« Le Cheval qui ne voulait plus être une œuvre d’art » par Olivier Supiot

Le Louvre, associé aux éditions Delcourt, donne carte blanche à des auteurs pour la jeunesse, afin qu’ils produisent des ouvrages jouant sur l’imaginaire qui permettent une appropriation plus facile de l’art, des œuvres du musée et de leur magie. Olivier Supiot inaugure cette collection avec une superbe bande dessinée équestre qui s’amuse à sortir les œuvres d’art de leur cadre habituel. Œuvre ludique et intelligente, « Le Cheval qui ne voulait plus être une œuvre d’art » interroge subtilement sur les relations entre l’art et la vie.

Le musée le plus visité au monde ferme tous les mardis. Jour de repos pour les personnels et d’ennui pour les personnages des tableaux. Certains ont pris leur partie d’être figé dans le temps : la Joconde ne fait pas de clin d’œil, la Victoire de Samothrace ne prend pas son envol et la Dentellière de Vermeer ne finira jamais son ouvrage. Mais dans la salle 61, la « Tête de cheval blanc » de Géricault n’en peut plus d’être immobile : elle veut se dégourdir les jambes. Comme elle ne veut plus être une œuvre d’art, elle sort du cadre imposé !

                                            Le cheval qui ne voulait plus être une œuvre d’art page 4

Dotée d’un corps esquissé, la tête de cheval blanc parcourt les galeries du Louvre à la recherche d’une sortie, pour galoper en liberté. À l’art, elle préfère la vie ! Mais on ne sort pas facilement de l’ancienne demeure des rois de France. De salle en salle, notre cheval velléitaire entame des discussions impromptues avec d’autres personnages de tableaux. Des représentations humaines comme ce carabinier qui lui rappelle qu’il est une œuvre de Géricault, comme lui, mais surtout d’autres animaux de toute l’histoire de l’art.

La déesse égyptienne Bastet sous sa forme de chatte essaye de l’aider, elle lui conseille de bien se connaître avant de partir à l’aventure. Un vieux sage, un éléphant d’Asie peint par Jean-Baptiste-Amédée Couderc convient qu’il ne peut aller contre sa volonté et lui confie un guide : un oiseau qui le mènera vers le ciel. Là-haut, il croise des divinités de temps révolus avant de se retrouver dans la cour Lefuel devant un cerbère équestre, le haut-relief aux trois chevaux de Pierre-Louis Rouillard qui lui bloque toute sortie vers l’extérieur, car s’il est d’une certaine façon vivant, il n’est pas un cheval, mais une œuvre d’art : un animal unique, libre, incomparable, qui peut encore interpeller les enfants d’aujourd’hui qui le regardent dans son cadre.

Les éditions du Louvre connaissent le potentiel du 9e art pour toucher un très large public et faire, ainsi, découvrir des aspects méconnus de ce gigantesque musée. Depuis une dizaine d’années, ils développent une collaboration avec les éditions Futuropolis en laissant carte blanche à des bédéistes. À eux d’inventer leur histoire à partir d’un tableau, d’une salle du musée ou de l’ensemble. Pour l’initiateur de cette collaboration, Henri Loyrette, alors président-directeur du Musée du Louvre : « Cette démarche a pour ambition de créer une passerelle durable entre l’univers des musées et celui de la bande dessinée, afin de sensibiliser le lecteur de BD aux collections du musée et de permettre au public habituel du Louvre de découvrir une autre expression de l’art, partie prenante de la création contemporaine vivante. »

                                           Le cheval qui ne voulait plus être une œuvre d’art page 7

Après plusieurs titres mémorables comme « Les Sous-sol du Révolu » de Marc-Antoine Mathieu ou « Période glaciaire » de Nicolas de Crécy, une nouvelle collection a été créée, cette fois en direction de la jeunesse, en association avec les éditions Delcourt.

Fabrice Douar, éditeur au Louvre, présente ainsi sa nouvelle collection : « La bande dessinée représente actuellement un canal privilégié qui continue d’intéresser l’enfant, à l’époque où il a l’embarras du choix. Il serait dommage de ne pas essayer de capter son attention sur notre culture et notre patrimoine par ce biais. De plus, la bande dessinée n’est pas simplement un médium, elle est aussi et surtout un art en soi, qui peut emmener le lecteur vers d’autres formes d’art. »

                                          Le cheval qui ne voulait plus être une œuvre d’art page 26

Le choix d’Olivier Supiot pour lancer la collection a été une évidence pour les deux éditeurs (Fabrice Douar pour le Louvre et Grégoire Seguin pour Delcourt) : ses précédentes BD jeunesse, comme « Pieter et le Lokken » révélaient toutes ses dispositions graphiques (expressivité, emploi de la couleur directe, force du dessin…) et un talent de conteur qui n’exclut pas un humour finement référencé.

                         Le cheval qui ne voulait plus être une œuvre d’art étude chevaux d’Olivier Supiot

Il fait preuve de toutes ces qualités dans ce conte hippique intelligent et fantaisiste. Quelle virtuosité dans le coup de crayon, et le pinceau pour les couleurs, pour donner vie à une trentaine de tableaux et sculptures. Ses dialogues entre œuvres d’art à partir de la cavalcade d’un cheval de Théodore Géricault construisent un récit qui prend sens au fur et à mesure de la prise de conscience par le cheval de son caractère unique et intemporel en tant qu’œuvre d’art. Finalement, c’est une belle et ludique réflexion sur le processus de création, sur l’art et l’identité.

                                                                                       Bastet

Ce dialogue enrichissant entre bande dessinée et d’autres formes artistiques est complété par un utile petit dossier pédagogique avec une biographie de Théodore Géricault, la liste des œuvres utilisées, une page sur le cheval au Louvre et dans l’art ainsi que des croquis de chevaux d’Olivier Supiot, de quoi le rapprocher de l’un de ses maîtres qui voulait capter dans ses tableaux l’âme de l’animal, Géricault bien sûr, mort à 32 ans, des suites d’une chute de cheval !

Laurent LESSOUS (l@bd)

« Le Cheval qui ne voulait plus être une œuvre d’art » par Olivier Supiot

Éditions Delcourt – Louvre Éditions (14,50 €) – ISBN : 978-2-7560-7 932-5

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