« Perceval » par Terkel Risbjerg et Anne-Caroline Pandolfo

Perceval le Gallois incarne l’idéal chevaleresque : il respecte naturellement les codes de son ordre – bravoure, altruisme, humilité — et de l’amour courtois. Ce premier héros de la littérature française est né à la fin du XIIIe siècle sous la plume alerte de Chrétien de Troyes. Librement inspirée de ce roman médiéval inachevé, cette bande dessinée redonne vie et couleurs au plus original des chevaliers de la Table ronde.

Un jeune garçon grandit insouciant dans une forêt perdue du Pays de Galles. Sa mère l’a élevé ici pour le protéger du monde extérieur après la mort de son mari et de ses deux fils aînés lors de tournois. Elle souhaite qu’il grandisse loin du monde extérieur et d’une chevalerie par trop meurtrière. À 15 ans, le jouvenceau chevauche un daim et dialogue avec les animaux, ignorant tout des soubresauts de la société médiévale.

Perceval page 5

Poussé par une curieuse et impertinente pie bavarde, il sort de ce bois et découvre émerveillé un groupe de trois chevaliers de la Table ronde. Il les compare à des anges éblouissants, leurs cottes de mailles ressemblent à des écailles, le ciel se reflète sur leurs armures… Ils sont comme : « revêtus d’un lac ».

C’est décidé, l’adolescent veut être lui aussi chevalier, se faire adouber par le roi Arthur pour disposer d’une superbe armure. Il retourne sur ses pas pour prévenir sa mère. Celle-ci désespérée lui narre alors, pour la première fois, comment son père et ses frères ont trépassé. Mais « le Malin s’amuse avec les hommes comme s’ils étaient des pièces sur un jeu d’échecs ». Son dernier fils part vers son destin en ignorant que sa mère meurt de chagrin dans la demeure où elle l’a élevé.

Ne connaissant toujours pas son nom, l’encore naïf Perceval, puisque c’est de lui qu’il s’agit, chevauche vers un monde qui lui est inconnu en prenant la direction du château de Carduel où réside Arthur. C’est le début d’un superbe parcours initiatique. Perceval croise de gentes et belles dames dont Blanchefleur qui devient son amie et à qui il promet le mariage, après qu’il se soit rendu auprès de sa mère. Surtout, il apprend l’art de se battre et de se conduire en véritable chevalier avec Gornemant de Goort : le premier noble guerrier qu’il a croisé quand il s’est aventuré hors de la forêt perdue. Il peut alors affronter et triompher d’adversaires valeureux : du Chevalier Vermeil dont il prend les armes au sénéchal Keu qui s’était moqué d’une jeune fille à la cour en passant par les terribles et déloyaux Aiguingueron et Clamadeu des îles.

Perceval page 14

Cependant, le moment le plus délicat de son apprentissage de chevalier, Perceval le passe au château du Roi Pêcheur. Alors qu’il s’entretient et mange avec ce noble personnage, alité, car gravement blessé, il voit passer un étrange cortège, illuminé d’une clarté divine : un valet avec une lance à la pointe de laquelle perle une goutte de sang et deux jeunes filles avec un plateau d’argent et un Graal d’or. Obéissant aux normes éducatives reçues, Perceval s’abstient de toute question indiscrète à son hôte. Le lendemain, à son réveil, il ne trouve qu’un castel en ruines dont le pont-levis se referme après sa sortie acrobatique. Peu après, une femme étrange lui reproche son silence lors du repas avec le Roi Pêcheur. S’il avait écouté son cœur et interrogé son hôte, celui-ci aurait guéri, le sortilège qui pèse sur son château aurait été levé et Perceval aurait pu disposer du Graal qu’il a entraperçu. La quête du Graal des chevaliers de la Table ronde ne fait que commencer.

Perceval et le chevalier de la Table ronde

On retrouve dans ce superbe album — dos rond, signet en tissu pourpre, épaisse couverture cartonnée au titre en relief — l’essentiel, sans aucun ajout, de l’intrigue de « Perceval ou le Conte du Graal », de Chrétien de Troyes. L’adaptation se concentre sur l’aspect initiatique du roman médiéval, la formation de chevalier de Perceval et sa découverte de l’amour courtois, délaissant une perspective plus religieuse de l’œuvre écrite au temps des croisades et de la perte de Jérusalem par les chrétiens, prise par Saladin.

Le côté onirique de l’œuvre est aussi mis en avant, notamment la rencontre avec le Roi Pêcheur. L’occasion de croiser un imaginaire médiéval, tout droit sorti des enluminures d’anciens manuscrits ; de diables vigoureux et monstrueux à un sombre et gigantesque Léviathan en passant par une macabre danse de squelettes ou une apparition nimbée de lumière divine des saints objets de la Passion.

Le combat du père de Perceval contre le Malin

Il est temps d’évoquer plus avant le très beau travail graphique de Terkel Risbjerg : un dessin épuré, simple, proche de la naïveté du personnage central avec des couleurs en aplats, telles qu’on les trouve dans certaines peintures et miniatures médiévales. D’ailleurs, Risbjerg joue avec les codes graphiques temporels, par exemple tous les flash-back sont dessinés sous forme d’enluminures et le fond coloré est différent, entièrement noir, pour les séquences oniriques.

Les yeux de Perceval

Le dessin sensible et inventif du Danois renouvelle l’approche du roman de chevalerie médiévale. Ce récit fondateur de la littérature française est modernisé par petites touches intelligentes comme l’introduction de cette pie bavarde au langage moderne qui pousse sans cesse le héros à transgresser les interdits. Ce procédé évite ainsi les monologues du livre ou le choix d’Éric Rohmer d’un chœur antiquisant pour son film « Perceval le Gallois » lui aussi adapté de Chrétien de Troyes.

Perceval passe le pont-levis

Destinée à un public de jeunes adolescents et d’adultes, cette adaptation à la fois moderne et respectueuse de l’un des classiques de la littérature médiévale nous a beaucoup plu. Elle dépoussière un mythe de la chanson de geste en centrant notamment le récit sur le parcours initiatique d’un héros qui suit avant l’heure l’injonction nietzschéenne : « Deviens qui tu es ! »

Perceval page 161

Plus près de nous que les Chevaliers de la Table ronde du roi Arthur, nous accompagnerons la semaine prochaine un cheval romantique de Géricault qui ne veut pas être une œuvre d’art !

Laurent LESSOUS (l@bd)

« Perceval » par Terkel Risbjerg et Anne-Caroline Pandolfo

Éditions Le Lombard (19,99 €) – ISBN : 978-2-8036-7014-7

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Une réponse à « Perceval » par Terkel Risbjerg et Anne-Caroline Pandolfo

  1. jb dit :

     » c’est pas faux » ! Désolé je recommencerai pas …

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