche article au sujet de cette bande dessinée que j’ai beaucoup appréciée !

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