« Les Aigles de Rome T5 : Livre V » par Enrico Marini

Au temps de l’empereur Auguste, Marcus Valerio Falco et Ermanamer (devenu Arminius) ont connu la même éducation stricte. Au fil des épreuves, le Romain et le Barbare sont devenus des frères de sang… puis les pires ennemis. Envoyé en mission aux confins de la sinistre Germania, berceau d’Arminius, Marcus a été chargé de déterminer l’implication de celui-ci dans la préparation d’une rébellion de son peuple. Trahi et fait prisonnier, il ne peut désormais que constater l’ampleur du désastre à venir : car, attaquée de tous côtés, les légions romaines avancent dans un piège redoutable. Entre sauvagerie et volupté, gloire et déchéance, Enrico Marini boucle le premier cycle de sa série avec des planches et des batailles d’anthologie…

Marcus et Arminius, deux loups élevés par Rome...

Le souci du détail : planche 1 pour Les Aigles de Rome T1 (2007)

Il y eut Alix et ses « Légions perdues » (Jacques Martin, 1965), puis survinrent tour à tour la magnificence du trait de Philippe Delaby sur « Murena » (1997) et le retour en grâce du péplum dans les salles obscures avec le somptueux et oscarisé « Gladiator » (Ridley Scott, 2000). Inévitablement inspiré par ses trois œuvres, Marini en reprend le meilleur : un traitement parfaitement documenté du sujet, un scénario alternant volupté, ivresse des armes et intrigues ambitieuses, ainsi que des séquences graphiquement dantesques. En découvrant les planches 44 à 60 de l’actuel « Livre V », plus d’un lecteur cinéphile se remémorera justement le choc de la séquence introductrice de « Gladiator », dans laquelle le général Maximus (Russel Crowe) affrontait les hordes germaines… (à revoir en VO sur You Tube)

Couvertures pour les tome 1 et 2

Carte de l'Empire romain au temps d'Auguste (27 av. J.-C. à 14 ap. J.-C.)

Créée en 2007, la saga « Les Aigles de Rome » débute en 9 av. J-C. (745 AB urbe condita), alors que Drusus (le beau-père d’Auguste) vient de pacifier les territoires germaniques. Mort accidentellement d’une chute de cheval peu de temps après, le vainqueur (remplacer par Tibère) ne pourra guère profiter de son succès, ce d’autant plus que les peuples dominés restent des insoumis chroniques. Mêlant aspects fictifs et personnages réels, Marini met en scène le destin d’Arminius, un chef de guerre de la tribu germanique des Chérusques, connu pour avoir anéanti trois légions romaines au cours de la bataille de Teutobourg (9 ap. J-C. ; plus de 700 localisations furent proposée à partir de la citation initiale de Tacite), une des plus cuisantes défaites infligées aux Romains (20 000 morts). En sa qualité de fils de chef, Arminius était devenu otage et avait élevé à Rome comme un citoyen romain, avant de devenir membre de l’ordre équestre. De retour en Germanie, il devint l’homme de confiance du gouverneur Varus (ce général sera tué) tout en fomentant en parallèle une rébellion. Nommé gouverneur de la région en 7 ap. J-C, Varus échouera dans sa mission de maintien de la paix, liée à la mise en place de l’administration fiscale et judiciaire : il sera tué ou se suicidera lors du désastre de Teutobourg, qui entérine la perte des camps militaires situés à l’Est du Rhin. En l’an 21 ap. J-C., Arminius finira à son tour dans le sang, assassiné par des Germains qui craignaient son pouvoir devenu trop important et autoritaire.

La statue d'Arminius (1875) dans la Forêt de Teutberg en Rhénanie-du-Nord-Westphalie.

Couverture pour le tome 4 (Dargaud - 2013)

Encrage pour la première planche du tome 4

Reconstitution du camp Castra Vetera I, érigé en 13 av. J.-C. par le général romain Drusus au confluent de la Lippe et du Rhin. Planche 3 du tome 3 (Dargaud - 2011)

Comme le suggère le titre et les visuels de couvertures composés par Marini, l’intrigue est axée non seulement sur la rivalité entre Marcus et Ermanamer/Arminius mais aussi sur la symbolique des attributs du pouvoir impérial. Si les dieux et la statue en pied du princeps sont associés en couverture du tome 1 pour veiller à la destinée des deux héros, les choses s’enveniment au fur et à mesure des années : à la gladiature des jeunes gens succède une autre arène, cette fois-ci associée à l’ambiance délétère des jeux de pouvoir de la politique romaine. Devenu préfet de cohorte auxiliaire (unité militaire composée de 500 ou 1 000 soldats), Falco est donc aussi promu défenseur des aigles romaines. Pour le meilleur ou le pire, comme en attestent les visuels des tomes 3 (2011) et 5 (2016)… Rappelons que l’emblème « aquila » (également visible en 4ème de couverture) portait généralement des ailes levées entourées par une couronne de laurier. Il était monté sur une base trapézoïdale étroite, montée sur une hampe qui permettait de le porter bien haut. Le porteur de cet emblème (l’aquilifier) jouissait d’un prestige considérable, prompt à enflammer le moral des troupes, et l’on imagine donc sans peine ce que pouvait représenter pour une légion la perte de ses symboles forts. Or, à l’issue de la bataille de Teutobourg, ce sont pas moins de trois aigles (emblèmes des légions XVII, XVIII et XIX) qui s’évanouissent entre les mains ennemies ; les armées (menées notamment pendant quelques années par le nouveau général Germanicus) mettront plus de trente années avant de les récupérer…

Couverture du Livre III (Dargaud - 2011)

Visuel annonce pour le tome 4

Crayonné pour la couverture du tome 5

Marcus réduit à l'impuissance : encrage pour la planche 6 du tome 5

Comme l’explique Marini, l’intérêt de la série réside également dans l’intensité du traitement psychologique accordé à l’ensemble des protagonistes : « Rappelons qu’Arminius est un personnage historique qui a réellement pris la tête de cette révolte et a mené la guerre contre les Romains. Même s’il peut paraître ambigu, il sait très bien ce qu’il veut. Quant à son ancien ami d’enfance, Marcus, il ne doit pas seulement protéger l’aigle, l’étendard de la légion et de la suprématie romaine, mais aussi sauver sa famille, composée de sa bien-aimée et de son possible fils qui se retrouvent au cœur de la mêlée. J’avais besoin que sa situation soit encore plus dramatique que pour les autres romains : il doit faire des choix et gérer un conflit presque impossible à résoudre. » (extrait d’une interview accordée à nos confrères d’Actua BD). Gageons que l’auteur saura quant à lui résoudre tous les défis qu’il s’impose : les trois (ou quatre !) futurs albums déjà annoncés devraient en toute logique le voir de nouveau déployer ses feutres, pinceaux et encres acryliques pour composer la tableau dantesque d’un Empire romain aux portes du chaos. Succédant à Auguste en 14 ap. J-C, Tibère devra en effet se contenter de conserver la paix et de sécuriser les frontières. De bien éternelles préoccupations…

Le destin incertain des légions... (planches 11 et 34 extraites du tome 5 ; Dargaud 2016)

Philippe TOMBLAINE

« Les Aigles de Rome T5 : Livre V » par Enrico Marini
Éditions Dargaud (13,99 €) – ISBN : 978-2505065371

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