Angelo Di Marco : disparition du roi des reporters-dessinateurs !

Souffrant depuis de longues années de la maladie de Parkinson, Angelo Di Marco s’est éteint à 89 ans, peu avant Noël (le 21 décembre 2016), à la maison de santé de Levallois-Perret (ville où il résidait depuis de longues années) où il était soigné depuis deux ans.

Dessin original d'Angelo Di Marco pour la presse, datant du début des années cinquante.

Né le 10 juillet 1927, à Paris (dans le XIVe arrondissement), ce fils d’immigrés italiens se passionne très tôt pour le dessin qu’il pratique en parfait autodidacte.

En 1945, sous les pseudonymes d’Adi ou d’Angello, il publie ses premiers dessins — humoristiques — dans divers journaux comme La France au combat, Paysage dimanche, L’As de pique ou France-Paysages, mais aussi, un peu plus tard, dans Le Canari, Ploum ploum, Ciné miroir, Les Cahiers de l’Équipe, La Presse magazine, Le Hérisson et Marius où il va commencer à réaliser quelques illustrations réalistes.

 Plus tard, en 1948, il entre à l’agence Opera Mundi pour assister Jacques Blondeau sur ses adaptations de « Maigret » ou des « Trois Mousquetaires » (voir 80 bougies pour Le Journal de Mickey [première partie] et 80 bougies pour Le Journal de Mickey [deuxième partie]) ou pour lettrer des traductions de séries américaines comme « Rip Kirby » ou « Jim la jungle ».

« Capitaine Ardant » dans Bravo !.

Ensuite, il collabore à l’agence Paris-Graphic, dirigée par Paul Debain (associé de Marijac pour les éditions Selpa qui éditaient Coq hardi ; voir Coq hardi : vie et mort d’un journal [première partie] et Coq hardi : vie et mort d’un journal [deuxième partie]), où il réalise le strip quotidien « Le Mystère de la tête couronnée », sur un texte de Georges Cheylard : soixante-seize bandes publiées dans le quotidien Ce Soir en 1950.

Puis, ce sera « Capitaine Ardant », d’après le roman de Pierre Nord, proposé chaque semaine sur une pleine page en couleurs dans l’hebdomadaire belge Bravo !, entre 1950 et 1951.

Cette bande dessinée est reprise dans Le Parisien libéré, en 1951, dans une version de plus de cent strips en noir et blanc, avec textes sous vignettes ; c’est cette dernière qui sera compilée, beaucoup plus tard (en 1977), en un album broché publié par les éditions Prifo.

Toujours pour l’agence Paris Graphic et Le Parisien, Di Marco publie également « Chasse couplée au Caire » (cent quinze bandes, entre 1953 et 1954) et « Terre d’angoisse » (soixante-dix-neuf bandes, en 1955) : deux autres adaptations des romans de Pierre Nord.

Notre dessinateur réalisera bien d’autres travaux pour la presse quotidienne de l’époque : images pour la série didactique « Parachutistes de France » dans L’Équipe junior (1951-1952), adaptation du fameux western « Catamount » créé par le romancier Albert Bonneau (presque trois cents bandes publiées dans Le Parisien, sous copyright Opera Mundi, ente 1957 et 1959) ou de « Sir Nigel » d’après Sir Arthur Conan Doyle (deux cent quarante bandes avec textes sous vignette dans Paris-Jour ou dans La Tribune de Genève, sous copyright Mondial-Presse, de 1958 à 1959) et illustrations de nombreuses et longues bandes verticales entre 1959 et 1966 dans Paris-Jour, Le Maine libre, Les Dernières Nouvelles d’Alsace, Sud Ouest, L’Espoir de Nice, sous copyright Mondial-Presse ou Intermonde Presse : « La Vie romancée d’Alexandre Dumas » en 1959, « Le Roi de Paris » en 1960 et 1961, « Agénor de Mauléon », « Le Chevalier d’Éon », « Landru », « Philippe Auguste », « Accusé levez-vous ! », etc.

On le retrouve aussi aux éditions Vaillant pour quelques récits complets écrits par Jean Ollivier, Roger Lécureux ou Pierre Castex dans le pocket 34 caméra (entre 1951 et 1955) ou pour de nombreuses illustrations dans Vaillant, entre 1953 et 1955, ainsi qu’aux journaux de la Sagedition (cent vingt-neuf strips avec textes sous vignettes de l’adaptation du « Capitaine Phamphile » d’Alexandre Dumas dans Héroïc, entre 1953 et 1954, et diverses illustrations dans Le Petit Shérif, en 1953) ou encore à Jean-Pierre(illustrations entre 1954 et 1955).

Dessin original au lavis pour La Vie parisienne, vers 1955.

Illustration pour Radar.

C’est aussi au milieu des années cinquante que Di Marco aborde le dessin de presse réalisé au lavis, d’abord dans les pages de La Vie parisienne (revue mensuelle de la maison Ventillard qui éditait aussi Le Hérisson et Marius), puis très vite pour l’hebdomadaire Radar, dirigé par André Beyler, où collabore son maître en la matière : Rino Ferrari.

Dès 1957, après qu’il ait signé la bande dessinée sentimentale « Amande fille de Paris » (cent quarante pages réalisées elles aussi au lavis et publiées entre 1955 et 1957), ses dessins — qui illustraient jusqu’à lors, en pages intérieures, la rubrique « Inouï » entre octobre 1956 et septembre 1957 — figurent à la Une de Radar : magazine dont il devient le dessinateur-reporter vedette. Les visages expressifs de ses personnages saisis par la terreur, l’angoisse, la haine, le plaisir… évoluant dans des décors soignés, transforment le moindre fait divers en une véritable tragédie : « Fin 1958, après une interruption de publication, j’ai fait la Une du nouveau Radar, au format plus modeste que le précédent, jusqu’à son arrêt définitif en mai 1960. » (1)

 Jusqu’aux années 2000, la grande presse populaire va faire appel à ce maître du fait divers. C’est notamment le cas de l’hebdomadaire Détective dont ses dessins ornaient régulièrement la première page — il quittera Le Nouveau détective en 1988, vaincu par la photo qui a remplacé peu à peu ses dessins à la Une de l’hebdomadaire des éditions Nuit et Jour —, mais aussi d’Ici Paris, France dimanche, France-Soir, Rêves, Festival (il y illustre les vignettes de « Marie Stuart » dans la série « Reines et rois de cœur », en 1960), Votre Santé, Mode de Paris, Le Figaro magazine, Le Monde, L’Événement du jeudi, Le Journal du dimanche, L’Équipe magazine, Noir et Blanc, Faits divers, Qui police ?, Allo police, Tout le western, Jours de France, Choc, Nostradamus, Confidences, Télé gadget, Télé 7 jours, Télé poche, Télé stars, Télé loisirs, Le Journal de Mickey, Élysée magazine, Gala(2)

On le retrouve également au sommaire de magazines plus inattendus comme Actuel, Hara-Kiri, L’Écho des savanes hebdo, Charlie mensuel, Fluide glacial, Métal hurlant, L’Allumé, Télérama, Marianne, Libération, Technikart… : une belle reconnaissance pour celui qui fut trop souvent considéré comme un collaborateur de la presse caniveau.

Toutefois, ces nombreuses collaborations n’empêchent pas Angelo Di Marco de poursuivre sa carrière de dessinateur de bandes dessinées où, d’ailleurs, il utilise, parfois, la technique du lavis.

Après l’arrêt de Radar, il entame une collaboration fructueuse avec les éditions Mondiales de Cino Del Duca (voir Cino Del Duca : de la presse du cœur à la BD…). Ainsi, il livre de nombreuses illustrations et quelques bandes dessinées scénarisées par René Labois dans Mireille (voir Mireille, un hebdomadaire pour le lectorat juvénile féminin… [troisième partie] et Mireille, un hebdomadaire pour le lectorat juvénile féminin… [quatrième et dernière partie]) : « Jenny fille de Davy Crockett » (deux épisodes de trente planches chacun, publiés entre 1958 et 1960) et « Monica » (le temps de quatre récits complets de dix planches mettant en scène cette hôtesse de l’air, en 1960 et 1961).

Dans L’Intrépide (voir L’Intrépide, un hebdomadaire classique [première partie] et L’Intrépide, un hebdomadaire classique [deuxième partie]), il reprend la série anglaise « Rock l’invincible » en 1961 et 1962 : la fin sera proposée dans Mireille, avec d’autres aventures dessinées par André Chéret.

« Rock l’invincible ».

Après une participation à l’hebdomadaire Télé 7 jours (deux cent quatre-vingt-neuf planches d’« Ivanhoé revient » entre 1960 et 1963, trente-quatre pages d’« Agnès et les hommes-volants » en 1962 et 1963, et nombreuses illustrations de romans ou de diverses rubriques), il collabore à Télé poche : il y illustre plusieurs romans-feuilletons, dessine une reprise de la série italienne « Le Petit Shérif » en sept cent quatre-vingt-quatre pages (1966-1969), puis adapte superbement « Les Trois Mousquetaires » d’Alexandre Dumas sur trois cent cinquante-sept pages.

De 1969 à 1972, il succède à Pierre Le Guen sur seize épisodes de vingt planches chacun de « Nasdine Hodja » écrits par Roger Lécureux (ou, de temps à autre, par Jean Ollivier) dans Pif gadget, compilés en six albums aux éditions Taupinambour, publiés entre 2007 et 2010. Pour cet hebdomadaire, il dessine aussi un récit complet, en 1975, et quelques illustrations, ainsi que pour des numéros hors séries consacrés à « Rahan », « Dr Justice », « Robin des bois » ou « Teddy Ted ».

En 1971, il participe au magazine Cinq Colonnes à la Une, avec la suite inédite, mais interrompue par l’arrêt du journal, du feuilleton « Belle et Sébastien » d’après Cécile Aubry : treize planches de « Sébastien et le balafré ».

« Sébastien et le balafré ».

Di Marco retourne ensuite à Opera Mundi où il reprend « Janique Aimée » : environ trois mille deux cents bandes scénarisées par Juliette Benzoni, d’après le feuilleton télévisé, publiées dans Le Parisien, L’Union ou L’Écho du Centre, entre 1973 et 1983.

Il s’agit de la suite de la série imagée par Walther Fahrer, puis par Juan Carlos Aznar [dont les scénarios étaient alors dus au patron d'Opéra Mundi, Paul Winkler lui-même, lequel signait Paul Vendor] ; voir French Soap [deuxième partie : les créations françaises]).

Au cours des années suivantes, ses collaborations se multiplient, mais sans rencontrer un véritable succès : récits complets dans le Nouveau Tintin(version française, en 1976 et 1977)

Récit complet pour le Nouveau Tintin.

et dans le magazine Skate Board (en 1978), participation aux albums « Le Grand Chelem » et « Les Bleus en Argentine » chez IMS/SOD (en 1978), aux volumes de « L’Encyclopédie en BD » des éditions Philippe Auzou (dix épisodes de trente-deux planches, chacun, proposés entre 1980 et 1982), une adaptation de la série télé « K 2000 » pour Dargaud (une histoire intitulée « La Machine à tuer » et scénarisée par Claude Moliterni, sous le pseudonyme d’Olivier Fontaine) en 1988 – prépublication dans Fripounet —, création d’une série intéractive d’une vingtaine d’épisodes d’environ trois pages écrites par Béatrice d’Anyvent ou Dominique Decoster dans Triolo en 1989 et 1990 (« Arthur et Stéphanie »), une collaboration avec le romancier Paul Couturiau aux éditions belges Claude Lefrancq en 1991 (l’album « Le Yankee »)…

« K 2000 ».

« Le Yankee ».

Déçu par l’édition traditionnelle qui le boude, il aborde la bande dessinée pour adultes en 1989, sous le pseudonyme d’Arcor.

Le mensuel BédéAdult’ publie trois épisodes de quarante-six ou quarante-sept pages de « La Clinique du Docteur Sexe ».

Ils seront repris en trois albums aux éditions CAP, entre 1990 et 1993, lesquels seront réédités en poche chez Média 1000 en 1993.

Puis, ça sera les quarante-quatre pages d’« Éva, naissance d’une star » en 1993 (album CAP en 1995, également réédité en poche la même année chez Média 1000)

Autoportrait d'Angelo Di Marco.

et, enfin, dans SexBulles en 1995, il débute une adaptation libre et chaude du « Pot-Bouille » d’Émile Zola en quarante-huit pages : des scénarios chauds, tous dus à un certain Henri Filippini (même si la plupart ne sont pas signés). Notre dessinateur abandonne alors la BD, limitant ses collaborations aux illustrations destinées à la grande presse.

Cependant, rares seront les magazines ayant publié ses dessins qui consacreront ne serait-ce que quelques lignes à sa disparition. Angelo Di Marco était pourtant l’un de ces auteurs emblématiques des années d’après-guerre ayant marqué plusieurs générations de lecteurs. Son œuvre immense, si riche, demeure, hélas !, peu rééditée. Dessinateur de presse populaire — et il en était fier —, le maître du lavis n’a pas fini de nous faire rêver avec son style reconnaissable entre mille : un trait hyperréaliste, des personnages puissants et dynamiques, un sens aigu de l’action, du tragique…

Henri FILIPPINI et Gilles RATIER

(1) Extrait d’une interview d’Angelo Di Marco par Jean-Paul Tibéri et Évariste Blanchet publiée dans le n° 114 de Hop ! qui contient aussi une bibliographie très précise, établie par Louis Cance, laquelle nous a beaucoup servi pour écrire ce « Coin du patrimoine ». Nous avons également puisé dans l’indispensable encyclopédie sur les strips quotidiens de la presse française d’Alain Beyrand aux éditions Pressibus (« De Lariflette à Janique Aimée : catalogue encyclopédique des bandes horizontales françaises dans la presse adulte de 1946 à 1975 ») pour illustrer dignement nos écrits.

(2) L’album « 20 Ans de faits divers », publié chez Hoëbecke en 1989, reprend certaines de ces illustrations réalisées au lavis pour Radar, Qui police ?, Le Nouveau Détective… Signalons aussi « L’Art du crime » aux éditions Steinkis, en 2015 ; voir Angelo Di Marco : maître du fait divers !.

Galerie

3 réponses à Angelo Di Marco : disparition du roi des reporters-dessinateurs !

  1. STERNIS Philippe dit :

    Un grand Monsieur du dessin…mais aussi un clarinettiste au swing communicatif et un bonhomme d’une immense gentillesse.
    Merci pour ce superbe article.

  2. Ping : Di Marco, l’image indécente – L'image sociale

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